Raja Eghbarieh : « Nous ne reviendrons pas sur notre droit au retour »
Une interview de Raja Eghbarieh, membre fondateur du mouvement pionnier de la résistance, Abna’ al-Balad et prisonnier politique fréquent.
Louis Brehony (*), 21 juin 2022
L’unité du peuple palestinien en résistance depuis le soulèvement de mai 2021 a continué de secouer les corridors du pouvoir de Tel-Aviv, déchirés par la crise. Les protestations dans les centres vitaux supposés de l’État sioniste ont adopté un nouveau sentiment de défi alors que, sur les lignes de front contre la colonisation dans le Néguev, les jeunes femmes ont symbolisé une volonté collective de résistance.
Les Palestiniens déportés à l’intérieur du pays et ceux qui sont restés sur des terres « israéliennes » après les opérations de nettoyage ethnique de 1948 et 1967 ont été perçus comme un fait accompli par les hommes politiques, les intellectuels, les libéraux et les dirigeants supposés de la Palestine. Mais, désormais, de nouvelles générations développent une politique de rejet faisait écho au mouvement pionnier de la résistance, Abna’ al-Balad.
Membre fondateur du mouvement et prisonnier politique fréquent, Raja Eghbarieh a été confronté à d’incessantes attaques de l’État sioniste, mais il reçoit d’énormes encouragements de la résistance palestinienne rénovée dans les terres occupées depuis 1948 :
« La force de ce mouvement a attiré l’attention du monde, dont les alliés d’Israël, menaçant de rompre l’équilibre des relations existantes et de faire surgir une nouvelle réalité, y compris pour les Palestiniens de 1948, qu’Israël et l’ONU considèrent comme faisant partie de l’État d’Israël. Nous sommes un peuple uni, historiquement, actuellement et de par notre destinée future, et les Palestiniens de 1948 constituent la section la plus menaçante pour l’existence d’Israël en tant qu’État. »
Cette interview du camarade Raja a eu lieu le jour anniversaire du soulèvement de 2021 et c’est avec regret que, peu de temps après, le mouvement palestinien a perdu Ahmad Eghbarieh (Abu Yasar), le frère de Raja, un combattant vétéran à part entière. Nous adressons nos profondes sympathies à ses amis et camarades, et particulièrement à Raja Eghbarieh, qui brandit le flambeau de l’engagement d’Abu Yasar vers un nouvel avenir.
Abna’ al Balad a été mis sur pied via le mouvement de la Journée de la Terre de 1976 et son massacre par les forces sionistes. Dédié à la terre et à la libération, le groupe a combattu sous la bannière révolutionnaire d’al-Hadaf (« la cible »), le journal socialiste fondé par Ghassan Kanafani. Raja résume le rôle que lui et l’organisation ont joué dans la lutte pour un nouveau mouvement palestinien « situé à l’avant-garde depuis le début de la lutte palestinienne à l’intérieur ».
Cette tâche a consisté à tenter en permanence de « fusionner » la riposte dans les terres de 1948 avec les soulèvements des Palestiniens, avec la bataille pour Jérusalem où al-Aqsa « constituait l’un des plus gros fronts d’activité pour les Palestiniens de 1948 ».
Dès le début, Abna’ al-Balad s’est opposé à la collaboration avec les prétendus processus démocratiques de l’État sioniste :
« Nous avons été la première organisation à hisser le drapeau palestinien dans les terres de 1948 après la Journée de la Terre de 1976, ainsi que la première organisation à réclamer un boycott des élections et de la Knesset (le Parlement israélien). C’est toujours notre position. »
En 2018, Raja a été emprisonné pour avoir publié des messages dans les médias sociaux palestiniens et il a subi plus de deux ans de résidence surveillée. Bien que cette mesure ait fait perdre à Raja son emploi dans le secteur de l’enseignement et ait occasionné la fermeture des journaux de l’organisation, lui et d’autres activistes continuent de combattre ces « accusations entièrement politiques ». Mais tout un passé remonte plus loin encore que ces attaques les plus récentes, car Raja a déjà passé quatre ans en prison, sous le régime de la « détention administrative », entre 1980 et 1986 :
« Les autorités sionistes n’ont cessé de me viser depuis que j’ai commencé à m’organiser au sein du mouvement Abna’ al-Balad dans la seconde moitié des années 1970. Elles ont cherché à mettre un terme à mon engagement dans quelque activité politique que ce soit. Elles m’ont arrêté à plusieurs reprises à propos de mon implication dans des manifestations et en raison de mes écrits politiques. »
En réclamant le boycott des institutions sionistes, Abna’ al-Balad propose un commentaire musclé à propos des personnes qui prétendent représenter le « secteur arabe » à la Knesset, et Raja explique ici que,
« même lorsqu’ils sortent des déclarations contre les crimes des gouvernements israéliens auxquels ils participent, ils continuent de travailler au sein du Parlement de l’État qui leur fait confiance ».
