La presse canadienne rejoint le chœur antipalestinien

La presse canadienne et Les forces pro-israéliennes du Canada ciblent l’activisme propalestinien dans le pays.

Les forces pro-israéliennes du Canada ciblent l’activisme propalestinien dans le pays. (Photo : Giordanno Brumas / SOPA Images)

Omar Zahzah, 6 juillet 2022

Désormais, nous pouvons ajouter « se rendre à l’épicerie » à la longue liste d’activités apparemment banales que l’omniprésente et sournoise répression sioniste complique à souhait pour les Palestiniens.

Le 30 avril dernier, l’écrivain et activiste palestinien de gauche Khaled Barakat déambulait entre les rayons d’une épicerie locale à Vancouver, au Canada.

Si Barakat espérait trouver quelque chose ce soir-là, ce n’était certes pas une photo de grand format de son visage à la une du journal canadien conservateur, le National Post. Mais elle y était, pourtant, suivie d’un article intitulé « L’étrange cas de Khaled Barakat », rédigé par Terry Glavin. Une large photo de Barakat était étalée sur le présentoir à journaux.

Le National Post a également publié l’article en ligne, mais sous un titre modifié : « Khaled Barakat est-il membre d’un groupe terroriste ou victime de l’intimidation israélienne ? »

Barakat a fait savoir à The Electronic Intifada qu’au moment où il avait découvert l’article, il avait été très fâché de voir qu’un tel harcèlement était possible et de découvrir le racisme antipalestinien et l’islamophobie que l’article reflétait.

« J’ai été fâché de voir qu’ils pouvaient agir de la sorte avec une telle impunité. Si j’avais été un blanc – ou même un juif, même avec la même politique – ils y auraient à coup sûr regardé à deux fois. Et ils tentaient également de goupiller l’affaire comme s’ils déballaient une histoire énorme et ils utilisaient nos visages d’une façon qui provoque la crainte au sein de la communauté – surtout quand vous voyez « Khaled Barakat » en lettres capitales avec la photo »,

a-t-il encore dit.

Barakat a déclaré que l’article, qui le décrivait comme « un membre de haut rang d’une organisation terroriste palestinienne », était une tentative manifeste de « criminaliser » ses écrits et son activisme, ainsi que tout soutien plus large à la résistance armée palestinienne et libanaise à la violence étatique d’Israël.

Sensationnalisme

Khaled Barakat a également commenté l’absurdité de la situation. Le caractère général de l’article donne à penser que quelqu’un aurait offert de l’argent pour qu’on puisse le publier plutôt que de tenter d’en faire quelque chose qui soit organiquement du journalisme.

Et l’article semble s’appuyer sur du sensationnalisme plutôt que sur de la véritable matière. Tout au long de l’article, Glavin enfile des allégations très faiblardes à propos des connexions supposées de Khaled Barakat avec le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) ainsi que des allégations visant Samidoun, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, une organisation internationale qui plaide en faveur de la libération des Palestiniens emprisonnés.

Il ne propose littéralement aucune preuve de ces affirmations, en dehors de la désignation remarquable, par le criminel de guerre israélien Benny Gantz, de Samidoun comme une organisation terroriste, ainsi que diverses allégations sans fondement proposées par quelques huiles des renseignements israéliens.

D’autres organisation militantes canadiennes, comme Independent Jewish Voices, ont rapidement fait remarquer l’absence totale de soutien aux allégations.

En tant qu’avis tranché, la désignation par Gantz était de par sa nature même dénuée de fondement, comme le sont les citations dont Glavin émaille son article. Les citations n’offrent aucune preuve, il n’y a pas de canon encore fumant, pas de collaboration directe ni quoi que ce soit hormis le fait que les renseignements canadiens et israéliens ainsi que les organisations « pro-juives » (des organisations nationalistes israéliennes, à vrai dire) comme B’nai B’rith, n’aiment pas du tout le discours de Khaled Barakat.

B’nai Brith avait précédemment adressé une pétition au Premier ministre Justin Trudeau le pressant de déporter Khaled Barakat, dans le même temps que le National Post publiait un autre article, plus tôt cette année, citant un important homme de loi canadien qui réclamait une explication de la raison pour laquelle le gouvernement Trudeau permettait à Khaled Barakat de vivre au Canada, malgré ses liens supposés avec le FPLP. On se sert de la liste canadienne des « terroristes » présumés et de la partialité antipalestinienne officielle pour persécuter les Palestiniens vivant dans le pays.

(Davide Mastracci, un responsable de publication du site internet Passage, prétend que le gros des médias canadiens, qui suit la ligne gouvernementale officielle du pays, adopte de ce fait une position pro-israélienne et antipalestinienne. Les gens qui critiquent Israël sont rabaissés ou entièrement laissés de côté, dans le même temps que l’effaçage et la déshumanisation des Palestiniens deviennent la norme.)

En effet, ceci se traduit par une avalanche répétitive, redondante et intimidante de harcèlement destinée à cibler et réduire au silence les supporters imperturbables de la libération palestinienne.

« Mysticisme de la sécurité »

C’est également le modèle élargi selon lequel le protocole prétendument « antiterroriste » s’est traduit par le fait de s’appuyer uniquement sur une opinion d’« initié de l’info », dénuée de fondement afin de gonfler une accusation sans preuve de « connexion » avec une organisation criminelle.

Ces pratiques journalistiques déplorables constituent une extension culturelle du harcèlement ciblé, racialisé tel que le pratiquent les institutions gouvernementales peu voire pas du tout soucieuses de procéder selon les règles. Cela s’est déjà reflété dans divers cas américains, comme The LA Eight (les Huit de LA), The Holy Land Five (les Cinq de la Terre sainte), la déportation de l’icône de la résistance Rasmea Odeh et bien d’autres encore.

L’envers de ce phénomène consiste en une sorte de « mysticisme de la sécurité » produit par des écrivains nationalistes, conservateurs et même libéraux, qui dépeignent les institutions de renseignement comme des spécialistes tranchants et infaillibles dont les méthodes devraient être tenues à l’écart de toute remise en cause mais dont la plus vague tendance à la suspicion devrait se traduire sans même réfléchir par une politique et des actions de privation de droits.

Ce « mysticisme de la sécurité » légitime le brutal harcèlement gouvernemental des individus et organisations mus par une politique antisioniste alors qu’il n’y a que peu, voire pas du tout, de preuves quelles qu’elles soient pour étayer ces assertions, comme ce fut par exemple le cas avec les Cinq de la Terre sainte.

Il est d’une importance cruciale de percevoir tout simplement l’article de Glavin comme le tout dernier élément d’une campagne de censure plus large dirigée contre Khaled Barakat par les organisations et publications sionistes et par les gouvernements impérialistes.

Le 13 juin, The Jerusalem Post publiait un article sur la position de Khaled Barakat disant que la liste canadienne du terrorisme devrait être abolie. L’article, qui cite aussi Glavin comme source, n’a toutefois pas examiné de près l’argument de Barakat, mais s’est contenté de citer des individus le calomniant en raison de ses opinions politiques et de monter sans fondement toute une affaire en raison de son affiliation au FPLP.

L’article utilise les opinions dénuées de fondement de certains « experts » pro-israéliens – ceux cités par Glavin, ceux de l’ambassade d’Israël et ceux du Centre pour Israël et les Affaires juives – qui expriment leur indignation en raison de la façon dont Khaled Barakat a pu prendre la parole lors d’une rencontre de l’ILPS (Ligue internationale des luttes populaires) à Ottawa, le 5 juin.

Voilà encore un autre appel à la censure des opinions politiques par le biais d’allégations sans fondement de connexion avec des organisations de résistance et partis politiques palestiniens, souvent répertoriés comme « terroristes » par le Canada, les États-Unis et l’Union européenne.

Des allégations recyclées

Ceci témoigne de la recyclabilité plus large de ce genre d’allégations et d’efforts. Comme l’a dit l’activiste et blogueuse palestinienne Rima Najjar dans The Electronic Intifada :

« La première fois que je suis tombée sur un article diffamatoire contre Khaled Barakat [dans The Jerusalem Post], j’ai été frappée par la similitude de ton, de style et d’approche qu’il y a dans le travail de piratage de Canary Mission (un site internet propagateur de haine qui sévit surtout sur les campus en Amérique du Nord, NdT) contre de nombreux activistes. »

Rima Najjar a expliqué que tant Canary Mission que The Jerusalem Post veulent

« se faire passer pour des sources de journalisme légitime ‘enquêtant sur la haine’, mais qu’ils sont essentiellement de vulgaires ‘fouille-merde’ et qu’ils veulent couvrir d’opprobre toute personne qu’ils perçoivent comme ‘une menace envers la légitimité d’Israël’ ».

Rima Najjar poursuivait en montrant à quel point le choix des mots révélait leur partialité politique, et ce, en pointant du doigt le titre qui décrit Khaled Barakaat comme un « Canadien lié au FPLP » et que ce n’est que dans le corps de l’article qu’il est question en fait de « présumé lié ».

« Barakat est ‘lié’ au FPLP, une organisation reprise sur la liste canadienne des terroristes ; par conséquent, Barakat lui-même est un terroriste et il ne doit pas parler des luttes de libération. L’article accuse Khaled Barakat d’avoir l’audace de remettre en question le principe selon lequel la liste canadienne du terrorisme a été établie, ce qui n’a strictement aucun sens en termes de sauvegarde du Canada et des Canadiens et serait plutôt une expression de l’alliance du Canada avec Israël et d’autres régimes d’oppression. »

Khaled Barakat reste imperturbable.

« Ils ont choisi la mauvaise personne », a-t-il expliqué à The Electronic Intifada.

Et d’ajouter qu’il ne se laisserait pas intimider comme d’autres l’ont été.

« J’ai passé les vingt dernières années à lutter contre la prétendue liste des terroristes et la déportation des réfugiés et immigrants. Ainsi donc, quand vous dites ‘vous êtes un terroriste, nous allons vous expulser’, ça ne marche pas avec moi. »

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Omar Zahzah est le coordinateur éducation et promotion d’Eyewitness Palestine et il est également membre du Mouvement de la jeunesse palestinienne et de la Campagne américaine pour le boycott académique et culturel d’Israël.

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Publié le 6 juillet 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Le militant palestinien Khaled Barakat est la cible d’une campagne d’intimidation au Canada

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