Vidéo : « Mais qu’est ce qu’il raconte ? » Les nouvelles d’Israël qui ne font pas la une
Un point de vue israélien non-sioniste en vidéo sur l’actualité de terrain qui ne fait pas forcément la une des médias francophones. Un projet de De-Colonizer, une émission portée et présentée, en français, par Eitan Bronstein – Aparicio.
Je suis ici pour vous parler de faits intéressants qui se passent en ce moment en Israël et qui ne sont presque pas mentionnés dans les médias français. Bien sûr, mon opposition à l’entreprise sioniste me guidera dans le choix des éléments abordés et dans leur analyse.
J’aimerais tout d’abord parler d’un enjeu important de la campagne électorale en cours, la cinquième au cours des deux dernières années. Les Juifs Israéliens deviennent de plus en plus nationalistes et cela se reflète bien sûr aussi dans les partis sionistes. La personne qui incarne le plus l’extrémisme de droite est le membre de la Knesset Itamar Ben Gvir, que vous connaissez peut-être un peu moins que d’autres. Dans sa jeunesse il a étudié avec Meir Kahana, qui a fondé le mouvement raciste le plus important d’Israël, la Ligue de Défense Juive, qui a ensuite été interdite en raison de son extrémisme. L’État a déposé des dizaines d’actes d’accusation contre Ben Gvir, il a été reconnu coupable de huit d’entre eux, dont l’incitation au racisme et le soutien à une organisation terroriste, le mouvement de Kahana. Dans son passé douteux, on évoque toujours le fait qu’une affiche de Baruch Goldstein, qui a perpétré le massacre massif de Palestiniens à Hébron en 1994, était accrochée au mur de son salon. Aujourd’hui, en amont des élections prévues le 2 novembre, les sondages prévoient que le parti de Ben Gvir va obtenir près de dix mandats, sur 120 députés. Ben Gvir est entré dans la Knesset actuelle après rejoint le parti de droite dirigé par Bezalel Smotrich, qui représente principalement les colons de Cisjordanie. Aujourd’hui, le pouvoir politique de Ben Gvir est presque deux fois supérieur à celui de Bezalel Smotrich.
Meron Rapoport, dans un article sur le site Siha Mekomit, compare l’ascension fulgurante de Ben Gvir à celle de Giorgia Meloni, laquelle a également commencé son parcours politique au sein d’un mouvement fasciste, qui, à l’époque, n’était pas légitime. Comme Meloni, qui vient de gagné les elections en Italie, et d’autres leaders d’extrême droite en Europe, Ben Gvir se présente lui aussi comme étant plus modéré aujourd’hui. La photo du tueur Goldstein n’est plus accrochée dans sa maison et il « ne pense plus que les Arabes devraient être tués ».
Son discours « modéré » trouve des oreilles attentives et il passe très souvent à la télévision. Dans un récent sondage, on constate que 64% des citoyens israéliens soutiennent la « loi sur l’immigration » qu’il propose, laquelle permettrait l’expulsion de tous ceux qui ne soutiennent pas le pays et l’armée israélienne. Il a déjà déclaré qu’il ne s’agissait pas seulement de Palestiniens mais aussi de Juifs, comme par exemple le député Ofer Kasif du parti non sioniste qui s’appelle Hadash.
« Mais pour que Ben Gvir ait le succès de Meloni ou même de Le Pen, il faudrait qu’il fasse ce qu’ils ont déjà fait : écraser les partis de droite traditionnels »,
écrit Rapoport. Pour cela, Ben Gvir devrait écraser le Likud et surtout son chef Netanyahu. Cela semble peut-être lointain aujourd’hui, mais prêtez attention au chiffre suivant : lors des élections de mars 2020, le parti de Ben Gvir a obtenu 0,4% des voix et n’a donc pas réussi à entrer à la Knesset. Alors que le Likud a obtenu 30% des voix. Aujourd’hui d’après les sondages, Ben Gvir recevrait dix mandats et le Likoud entre 31 et 34.
Autrement dit, en deux ans, l’écart entre le Likud et le parti d’extrême droite a été réduit dans une proportion de trente à trois fois. Ben Gvir et Smotrich feront liste commune dans la prochaine Knesset. En faite, c’était Netanyahu qui avait organisé la réunion entre le deux pour qu’ils promettent de former un nouveau parti ensemble. Si le bloc de droite parvient à former un gouvernement, Ben Gvir deviendra un ministre important. Dans n’importe quel pays européen il serait qualifié de néo-nazi. Et en Israël, cela est bien sûr interdit.
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Et maintenant un peu d’histoire. On a déjà beaucoup écrit sur l’occupation israélienne au Liban et sur les relations étroites entre Israël et le président chrétien Bachir Gemayel. On sait également qu’il a été assassiné pour cette raison. Mais il y a quelques jours, Uri Misgav a publié un long article dans Haaretz décrivant la fréquence et l’importance des réunions entre Gemayel et des membres du Mossad et de la direction politique israélienne, et montrant à quel point Israël cherchait à contrôler Gemayel. Ces témoignages, accompagnés de photographies, montrent clairement la relation colonialiste entre Israël et le dirigeant arabe d’un pays voisin.
Avner Azoulai, membre du Mossad au Liban depuis 1981, soit avant même l’occupation israélienne du Liban, dit avoir proposé cette année-là qu’on assigne à Gemayel des agents de sécurité du Shin Bet. Gemayel avait refusé. Ariel Sharon, qui était alors ministre de la Défense dans le gouvernement de Menahem Begin, avait noué des liens étroits avec Gemayel et l’a rencontré à 12 reprises, notamment dans sa ferme du Néguev (construite sur les terres du village palestinien de Huj, dont les habitants avaient été expulsés durant la Nakba).
David Ivri, qui était alors le commandant de l’armée de l’air, a accueilli Gemayel sur une base de l’armée de l’air et a insisté pour l’emmener en vol au-dessus du Liban dans un avion de type Skyhawk. En échange, Gemayel leur a fourni une carte topographique détaillée de son pays qui a ensuite contribué aux frappes aériennes. L’intérêt israélien était comme toujours colonial : contrôler les pays arabes voisins. L’intérêt de Gemayel était qu’Israël l’aide à devenir président et soutienne les Maronites. Ehud Barak, plus tard Premier ministre d’Israël, a déclaré que Tsahal avait formé les commandants supérieurs des phalanges chrétiennes.
Quand Israël a envahi le Liban en 1982, les dirigeants s’attendaient à ce que les chrétiens se joignent aux Israéliens dans la guerre contre les Palestiniens et les Syriens. Gemayel a de nouveau refusé. Azoulai affirme que Gemayel lui a demandé ce qu’il pouvait faire pour apaiser les Israéliens. Et il lui a proposé d’inviter les membres du Mossad à dîner. Lorsque les Israéliens sont entrés dans ce restaurant luxueux, l’orchestre a joué Hava Nagila. Les dirigeants israéliens ont exercé une énorme pression sur le président libanais pour qu’il signe un accord de paix avec Israël. Il a répondu à Begin :
« Qu’est-ce qui est le mieux pour vous – un bon ami mort ou un véritable ami vivant mais pas en paix ? ».
Lorsque Gemayel a été assassiné, dans l’explosion d’une permanence des Phalanges, la personne qui a trouvé son corps était Nachik Navot, un membre du Mossad, qui l’a apporté à la femme de Gemayel. Azoulai dit qu’après l’assassinat, il s’est rendu au quartier général de Gemayel avec son successeur. Il y a trouvé deux boîtes en acajou, une pour lui et une pour Ruffle, que Gemayel leur avait laissées. Dans sa boîte se trouvaient une dédicace personnelle, un pistolet Colt 45 en nickel chromé et une gravure : « à Avner de BG ».
Uri Misgav, qui a écrit l’article susmentionné, participe actuellement à un débat qui a éclaté récemment, principalement dans les pages du journal Haaretz, sur un sujet douloureux : la disparition de centaines d’enfants de familles yéménites dans les premières années de l’État.