Cette critique des forces collaborationnistes bourgeoises sur la scène palestinienne a vu feu Ahmad Eghbarieh confronté à des attaques des gens alliés à l’Autorité palestinienne (AP), surtout quand lui et Abna’ al-Balad ont réclamé justice pour l’activiste Nizar Banat assassiné par l’AP. Se faisant l’écho des critiques d’autres Palestiniens, dont les activistes de Masar Badil et les contributeurs du livre Our Vision for Liberation, le camarade Raya perçoit la génération Oslo des hommes politiques comme des barrières à la liberté palestinienne :
« Notre perception de l’OLP, c’est qu’elle n’existe plus, sauf en tant qu’outil pour Mahmoud Abbas et son infâme autorité, qui font de plus en plus de concessions à l’occupation. Surtout après le lâche accord d’Oslo, qui a cédé plus de 78 pour 100 de la terre de Palestine et a reconnu la légitimité d’un État appelé Israël, tout en renonçant au fait que des Palestiniens restent à l’intérieur et qu’ils continuent de faire partie de la cause et du sort de la totalité du peuple palestinien. »
La position du régime Abbas va jusqu’à « étiqueter les Palestiniens de l’intérieur comme des Israéliens » et à affirmer que leur seul combat consiste à atteindre l’égalité en tant que citoyens israéliens. Le fait qu’il a abandonné ceux de l’intérieur au cours des négociations pour la « paix » n’a pu toutefois supprimer avec succès les aspirations à la liberté des masses palestiniennes, et le soulèvement de mai 2021
« a démontré ce qu’il y avait déjà là en termes d’engagement vis-à-vis de la lutte du peuple, qui dure depuis la Journée de la Terre de 1976, avec le massacre de six travailleurs et les blessures et les arrestations infligées à des centaines d’autres ».
Avant 2021, les Palestiniens de 1948 avaient « participé à toutes les intifadas de Cisjordanie et de Gaza, ainsi qu’aux soulèvements armés du peuple palestinien ». Raja insiste sur le martyre de dizaines de Palestiniens de 1948 au cours de l’intifada d’octobre 2000, quand les jeunes se sont dressés aux côtés des autres dans la Palestine historique.
Un an après mai 2021, les Palestiniens ont organisé une marche du retour vers le village de Mi’ar, sous le slogan « leur indépendance, notre retour », et des manifestations ont également eu lieu à Lydd, à Tel-Aviv et dans d’autres villes, brandissant bien haut le drapeau palestinien et soutenant la résistance. Ces événements ont montré qu’« il n’y avait pas de renoncement à notre droit au retour, avec l’implication active de milliers de Palestiniens à al-Dakhil ». Détail très important, les jeunes Bédouins palestiniens ont occupé une position centrale dans la riposte contre les plans israéliens en vue de coloniser les régions du sud de la Palestine historique. Le camarade Raja affirme que
« le combat pour garder la mainmise sur la terre du Néguev est une des batailles les plus importantes pour la raison très simple et décisive que la terre est à nous et que c’est à nous de la défendre et d’en garder la possession ».
L’offensive majeure déclenchée avec une nouvelle ferveur par l’État sioniste ces quelques derniers mois est une reconnaissance du fait que les Palestiniens se cramponnent toujours à 800 000 dunums de terre (environ 800 kilomètres carrés) que le Jewish National Fund sioniste cherche à coloniser. Le camarade Raja pointe du doigt les desseins de cette offensive :
« L’entité sioniste désire nous ravir la terre restante, tout en forçant les Bédouins à occuper des espaces urbains très exigus, très éloignés de leurs coutumes sociales, comme c’est arrivé dans la ville de Rahat. Le but est de garder sous contrôle étroit les Palestiniens qui restent encore sur la terre du Néguev. Avant 1948, les Palestiniens possédaient environ 94 pour 100 de la terre à l’intérieur de ce qui est aujourd’hui la Ligne verte et, aujourd’hui, ils ne possèdent plus que la terre sur laquelle ils ont été à même de bâtir leurs maisons, c’est-à-dire 2,5 pour 100 de la terre. Ce qui nous reste, c’est la terre du Néguev, ce qui lui confère une importance accrue. »
Le tout dernier blocage de ces plans en vue de la conquête directe a été le mouvement des jeunes Palestiniens en défense de la terre. Raja prévient que, sans le genre de mouvement de masse illustré par l’énergie témoignée par les jeunes Bédouins, hommes, femmes et communautés pour affronter les colonisateurs racistes de la terre, le Néguev connaîtrait à coup sûr la colonisation extrême à laquelle on a assisté plus loin au nord.
Comme les politiciens sionistes continuent de spéculer sur la survie future de leur projet politique, le message est celui-ci : C’est le peuple palestinien qui en décidera.
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(*) Louis Brehony est un musicien qui vit à Manchester. Il est également activiste, chercheur et éducateur. Il a réalisé le film Kofia : A Revolution Through Music (2021 – Kofia : Une révolution par la musique) et est l’auteur d’un livre à paraître sur la musique palestinienne en exil. Il écrit régulièrement sur la Palestine et sur la culture politique et il se produit internationalement sur scène comme guitariste et joueur de bouzouki. Il est l’auteur du présent article dans The Palestine Chronicle.
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Publié le 21 juin 2022 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine