La non-violence n’est qu’une partie d’une stratégie en vue de la libération

Avec la croissance du militantisme palestinien, il importe de réviser les notions problématiques et déshumanisantes de la « non-violence » palestinienne en tant quunique forme acceptable de résistance.

 

La non-violence à elle seule ne libérera pas la Palestine. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

La non-violence à elle seule ne libérera pas la Palestine. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

 

Omar Zahzah, 27 octobre 2022

Les raids militaires violents sont une réalité constante pour les Palestiniens qui vivent sous l’occupation militaire coloniale israélienne.

À cette fin, comme l’affirment Mariam Barghouti et Yumna Patel dans Mondoweiss, les châtiments collectifs brutaux, dont fait partie l’opération « Break the Wave » (briser la vague) lancée par Israël en mars dernier, devraient être perçus comme une « continuation » de l’opération « Law and Order » (la loi et l’ordre) lancée en 2021 contre l’Intifada de l’Unité, et de l’opération « Breaking Dawn » (aube naissante) lors de l’offensive d’août 2022 contre Gaza.

Mais quelque chose d’important distingue la dernière série d’offensives brutales : Elles sont confrontées à une résistance armée palestinienne de plus en plus efficiente, qui regroupe des combattants de la plupart des organisations armées palestiniennes, dont les Brigades al-Quds, le Djihad islamique palestinien (DIP) et les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, du Fatah. Des collectifs de résistance armée plus modestes, récemment établis, comme la Fosse aux Lions, se sont constitués et peuvent être soutenus par ces formations plus importantes déjà existantes, mais ils opèrent également de façon quelque peu indépendante. Ils partagent des membres avec le Fatah, le Hamas, le DIP et le FPLP.

Écrivant pour Al Jazeera, Zena Al Tahhan rapporte que l’apparition d’une nouvelle génération coordonnée de combattants de la résistance palestinienne a significativement impacté les calculs des dirigeants israéliens, qui ne peuvent tout simplement pas attaquer en toute impunité.

Sari Orabi, un analyste politique palestinien cité dans l’article d’Al Tahhan, affirme que l’offensive israélienne d’août contre Gaza « devait être brève », avec des

« frappes très rapides et consécutives contre le DIP. Si elles avaient duré plus longtemps, nous aurions alors pu voir surgir des opérations armées en Cisjordanie ».

Cette résistance armée palestinienne a atteint une fois de plus le point où elle peut influencer les diktats des calculs militaires coloniaux, et c’est un développement important, sans doute de bon augure pour la perspective de la libération palestinienne. Après tout, au cours de l’histoire, les mouvements de libération ont déployé une grande diversité de tactiques.

Avec la croissance du militantisme palestinien, il importe de réviser les notions problématiques et déshumanisantes de la « non-violence » palestinienne en tant qu’unique forme acceptable de résistance. Mon problème ne concerne pas la résistance non violente en tant que telle (une nouvelle fois, les luttes de libération nécessitent une diversité de tactiques), mais bien les voies limitées qu’elle peut emprunter pour soutenir la Palestine.

Plus spécifiquement, je crois qu’il y a une itération problématique et obsessive de la « non-violence » au sein du mouvement de solidarité élargi avec la Palestine, et cela déshumanise les Palestiniens, normalise le sionisme et, finalement, utilise les cadres racistes et coloniaux pour faire progresser la notion selon laquelle les moyens de la résistance palestinienne sont plus dérangeants que la réalité du colonialisme sioniste de peuplement.

En tant que telle, j’estime que cette logique doit être dénoncée et contestée de façon à garantir un plein respect envers l’humanité et la façon d’agir des Palestiniens dans la lutte en cours pour la libération du fleuve à la mer.

 

Une logique réductrice

Bien que publié il y a 13 ans, l’article « The Missing Mahatma » (Le mahatma manquant) du journaliste américain né en Israël Gershom Gorenberg reste un grand exemple de la logique réductrice qui donne forme à la fétichisation libérale-gauchiste déshumanisante de la « non-violence » palestinienne.

Gorenberg entame l’article par un épisode de fiction impliquant un Palestinien de sa propre invention, Sheikh Nassar a-Din al-Masri, anciennement membre militant du Hamas et qui était passé à la résistance non violente après avoir lu un traité sur la tactique de l’écrivain syrien Jawdat Said, un érudit islamique relativement bien connu et qui, en prison, prêchait la non-violence comme étant le véritable message de l’Islam.

Gorenberg admet qu’al-Masri  « n’existe que comme faire-valoir d’une question : Pourquoi n’y a-t-il pas de Gandhi palestinien, pas de Martin Luther King palestinien ? ».

L’habilitation apparemment non contestée grâce à laquelle cet auteur israélien estime correct, pour établir la teneur morale de sa question, d’utiliser une caricature fictionnalisée et parodique d’un peuple bien vivant engagé dans une lutte anticoloniale, semble être un reflet approprié de l’arrogance déshumanisante consistant à faire dépendre uniquement le soutien à la libération palestinienne des seuls moyens utilisés pour résister.

Il est également fait référence à Mubarak Awad, un professeur palestino-américain, fondateur de Nonviolence International et, toute sa vie durant, avocat de la centralité de la non-violence dans la lutte palestinienne.

Le titre du texte s’inspire en partie du désir qu’on cite chez Awad de voir une éminente personnalité musulmane devenir le coordinateur d’un mouvement consacré à la non-violence, quelqu’un qui « serait capable d’être le Gandhi des Palestiniens ».

Gorenberg tente subtilement de saper les critiques d’une approche essentiellement non violente de la liberté palestinienne en émettant la réflexion que même le massacre d’Amritsar en 1919

« n’avait pas convaincu Gandhi de voler des armes et de prendre la direction des collines. Au contraire, il avait plutôt approfondi son engagement vis-à-vis de la satyagraha, l’action non violente ».

Le lecteur a le sentiment que même la non-violence palestinienne n’est pas suffisamment non violente, aux yeux de Gorenberg. La chose est suggérée dans ses critiques de la Première Intifada qui, selon lui, ne s’est pas suffisamment rapprochée de l’exemple de Gandhi.

L’intifada, écrit Gorenberg,

« était désarmée, pour autant qu’‘armes’ soit une référence à ‘armes à feu’ et non à des bouteilles remplies d’essence ».

La pierre elle aussi semble sceller le marché en faveur du caractère authentiquement non violent de la résistance palestinienne, étant donné que l’image d’un garçonnet debout au pied d’un char, une pierre à la main,

« est proche de la logique gandhienne, mais proche uniquement, à moins qu’on imagine Gandhi incitant ses followers à la fois à se mettre en grève et à maîtriser la catapulte. Non armé ne signifie pas non violent ».

 

Une tendance persistante

Dix ans d’organisation pour la libération de la Palestine et deux ans à former d’autres personnes sur l’histoire politique palestinienne et la justice raciale m’ont montré que, même si le mouvement de solidarité avec la Palestine s’est épanoui de plusieurs façons importantes, les points de vue problématiques mis en évidence par Gorenberg restent une tendance persistance des croyances des activistes de la solidarité avec la Palestine à propos de la résistance palestinienne.

Pour certains individus, l’émergence du mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) leur a fourni le tout dernier contre-exemple d’utilisation de la résistance armée palestinienne dans les débats politiques. Pour être clair, ce n’est pas une critique de BDS, mais de la façon dont certains acteurs du mouvement de solidarité promeuvent BDS comme la seule forme acceptable de résistance palestinienne.

BDS est l’une des séries de tactiques dans la lutte élargie pour la libération de la Palestine – tactiques qui incluent la résistance armée, comme dans tout autre mouvement de libération de l’histoire (et c’est quelque chose que l’historicisation de Gorenberg à l’usage des collégiens omet, étant donné l’absence flagrante de référence à Bhagat Singh, un partisan de la résistance armée dans la révolution indienne).

Secundo, comme cela se reflète dans le malaise de Gorenberg à propos de l’estime des Palestiniens pour la pierre, le culte libéral pour une notion caricaturée de la « non-violence » est probablement destructeur pour les luttes de libération, parce que sa tolérance de la tactique ne cesse de se réduire.

De façon décevante, la « violence » passe de la brutalité infligée par Israël à toutes les choses que les Palestiniens peuvent faire et qui invariablement mettent les libéraux mal à l’aise. Il est tentant d’imaginer avec quel entêtement ces activistes de la « solidarité » s’accrocheraient à leur « non-violence » s’ils étaient forcés de souffrir en raison des innombrables indignités auxquelles les Palestiniens sont confrontés quotidiennement.

Si on les pousse trop loin, les fixations problématiques sur la non-violence courent le risque d’oublier que la « violence » est le char blindé– et l’État au nom duquel le char opère – plutôt qu’un gosse qui manie un caillou. Selon cette logique, la seule chose que les colonisés sont autorisés de faire, c’est de mourir devant la caméra. Rien de moins que la parfaite performance de la mort, semble-t-il, gardera heureux ce genre d’activistes de la « solidarité ».

Et c’est là où le caractère réellement déshumanisant du culte libéral de la « non-violence » attire l’attention. Considérer la résistance anticoloniale militante comme comparable (bien moins égale toutefois) à l’oppression génocidaire par l’État sioniste constitue le summum de la faillite éthique.

Pourtant, c’est un point de vue normalisé par les organisations libérales des droits humains comme Human Rights Watch, dont le cadrage du Hamas, prétend Maureen Clare Murphy,

« établit une fausse parité entre, d’une part, une puissance coloniale dotée de l’un des arsenaux militaires les plus puissants au monde et, d’autre part, des combattants sans État d’une guérilla dans un territoire assiégé et régulièrement bombardé ».

Alors que le travail de ces organisations fournit des catégories utiles qui peuvent aider à rendre la violence coloniale de peuplement d’Israël lisible et exploitable (du moins en théorie) dans certains contextes, leur incapacité d’opérer la distinction entre la résistance des colonisés et la violence du colonisateur révèle le peu d’à-propos qu’il y a d’utiliser leurs cadres en tant que baromètre ultime de l’éthique politique.

 

Une stratégie

La mythologie libérale de la « non-violence » soulignée par Gorenberg et les activistes partageant sa vision des choses dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, négligent le fait que l’action politique non violente est une stratégie.

Selon cette vision, il est utile de répondre à une brutalité cautionnée par l’État par rien de moins qu’une simple passivité stoïque, parce que les images qui en découlent inciteront les sympathisants latents à passer à l’action. En ce sens, l’action politique non violente n’est pas tant le rejet pur et simple de la violence qu’une dépendance calculée (et extrêmement risquée) de la violence étatique.

Les images du mouvement américain des droits civiques et des soulèvements palestiniens de 1987 à nos jours, sont truffées de ces exemples ; la pression des médias mondiaux qui se sont emparés des descriptions des brutalités de l’armée israélienne au cours de la Première Intifada ont même contribué à assurer la libération de manifestants palestiniens.

Une fois encore, toutefois, nous parlons d’une forme de résistance parmi tant d’autres. Les mouvements de libération ont besoin d’une pluralité de tactiques et d’approches. En idéaliser une forme et utiliser des méprises triées sur le volet et hautement réductrices à propos d’un seul mouvement de libération comme moyen d’en discipliner un autre a un effet déshumanisant.

Cela peut également amener des choses terribles en politique.

La « violence » ultime dans la lutte palestinienne est l’existence même de l’État sioniste, un État fondé sur un nettoyage ethnique et un génocide, lesquels continuent à le maintenir en place.

Une concentration exclusive sur la « non-violence » peut négliger ce fait en déplaçant toute l’attention sur le comportement des Palestiniens colonisés et en se centrant trop sur le confort des « experts » de la politique étrangère libérale et des activistes de la « solidarité ».

Pendant ce temps, l’éléphant dans la pièce – le colonialisme de peuplement sioniste et le besoin de le démanteler entièrement – continue d’être ignoré. Il n’est guère étonnant que des Israéliens comme Gorenberg puissent parler autant et de façon si critique de la « non-violence ». Le faire laisse à l’abri des contestations l’existence même de l’État sioniste ; c’est quelque chose qui doit tout simplement être « accepté » par souci de garder un esprit « pratique » et comme une façon de « compromis ».

Comme si les Palestiniens devaient « faire des compromis » à propos du vol de leurs terres et de leurs existences.

Les exemples de héros palestiniens comme Ibrahim al-Nabulsi, Islam Sabbouh, Udai Tamimi et Tamer al-Kilani suggèrent que la résistance armée palestinienne n’est pas près de disparaître. En effet, elle semble être devenue une composante vitale d’un modèle plus large de résistance collective au colonialisme de peuplement sioniste.

Une fois encore, l’histoire venge ce développement : Comme Azzam Tamimi l’affirme dans un article défendant la centralité de la résistance armée pour mettre un terme à l’apartheid sioniste :

« Ce ne sont pas que des boycotts et des sanctions qui ont abattu le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Alors qu’ils ont joué un rôle, ils ont été complémentaires de la résistance militaire, qui a été créditée d’avoir rendu l’apartheid trop coûteux pour la minorité suprémaciste blanche et ses sponsors en Occident. »

Quand la présence d’une entité coloniale de peuplement, militarisée et génocidaire ennuie moins les individus que les moyens par lesquels les colonisés résistent, il est probablement temps de repenser sa « solidarité ».

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Omar Zahzah est le coordinateur d’Eyewitness Palestine pour l’éducation et la promotion. Il est également membre du Mouvement de la Jeunesse palestinienne et de la Campagne américaine pour le boycott académique et culturel d’Israël. Le présent article reflète uniquement ses propres opinions.

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Publié le 27 octobre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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