Malgré les démentis de l’État et trois commissions d’enquête, qui ont déterminé qu’il n’y avait pas eu de planification des enlèvements de bébés, il existe des témoignages de centaines de cas d’enfants, principalement issus de familles yéménites, disparus dans des hôpitaux. Le principe était que lorsqu’un bébé tombait malade, il était emmené à l’hôpital et, quelques jours plus tard, la famille était informée de son décès. Lorsque la famille demandait à savoir ce qu’il s’était exactement passé et à récupérer le corps pour les funérailles, on leur disait que le bébé avait déjà été enterré et qu’on ne savait pas où. L’attitude envers les familles était humiliante et condescendante. Des témoignages des familles, qui demandent toujours la reconnaissance de l’injustice qui leur a été faite, il ressort qu’elles soupçonnent qu’il y a eu des cas d’enlèvements d’enfants transférés dans d’autres familles, majoritairement ashkénazes. Récemment, les tribunaux ont autorisé l’exhumation des corps des bébés afin de tenter de localiser leurs proches. Cette triste affaire est un élément central du clivage qui existe dans la société israélienne entre Ashkénazes et Mizrahim. Mais Misgav affirme qu’il n’y a pas eu un seul cas avéré d’enlèvement de bébé. Pour lui, il s’agit d’un complot sanguinaire et malveillant. Il a même demandé à la Fondation New Israel Fund de cesser de soutenir financièrement les activités de l’association venant en aide aux familles des enfants disparus. La Fondation a répondu qu’elle était fière de soutenir cet important projet. Une autre journaliste, Na’ama Riva, a écrit que le but de l’activité de cette association était de promouvoir la haine des Ashkénazes en Israël. Riva a même fait le lien entre cette affaire et le grand massacre perpétré par des soldats de la Brigade Alexandroni dans le village palestinien de Tantura en mai 1948. Le « gonflement » du nombre de morts visait, selon elle, à faire des reproches aux fondateurs de l’État ashkénaze.
La difficulté de nombreux Israéliens à faire face aux crimes passés commis par leur pays existe à ce jour et pas seulement dans la droite politique. Le déni de la Nakba et l’énorme injustice infligée aux Mizrahim sont des éléments centraux de l’identité coloniale israélienne.
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Et enfin, le cas d’un incident raciste récent. Trois nourrices arabes de Jérusalem-Est ont été contraintes de quitter leur emploi dans un jardin d’enfants de la ville juive de Holon, à la suite de pressions et de menaces des parents d’enfants. Les parents ont exigé que les travailleuses leur montrent leur carte d’identité et leur ont crié d’ « aller à Gaza ou à Ramallah ». Ces femmes se sont senties menacées et ont appuyé sur un bouton de détresse pour appeler à l’aide. Les parents ont déclaré qu’elles ne seraient pas autorisées à s’occuper de leurs enfants parce qu’elles n’avaient pas passé de contrôle de sécurité. Une mère a affirmé que ce n’était pas du racisme, à Dieu ne plaise, mais de la peur :
« Nous vivons en Israël, ce matin même il y a eu un échange de tirs, la peur n’est pas du racisme. »
Mais c’est exactement ce qu’est le racisme : attribuer des caractéristiques de violence à tout un groupe de population. Le lien entre les tirs à la frontière et le rejet des Palestiniens à l’intérieur du pays est l’essence de l’expérience israélienne. Des racistes sont élevés dans des jardins d’enfants et deviennent des soldats. C’est la « preuve » qu’il faut éduquer au nationalisme.
Le racisme a été si flagrant que le président de l’organisation qui gère les jardins d’enfants – une organisation sioniste nommée Naamat – a réagi vivement :
« racisme et discrimination de toute nature – pas dans notre école. Honte. Nous protégerons le droit de toutes nos travailleuses à travailler, quelle que soit leur origine ou leur religion. C’est incroyable que cela doive être clarifié dans l’État d’Israël en 2022. ‘’
Mais malheureusement, ce n’est pas incroyable.
C’est tout pour le moment. J’apprécierais vos commentaires. À bientôt. Eitan Bronstein – Aparicio.