Comment la négligence tue des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes
Quand des maladies banales deviennent fatales ou comment la négligence tue des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes
Lubna Abuhashem, 25 octobre 2022
Souad al-Amour, 65 ans, a longtemps attendu la libération de son fils, Sami al-Amour, détenu depuis 2008. Ses espoirs se sont éteints, toutefois, avec la mort de son fils dans une prison israélienne.
Le prisonnier palestinien de 39 ans, condamné à 19 ans, est mort en 2021, suite à une maladie cardiaque. Le Service carcéral israélien (IPS) a prétendu que Sami était atteint d’une affection cardiaque congénitale.
« Au cours des 25 ans qu’il a vécu avec moi, Sami n’a jamais été à l’hôpital pour la moindre maladie cardiaque »,
partage Souad.
Tous les jours, il escaladait ou descendait de la colline conique près de chez nous. »
Souad sait seulement une chose, c’est qu’en prison, son fils souffrait de problèmes à l’estomac et d’hypertension.
« Personne ne sait comment je vis maintenant. Je ne parviens pas à croire qu’il est mort. Je ne m’attendais pas à cela. Je ne savais pas que sa santé s’était détériorée, les trois derniers mois »,
soupire Souad.
Hussain al-Zuraei, un ex-détenu qui a accompagné Sami dans la même prison pendant un bout de temps, explique à The Palestine Chronicle :
« Le poids de Sami n’était plus que de 37 kilos, dans ses derniers jours, bien qu’il n’ait jamais fait de grève de la faim. C’était bizarre… Nous nous sommes battus avec l’IPS afin de lui obtenir le traitement nécessaire. »
La veille de la mort de Sami, l’IPS l’a transféré à l’hôpital en bosta, le fourgon cellulaire des prisons israéliennes, aux sièges en métal et sur lesquels les prisonniers palestiniens sont menottés et entravés pendant toute la durée du trajet. Il a même été forcé de porter son sac de vêtements lui-même.
Dans la bosta, Sami et les autres détenus ont dû attendre à la porte de la prison pendant des heures pour des raisons sécuritaires. Les détenus ont dit à Hussain que l’état de Sami empirait à vue d’œil, pendant l’attente, de sorte qu’ils ont cogné sur le métal afin de pouvoir faire venir un infirmier ou quelqu’un d’autre. Personne n’a répondu.
Hassan Kenita, chef du département des affaires des détenus et ex-détenus pour les gouvernorats du sud, déclare à The Palestine Chronicle :
« Sami est un exemple flagrant d’une politique de négligence sanitaire. Logiquement, il conviendrait de suivre les procédures les plus simples pour envoyer un patient à l’hôpital. S’ils avaient vraiment eu l’intention de le tirer d’affaire, les choses se seraient terminées différemment. Au lieu de cela, ils l’ont transféré par la bosta, qui n’est pas équipée du tout pour les patients. »
Souad n’a toujours pas récupéré le corps de son fils, vu que l’IPS rejette sa demande de restitution de corps tant que la peine de prison n’aura pas été épuisée dans sa totalité.
« J’attends son corps. Je veux le voir. Je vide les larmes de mes yeux chaque jour », se lamente sa mère. « Que se serait-il passé s’ils l’avaient libéré une fois qu’il était mort ? Faites attention, avec les détenus restants. Mon fils est mort. Mais bien des détenus sont toujours dans les prisons. »
Toujours en vie, rien que pour attendre
Les yeux embués, une mère palestinienne rappelle comment elle reste sans sommeil, à compter les jours et les heures qui la séparent de la prochaine visite à son fils. Tous les deux mois, elle entreprend un long voyage épuisant de neuf heures afin de pouvoir lui rendre visite pendant 45 minutes.
La mère du détenu explique à The Palestine Chronicle qu’il ne faut pas mentionner le nom de son fils du fait que l’IPS va l’empêcher de lui rendre visite. Il purge une condamnation à vie et sa mère craint que révéler ce qu’il souffre en prison ne l’expose à des représailles.
« Lors de ma dernière visite, le 23 août 2022, il semblait si las et il m’a dit qu’il revenait de la clinique, trois jours plus tôt. Il y était allé pour pouvoir respirer artificiellement, vu qu’il venait d’avoir une crise d’asthme »,
dit la mère du détenu.
« Je n’ai pu contrôler mes larmes, quand j’ai entendu cela. Je ne suis pas avec lui. Aucun de ses frères et sœurs ne sont avec lui non plus »,
ajoute-t-elle, affligée.
Son fils, emprisonné à l’âge de vingt ans, n’avait pas eu de maladies avant son arrestation. Toutefois, actuellement, après avoir purgé 21 ans de sa sentence, il souffre d’un ulcère à l’estomac, de crises d’asthme, d’anémie et d’hémorroïdes. Il a subi quatre opérations qui ont toutes échoué : il ne peut toujours pas aller à selle normalement.
« À chaque visite, je lui dis : ‘Je voudrais briser la vitre entre toi et moi.’ Je ne veux que pouvoir avancer la main et toucher mon fils. C’est mon fils et je ne peux pas le toucher »,
a-t-elle dit.
La mère est consciente qu’elle ne dispose pas d’informations complètes au sujet de la vie de son fils en prison.
« Mon fils ne me dit pas tout, afin de ne pas me décourager. »
Toutefois, Alaa AbuJazer, un ancien détenu, représentant des détenus entre 2006 et 2021, explique que, selon les statistiques de 2019, pas moins de 90 % des détenus dans les prisons israéliennes souffraient de différents types de problèmes stomacaux.
« Les poulets que mangent les détenus sont inconsistants et non nutritifs. Ils n’ont rien à voir avec des poulets »,
déclare Alaa.
Alaa explique pourquoi nombre de détenus souffrent d’anémie et ont des hémorroïdes :
« Une fois par mois, chaque détenu a l’autorisation d’acheter trois kilos de légumes et de fruits. Ainsi donc, chacun achète environ deux kilos de légumes, comme des oignons et des pommes de terre, et un kilo de fruits. Et ils donnent à chacun de nous, à leurs frais, 180 grammes d’espèces spécifiques de fruits quotidiennement. Nous comptons surtout sur le riz et le pain pour nous sentir pleinement rassasiés. »
Ils sont nombreux à avoir des hémorroïdes, vu que, durant l’enquête, les détenus dorment sur le sol, qui est humide. Sous le prétexte des « raisons sécuritaires », les fenêtres des cellules de la prison sont trop petites, de sorte que la vapeur de la cuisson et des douches d’eau chaude remplit les cellules. Il n’y a pas de ventilation et les détenus ont des crises d’asthme.
Mohammed Abuhashem, un enquêteur juridique du Centre palestinien pour les droits humains, explique :
« Dans ses articles 89 à 92, la Quatrième Convention de Genève oblige l’État qui emprisonne à garantir aux détenus le droit à la santé en leur fournissant les soins médicaux nécessaires de même que des conditions sanitaires adéquates, y compris une nourriture bien équilibrée, des mesures de santé préventives et des lieux de détention adéquats. De tels droits ne seront aliénés en aucune circonstance ni non plus sous le prétexte de raisons sécuritaires. »
« Certains détenus attrapent la grippe de nombreuses fois avant un traitement. Quand nous leur disons que quelqu’un à la grippe, ils disent qu’il doit prendre un antidouleur et des boissons chaudes. L’inflammation non traitée dans les poumons s’aggrave et se transforme en une crise d’asthme »,
révèle Alaa.
La mère dit que, lors d’une visite, son fils lui a dit que, s’il était libéré, il voulait qu’elle lui prépare des légumes à l’étouffée, de la pâtisserie aux épinards, et de la somaqia, un plat palestinien.
« Je ne cesse de prier Allah pour qu’Il me laisse vivre jusqu’à la libération de mon fils afin de pouvoir lui préparer tous ces plats qui lui manquent »,
dit la mère.
Kenita raconte :
« En 1987, Ibrahim Alyan, un ancien prisonnier, souffrait d’une maladie cardiaque et il a subi avec succès une opération à cœur ouvert. Il est toujours en vie et il est très actif. De nos jours, sous les nouveaux gouvernements israéliens qui imposent de nouvelles mesures, si un détenu fait de l’hypertension ou souffre de diabète, on peut s’attendre au pire : la mort. Malgré le fait qu’aujourd’hui, Israël est certainement plus développé dans le domaine médical qu’il ne l’était dans le passé ».
Abuhashem ajoute :
« Les témoignages disant que les détenus souffrent d’une négligence médicale systématique et intentionnelle fournissent de sérieux indices qui révèlent une possibilité de crimes de guerre et qui pourraient équivaloir à un génocide contre les prisonniers palestiniens ; toutefois, il faudra réunir des preuves, pour prouver de tels crimes. L’IPS doit ouvrir les prisons aux inspections et investigations internationales, de sorte que le monde entier puisse savoir ce qui se passe contre les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes.
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Lubna Abuhashem, qui vit à Gaza, écrit en qualité de free-lance et elle est également traductrice. We Are Not Numbers a contribué via cet article à The Palestine Chronicle.
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Publié le 25 octobre 2022 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine