Le procureur de la couronne porte des accusations de chantage contre Palestine Action

Mettre en alerte contre des actions futures les sites ciblés et les sociétés qui soutiennent Elbit est une carte de visite de Palestine Action. C’est cette marque de fabrique qui compte comme l’accusation la plus sérieuse contre Ammori, Barnard et leur camarade Emily Arnott : conspiration au chantage.

Palestine Action poursuit ses protestations malgré un procès imminent qui pourrait valoir à plusieurs de ses activistes la prison pour des années. (Photo : Martin Pope / SOPA Images)

Palestine Action poursuit ses protestations malgré un procès imminent qui pourrait valoir à plusieurs de ses activistes la prison pour des années. (Photo : Martin Pope / SOPA Images)

Kit Klarenberg, 15 septembre 2022

En juin, j’ai rédigé une analyse sur le nouveau projet de loi concernant la Sécurité nationale de la Grande-Bretagne, et qui est particulièrement draconien.

Des passages entiers de tout ce projet donnent tout à fait l’impression d’avoir été spécifiquement conçus dans l’intention de saper pour de bon Palestine Action.

Ouvertement engagée à endommager et détruire les avoirs en Grande-Bretagne des principaux manufacturiers d’armes israéliens, dont Elbit Systems, Palestine Action, depuis son lancement à la mi-2020, a engrangé une série de succès qui se sont soldés par la fermeture de certains sites de la société même et la fermeture des bureaux des entreprises prêtant leur espace à Elbit.

Bien des activistes de Palestine Action ont été arrêtés et poursuivis pour s’être introduits par infraction dans des sites d’Elbit et/ou pour avoir vandalisé ces derniers ainsi que les sites de filiales d’Elbit en Grande-Bretagne, bien qu’à ce jour, un seul cas se soit soldé par une condamnation. Et, même dans ce cas, l’activiste en question n’a été condamné qu’à une amende de 25 livres et à un sursis conditionnel de trois mois.

Désormais, toutefois, l’organisation est confrontée à son défi judiciaire le plus important et le plus grave – et sans que le projet de loi de la Sécurité nationale ait déjà seulement été adopté comme loi.

Huit activistes, dont les cofondateurs de Palestine Action Huda Ammori et Richard Barnard, passeront en procès le 10 octobre, pour toute une série d’accusations supposées, et il s’ensuivra éventuellement de nombreuses années de prison, à titre individuel ou collectif.

Des accusations sans précédent

The Electronic Intifada a eu accès à une copie de leur inculpation. Les charges indiquées comprennent une conspiration en vue de commettre un cambriolage et une intention de détruire ou d’endommager des biens.

Il est dit que les huit activistes ont « conspiré ensemble et avec d’autres, inconnus, pour entrer illégalement » dans le quartier général d’Elbit à Londres « dans l’intention de causer des dommages illicites à ce bâtiment ou à tout ce qui s’y trouve ».

Ce site a également été le cadre de la toute première action de l’organisation, quand les activistes ont envahi le bureau, ont démoli des équipements et ont tagué nombre de slogans sur les murs intérieurs, dont « Nous reviendrons ! ».

En juin dernier, après deux ans de campagne ininterrompue, Elbit a fini par quitter le site.

Mettre en alerte contre des actions futures les sites ciblés et les sociétés qui soutiennent Elbit est une carte de visite de Palestine Action. C’est cette marque de fabrique qui compte comme l’accusation la plus sérieuse contre Ammori, Barnard et leur camarade Emily Arnott : conspiration au chantage.

Entre août 2020 et février 2021, il est prétendu que le trio a :

« Conspiré ensemble et avec des personnes inconnues afin de notifier des demandes injustifiées en adressant des lettres et des courriels à Lasalle Ltd, en leur demandant de durcir leurs liens avec Elbit Ltd et d’exclure Elbit Ltd de leurs locaux, avec menaces à la clef. »

Ceci est une allusion au fait que les activistes de Palestine Action ont écrit à Jones Lang LaSalle Inc, en encourageant la société à expulser Elbit de ses sites et en lui promettant d’étendre la campagne si leurs requêtes restaient sans réponse.

Dans le passé et aujourd’hui, de nombreuses organisations de protestation, parmi lesquelles le mouvement environnementaliste Extinction Rebellion, ont fait savoir que leurs actions se poursuivraient tant que leurs demandes resteraient sans réponse.

Le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) a lui aussi utilisé très régulièrement la perspective de boycotts et d’autres mesures financières punitives pour forcer des sociétés – dont le groupe bancaire HSBC – à désinvestir d’Elbit.

L’interprétation du chantage en Angleterre et au pays de Galles peut être large et applicable à un individu cherchant toute forme de « gain » – à ne pas confondre avec « profit » – de la part d’un autre individu ou entité commerciale, et peut inclure la perte de propriété pour une cible. De même, des directives allant dans le sens de la condamnation ne sont pas spécifiques, en accordant aux tribunaux le pouvoir d’infliger pour des raisons de chantage toute une variété de peines sévères au cas où les accusés seraient reconnus coupables.

La peine maximale pour chantage sous la juridiction anglaise et galloise est de 14 ans de prison.

Des ennemis en haut lieu

Le recours à des accusations de chantage constitue une escalade sans précédent de la part des autorités britanniques. Les activistes de Palestine Action croient que cette campagne est politiquement motivée, qu’elle pourrait bien s’inspirer et être soutenue actuellement par un lobbying direct de l’État sioniste et que son objectif en fin de compte est de mettre à l’arrêt les activités de l’organisation.

En août 2020, la ministre israélienne des Affaires stratégiques Orit Farkash-Hacohen et le ministre de la Défense Benny Gantz se sont rendus à Londres pour rencontrer le secrétaire britannique aux Affaires étrangères de l’époque, Dominic Raab.

Farkash-Hacohen faisait spécifiquement allusion aux toutes premières protestations de Palestine Action contre Elbit, cataloguant ces activités comme faisant partie de

« la campagne de délégitimation contre Israël qui s’est répandue partout en Europe et dans le monde entier ».

« Rien que le dernier week-end, les bureaux d’une société de sécurité israélienne ont été vandalisés pour la quatrième fois au cours du mois écoulé. Nous voulons que les sociétés israéliennes continuent de faire des affaires à Londres. C’est bon pour les deux pays »,

a-t-elle ajouté.

Peu de temps après cette intervention, Ammori et Barnard ont découvert une caméra de surveillance secrète installée sur une école publique en face de leur domicile. Un appel téléphonique à l’école confirmait que la caméra avait été placée par la police.

Néanmoins, leur campagne s’est poursuivie et, le 21 novembre, les bureaux de Jones Lang LaSalle à Finsbury Park, à Londres, ont été vandalisés à la peinture rouge, représentant le sang des Palestiniens.

 

Quatre jours plus tard, en ce même mois d’août 2020, les deux personnes disent qu’elles ont été arrêtées à la frontière galloise par la police contreterroriste et interrogée pendant des heures. Le couple prétend avoir été privé de son droit de silence par les lois contreterroristes draconiennes du Royaume-Uni. Leurs portables ont également été saisis, vu que le matériel qui s’y trouvait pouvait apparemment constituer certaines des bases permettant de les accuser de chantage.

L’arrestation portant sur le chantage a eu lieu le 3 février cette année. La police a encerclé la maison d’Ammori et de Barnard avant d’y faire irruption, de saisir plusieurs de leurs biens, dont leurs passeports. En outre, ils ont dû subir un nouveau raid, disent-ils, une vingtaine d’heures plus tard.

Sans être intimidé pour autant, leur activisme – et celui de Palestine Action – s’est poursuivi bon train.

« Chaque fois que l’industrie israélienne des armements est perturbée, c’est une victoire ; chaque moment où Elbit Systems ne peut fonctionner interrompt la machine de guerre qui reproduit la violence impérialiste dans le monde entier ” 

a déclaré Ammori à l’adresse de The Electronic Intifada.

« Les actes pour lesquels nous passons en jugement ont inspiré un mouvement d’action directe qui a forcé à la fermeture deux sites israéliens d’armement en Grande-Bretagne. Risquer notre liberté pour écraser l’industrie israélienne de l’armement est la moindre des choses que nous pouvions faire en solidarité avec les Palestiniens sur la ligne de front. »

Palestine Action croit que son ciblage physique des biens d’Elbit a également attiré une attention viscérale sur le fait que la complicité de Londres dans l’apartheid israélien est tout sauf due au hasard ou limitée à un soutien diplomatique et à des défenses publiques de la politique meurtrière de l’État sioniste au Parlement et dans les médias.

Elbit produit entre 450 et 900 infâmes drones Hermes sur le sol britannique, et cela comprend 85 pour 100 de l’aviation sans pilote d’Israël, qui s’en sert habituellement pour semer ses effets dévastateurs dans les territoires occupés.

Ce peut être précisément à cause de cette réalité détrempée de sang qu’Elbit a jusqu’à présent été réticent de réclamer d’urgence des accusations sérieuses contre les protestataires de Palestine Action. Après tout, agir de la sorte élèverait la perspective de ce qu’un témoignage accablant concernant l’utilisation de ses produits dans de graves abus des droits humains contre les civils palestiniens pourrait, en étant révélé en pleine cour, constituer une publicité négative dont la société se passerait bien.

C’est pour cette raison, alors qu’elle est mortifiée jusqu’à un certain point de devoir subir un procès sur des accusations de chantage, lequel pourrait se traduire par une longue peine de prison, Ammori continue à relever le défi.

« Alors que nous pourrions être ceux qui vont affronter des poursuites chargées politiquement, ce devrait être Elbit Systems, avec ses très longs antécédents de crimes contre le peuple palestinien et contre l’humanité dans son ensemble, qui devrait avoir peur de se retrouver sur le banc des accusés, pas nous »,

conclut-elle.

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Kit Klarenberg est un journaliste d’investigation qui examine le rôle des services de renseignement dans le modelage de la politique et des perceptions. Twitter : @KitKlarenberg.

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Publié le 15 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Lettre ouverte de Palestine Action : “Elbit est coupable – les ‘Huit d’Elbit’, non”

 

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