Un important diplomate de l’UE reconnaît le recours à deux poids et deux mesures quand il est question de la Palestine
Les deux poids et deux mesures sautent aux yeux, même de ceux qui travaillent à l’intérieur des couloirs de Bruxelles.
Ali Abunimah, 2 septembre 2022
Personne ne devrait être surpris de l’adoration vouée par l’Union européenne à Israël.
Mais, au cas où d’aucuns auraient des doutes, l’envoyé régional du bloc régional dans la gestion du « processus de paix », Sven Koopmans, a décidé de le faire savoir clairement dans une tribune publiée vendredi dans Haaretz.
Chaque phrase ou presque dégouline de fierté et de déférence à l’égard du régime d’apartheid – mais, naturellement, Koopmans n’utilise jamais ce mot en « a ».
« En tant que voisins, amis historiques et principaux partenaires commerciaux d’Israël jouissant d’une excellente coopération en technologie, en éducation et bien plus encore, nous sommes prudents »,
explique Koopmans.
« Les Européens comprennent les préoccupations sécuritaires d’Israël. L’Union européenne soutient fermement le droit d’Israël à combattre le terrorisme, dans tout le respect de ses obligations internationales concernant les droits humains. »
Voilà bien une licence autorisant Israël à tuer librement des Palestiniens – puisque l’UE n’a jamais imposé à Israël ses obligations envers le moindre droit humain international. En même temps, Koopmans ne reconnaît jamais aux Palestiniens le droit de résister à l’occupation et à la colonisation.
« Nous avons un agenda positif : Nous ne cherchons pas à critiquer ; nous voulons aider »,
ajoute-t-il, comme s’il s’adressait à un adolescent cabochard et non à des criminels de guerre aux cœurs froids qui dirigent un régime colonial de peuplement des plus brutaux.
Il y a toutefois une indication très légère que quelque chose trouble l’histoire d’amour entre l’Europe et Tel-Aviv :
« Pourtant, le conflit israélo-arabe et l’occupation de la terre palestinienne limitent toujours notre potentiel »,
admet Koopmans.
« L’UE entend contribuer à dégager ce fardeau. Et c’est ainsi qu’il nous faut faire face à certaines questions concrètes. »
Le « fardeau » qu’il souhaite dégager ne pèse pas tant sur les épaules des Palestiniens que sur celles d’Israël et de l’UE.
Une « situation » mystérieuse
Ce qui suit est une version de l’habituelle absurdité sioniste libérale prétendant que la « paix » et la fin de l’occupation sont en tout premier lieu excellentes pour Israël et son âme précieuse, et que, de même, elles pourraient être tout aussi bonnes pour les Palestiniens.
Koopmans reconnaît que les Palestiniens souffrent, mais il les assimile à leurs oppresseurs et nulle part il ne tient Israël responsable des souffrances qui leur sont infligées.
« Nous voyons des tensions dans toute la Terre sainte, des attentats terroristes dans les villes israéliennes, le désespoir et la mort à Gaza, des tueries en Cisjordanie, la violence des colons et un monde occidental de plus en plus critique à l’égard d’une situation qui maintient des millions de Palestiniens, avec de moins en moins de terre, sous une occupation apparemment sans fin »,
dit-il.
Apparemment, ce n’est pas Israël qui maintient des millions de Palestiniens sous occupation et sans droits, mais l’une ou l’autre « situation » mystique.
Koopmans contourne en fait la façon dont la plupart du monde – le « monde occidental » constituant les derniers venus – comprend qu’Israël est un régime colonial de peuplement qui perpètre le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid.
Ainsi donc, quelle est la solution avec laquelle Koopmans débarque ? Est-ce réclamer l’application des innombrables résolutions de l’ONU sans laquelle Israël se cantonne dans un violent mépris des lois internationales ? Est-ce imposer des amendes à Israël parce qu’il refuse de s’exécuter ?
Est-ce la défense et le maintien des droits de tous les Palestiniens, particulièrement les réfugiés à qui Israël interdit le retour chez eux uniquement parce qu’ils ne sont pas juifs ? En fait, Koopmans ne mentionne pas du tout les lois internationales.
Au lieu de cela, il insiste en disant que
« ceux qui sont de bonne volonté ont besoin de collaborer afin d’envisager une paix complète comprenant les Israéliens, les Palestiniens et, en fait, la région tout entière ».
Ce avec quoi il se présente n’est autre que le jargon d’un consultant en management ou, peut-être, d’un gourou de l’auto-assistance :
« En effet, inversons la conception de la solution. Plutôt que de dessiner une autre carte routière, commençons ensemble par préparer la destination – même quand ses parties essentielles ne peuvent être identifiées que par des Israéliens et des Palestiniens, et sans doute uniquement lorsqu’eux-mêmes y seront presque arrivés. »
Pardon ?
Ce qui transparaît là-dedans, c’est ceci : Quand il s’agit d’Israël, les lois internationales ne comptent pas. Nous pouvons les jeter toutes par la fenêtre et traiter le bourreau et la victime en égaux et même en actionnaires égaux. L’agneau doit « négocier » avec le loup et le mulot avec le faucon.
Naturellement, ce n’est pas l’approche qu’a choisie l’UE envers l’invasion russe de l’Ukraine – que les responsables de Bruxelles dénoncent à chaque occasion. En même temps que ses maîtres à Washington, l’UE a imposé des sanctions sans précédent visant – sans succès jusqu’à présent – à écraser l’économie russe. Et ils acheminent des combattants et des milliards de dollars en armes afin d’aider les Ukrainiens à riposter.
Le lavage de mains
Les deux poids et deux mesures sautent aux yeux, même de ceux qui travaillent à l’intérieur des couloirs de Bruxelles.
Le mois dernier, Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE – et donc le patron de Koopmans – a admis ce qui suit dans une interview donnée à El País.
« Au contraire de l’Ukraine, l’UE a été bien moins affirmative avec le conflit de Gaza »,
a fait dire le journal espagnol au chef de la diplomatie européenne.
« Résoudre la situation des gens piégés dans cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza n’est pas du ressort de l’UE. C’est une situation scandaleuse, une honte, mais il n’est pas de notre ressort de la résoudre »,
a répondu Borrell, reconnaissant l’horreur à laquelle les amis israéliens de l’UE soumettent les Palestiniens et, dans le même temps, absolvant l’Europe de toute responsabilité dans cette situation.
Comme s’il n’était qu’un simple badaud, Borrell se tord les mains en disant que
« la communauté internationale devrait trouver une solution pour la foule en surnombre privée d’électricité et presque démunie d’eau potable ».
« On nous critique souvent de nous servir de deux poids et deux mesures »,
ajoute Borrell.
« Mais la politique internationale consiste largement en l’administration de deux poids et deux mesures. Nous n’affrontons pas tous les problèmes avec les mêmes critères. »
Pour faire pire encore, voici la chute de la plaisanterie d’un diplomate :
« Il n’y a pas de solution au conflit du Moyen-Orient sans un engagement très solide de la part des États-Unis. »
Borrell admet que l’UE ne peut que suivre les ordres de Washington et qu’elle n’a pas – ou ne veut pas faire valoir – la moindre liberté d’action. Si c’était le cas, pourquoi quelqu’un devrait-il la prendre ou accepter l’invitation de Koopmans afin de parler sérieusement de la « paix » ?
The #EU is a close friend of #Israel as well as of the #Palestinians. Working with our international partners there is much we can all do together in new ways to bring comprehensive peace and security closer. See my #opinion piece: https://t.co/mJzvi6458d
— Sven Koopmans (@EUSR_Koopmans) September 1, 2022
Quant à Koopmans, dans un tweet promouvant son article dans Haaretz, il affirme que
« l’UE est une proche amie d’Israël, ainsi que des Palestiniens ».
La première moitié de cette phrase est sans aucun doute vraie. Mais Koopmans et ses complices à Bruxelles ne sont pas les amis du peuple palestinien.
Des « amis » n’arment pas, n’aident pas ni n’encouragent un régime d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid pour vous assassiner et voler votre terre.
Le mot exact qui définit de telles personnes, c’est « ennemis ».
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
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Publié le 2 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine