Tony Greenstein : Comment les sionistes ont collaboré avec les nazis. Partie I.

The Electronic Intifada a invité l’activiste et blogger Tony Greenstein dans un podcast. Vétéran du mouvement de solidarité avec la Palestine au Royaume-Uni, Greenstein parle de son nouveau livre, Zionism During the Holocaust: The Weaponization of Memory in the Service of State and Nation (Le sionisme durant l’Holocauste ou comment faire de la mémoire une arme au service de l’État et de la nation).

La couverture du livre : Le sionisme pendant l’Holocauste : The Weaponization of Memory in the Service of State and Nation, par Tony Greenstein.

Nora Barrows-Friedman, 2 novembre 2022

Avec une analyse antisioniste, le livre de Greenstein plonge dans l’histoire de la collaboration du mouvement sioniste avec l’extrême droite, incluant même l’Allemagne nazie, dans le même temps qu’il cherchait à bâtir l’État d’Israël.

Les articles que nous avons discutés

« Israel’s November election choice is between the far-right and the further-right » (Le choix de l’élection de novembre se situe entre l’extrême droite et l’ultra-droite), par Tony Greenstein
« Zionism during the Holocaust: The weaponisation of memory in the service of state and nation – Book review » (Le sionisme durant l’Holocauste ou comment faire de la mémoire une arme au service de l’État et de la nation – critique de livre), par Jim Miles, The Palestine Chronicle
 

 

Productrice de la vidéo : Tamara Nassar
Musique : Sharif Zakout

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Transcription complète du podcast

Texte légèrement retouché pour plus de clarté.

Asa Winstanley. Eh bien, nous sommes ici aujourd’hui en compagnie de Tony Greenstein, qui doit être connu de bon nombre de nos auditeurs et spectateurs. Mais, pour ceux et celles d’entre vous qui ne le sont pas, Tony Greenstein est un vétéran du mouvement de solidarité avec la Palestine au Royaume-Uni.

C’est un activiste et un blogger. C’est un juif antisioniste, iconoclaste et sans compromission. Depuis des années, à mes yeux, son blog est vraiment une source inestimable. Je m’en suis inspiré pour une grande partie de mon journalisme.

Et je le considère comme une source essentielle pour tous ceux et celles du mouvement de solidarité avec la Palestine. Tony ne fait jamais de cadeau. Et il dit toujours la vérité, une vérité sans fard, dirions-nous, telle qu’il la perçoit. Et j’apprends toujours quelque chose de neuf, dans les blogs de Tony.

Et, maintenant, il est l’auteur d’un nouvel ouvrage intitulé Le sionisme durant l’Holocauste, qui sera très bientôt en vente. J’en ai un exemplaire ici, que les spectateurs de YouTube pourront voir, et je pense que je vais en faire une critique un de ces jours pour EI. Mais je pense, là, maintenant, je puis le dire, que c’est une lecture essentielle. Et j’y ai appris bien des choses.

Donc, nous allons en parcourir une partie dans cet épisode du podcast. Comme le suggère le titre, le livre traite d’un sujet qui, pour beaucoup de personnes, est souvent extrêmement controversé. Il s’agit de la question de la collaboration historique du mouvement sioniste avec l’extrême droite, incluant même l’Allemagne nazie. Ainsi donc, après cette entrée en matière, Tony, bienvenue dans l’émission.

Tony Greenstein. Merci. Merci, Asa et Nora.

Nora Barrows-Friedman. Merci d’être avec nous.

 

Asa Winstanley. Parlez-nous donc de votre livre et de ce qui vous a inspiré pour l’écrire.

Tony Greenstein. Eh bien, le premier livre sur la collaboration sioniste a été écrit voici près de 40 ans par Lenni Brenner. Et il n’y a rien eu depuis. Il y a eu beaucoup de recherche, beaucoup d’articles de presse et de livres, etc. Mais il n’y a rien eu du tout, selon une perspective antisioniste. Et j’ai senti qu’il était nécessaire de le faire. Parce que, comme nous pouvons le voir, aujourd’hui, l’Holocauste est exploité implacablement par le mouvement sioniste. La très fausse définition de l’antisémitisme – celle de l’IHRA (ou AIMH) – a été produite ou utilisée par une organisation qui se donne pour nom Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ; en anglais IHRA, International Holocaust Remembrance Alliance).

Et c’est ainsi que les sionistes ont très étroitement lié l’Holocauste au discours prétendant qu’Israël est un refuge, une défense, une réponse à l’antisémitisme. Et j’ai pensé qu’il était extrêmement important, en fait, de voir ce qu’il s’était passé durant l’Holocauste. Quelle était la vision sioniste, à l’époque ? Parce que vous présumeriez, vu la façon dont ils y recourent aujourd’hui, que les sionistes étaient alors en première ligne pour tenter de sauver les juifs, de soutenir les juifs dans l’Europe occupée par les nazis, d’ouvrir des routes menant au sauvetage.

Ainsi donc, toute personne qui lira le livre, je pense, sera très surprise par le fait que, pendant la guerre, les sionistes ont perçu l’Holocauste comme un détournement total de leurs propres efforts, qui visaient la construction de l’État juif. Bien sûr, entre 1941 et 1945, il n’y avait pas d’État juif, mais il était en perspective. Et ils le considéraient comme leur seul et unique but.

Ils ont organisé la conférence de Baltimore en [mai] 1942, au moment où l’Holocauste prenait justement cours avec les camps d’extermination. Bien sûr, près d’un an avant cela, lors de l’opération Barbarossa, l’invasion de la Russie avait débuté, au moment où les escadrons de la mort, les Einsatzgruppen, avaient suivi les traces de l’armée allemande, nettoyant les juifs en Galicie, en Ukraine, en Biélorussie, etc.

Mais, non seulement à cette époque les sionistes n’étaient pas embarrassés par l’Holocauste, ils tentaient activement aussi d’empêcher les personnes désireuses de fournir un refuge de le faire. Et c’était là la chose surprenante. Ils avaient une logique bizarre et incroyable. Mais c’était leur logique. La logique sioniste était que là où il y avait des juifs, il y avait de l’antisémitisme. Ce sont les juifs qui causent l’antisémitisme, parce qu’ils vivent dans les pays d’autres peuples. Pour reprendre les mots d’A.B. Yehoshua [un romancier israélien], ils sont des hôtes dans les hôtels d’autres peuples et, bien sûr, ils ont abusé de leur hospitalité.

Ainsi donc, transplanter simplement les juifs de l’Europe occupée par les nazis vers l’Amérique ou la Grande-Bretagne ne résoudrait pas le problème. Il récréerait simplement de l’antisémitisme dans un autre endroit. Et c’est ainsi qu’il fallait se montrer cruel, pour être gentil et dire que le seul lieu de peuplement était la Palestine.

Et c’est pourquoi ils ont saboté activement – et cela a été enregistré – je veux dire, Selig Brodetsky (à l’époque président de la Commission juive des députés) a activement saboté les efforts de sauvetage du secrétaire du comité de sauvetage du grand rabbin, le rabbin Solomon Schonfeld, un rabbin – et docteur – très distingué. Il a donc saboté activement cette tentative de sauvetage.

Schonfeld a obtenu la signature, sous une pétition, de 40 à 50 parlementaires, évêques et diverses autres personnalités, des pairs, etc. disant « ouvrez les portes », parce que, en 1942, avec la déclaration des Alliés du 17 décembre selon laquelle un Holocauste était en cours – car les gens n’avaient pas compris d’emblée que les nazis ne se contentaient pas de tuer des juifs au cours de pogroms, mais qu’en fait, ils les exterminaient systématiquement – il y a eu une vague massive de répulsion et 80 pour 100 des Britanniques ont dit « laissez-les entrer quand même ».

Le gouvernement britannique, naturellement, n’a pas été d’accord et c’était un gouvernement travailliste de coalition, sous Herbert Morrison, le secrétaire d’État à l’Intérieur. Schonfeld avait été désigné par le grand rabbin et Dr [Joseph] Hertz. Le Dr Solomon Schonfeld, tel était son nom. Et il disposait de tous ces plans de sauvetage, qu’il voulait mettre en opération. Et la Commission des députés, elle, était dirigée par Selig Brodetsky, qui en était devenu le président en 1940 – avant cela, elle avait été aux mains des antisionistes bourgeois. Une fois que Brodetsky eut mis la main sur la commission et que les sionistes s’en furent emparés, ils s’opposèrent avec véhémence à tout sauvetage quel qu’il fût. Mais c’est le genre d’histoire qu’on ignore.

J’ai cité une lettre dans The Jewish Chronicle, de Marcus Retter, qui était son proche assistant. Il passe l’affaire en revue. Et il y a un échange de correspondance dans The Jewish Chronicle. Et l’historien de la communauté juive britannique aujourd’hui, le Dr Jeffrey Alderman, a écrit une lettre de réponse à la fille de Selig Brodetsky, pour lui dire :

« Oui, tout ce que Marcus Retter dit est correct. Et vous n’êtes pas obligée de le croire, vous pouvez retourner aux colonnes de correspondance du Jewish Chronicle, quand Brodetsky défend ce qu’il a fait, parce que, dit-il, ‘ce n’était pas la manière adéquate de le faire, vous devez passer par les voies officielles’. »

Ainsi donc, il était davantage préoccupé par la procédure et protocole, alors que les gens brûlaient à Auschwitz, littéralement – 10 000 par jour ! Et voilà, si vous appréciez une illustration des profondeurs de la dépravation du mouvement sioniste…

Et cela doit être dit : Les antisionistes bourgeois n’étaient brillants en aucune façon quand ils dirigeaient la Commission des députés, n’ayez nul doute à ce propos. Mais ils avaient néanmoins été responsables du Kindertransport (transfert des enfants) en 1938-39, une opération qui avait sauvé 10 000 enfants juifs allemands et les avait fait venir en Angleterre.

Et peut-être pourrais-je citer un passage de mon livre. Il y est question de David Ben-Gourion, qui devint le premier Premier ministre d’Israël, l’homme qui fut le plus longtemps Premier ministre jusqu’à l’arrivée de Netanyahou. Il était à l’époque président de l’Agence juive, qui était un quasi-gouvernement-en-attente. Et, de ce plan visant à transférer 10 000 enfants juifs, il avait dit ceci :

« Si je savais qu’il serait possible de sauver tous les enfants en Allemagne en les transférant en Angleterre, et la moitié d’entre eux seulement en les transportant en Eretz-Israël, j’opterais alors pour la seconde alternative. Pour moi, nous devons envisager non seulement la vie de ces enfants, mais aussi l’histoire du peuple d’Israël. »

Et, bien sûr, il ne fut pas la seule personne à s’exprimer en ce sens.

Chaim Weizmann avait été tout aussi catégorique. Malcolm MacDonald était le secrétaire d’État aux Colonies, à l’époque, et il a rappelé – et ça se trouve dans le livre de Nicholas Bethell, The Palestine Triangle, pour ceux et celles que la source intéresse, mais tout cela est dans le livre –, il a dit ceci :

« Je me rappelle qu’à l’époque, l’attitude de Weizmann m’avait choqué. Il insistait pour que les enfants aillent en Palestine. En ce qui le concernait, c’était la Palestine ou nulle part. »

Et, quand MacDonald avait refusé de garantir que les enfants iraient en Palestine, Weizmann lui avait dit :

« Nous allons nous battre contre vous. Et quand je parle de se battre, je veux dire se battre ! »

Telle avait donc été l’attitude sioniste pendant la guerre.

En effet, la première proposition en vue d’ériger Yad Vashem, le musée de propagande de l’Holocauste en Israël, est venue en 1943 ou 1944, de Mordechai Shenhavi. Je pense que c’était en 1943 (En 1942, en fait, NdR). Alors que la plupart des juifs étaient encore en vie, il a proposé de créer un mémorial dédié à ceux qui étaient toujours vivants. Je veux dire qu’ils calculaient le meilleur parti qu’ils allaient tirer après la guerre de ceux qui allaient mourir. Et c’est cela l’extrême dépravation de la chose.

Nora Barrows-Friedman. Chaim Weizmann, pour que les choses soient claires pour nos auditeurs, a été le premier président de l’État d’Israël.

Tony Greenstein. C’est exact. Et un président très longtemps en place de l’Organisation sioniste mondiale, avant cela. Une personnalité majeure de l’histoire sioniste. Telle a donc été leur attitude. Aujourd’hui, naturellement, vous ne pourriez même pas avoir une idée de la chose. Et toute personne qui en parlerait serait condamnée. Je veux dire, pas rien que moi… Ben Hecht, qui était un sioniste révisionniste, a été attaqué et diabolisé. Et, comme je le dis, il était un sioniste de droite. Mais il avait parlé de ça dans un livre intitulé Perfidy, en 1961-1962, sur le procès Kasztner – je puis y revenir plus tard – en Israël, le procès d’un collaborateur majeur.

Asa Winstanley. Oui, je voudrais y revenir un peu plus tard.

Tony Greenstein. Hannah Arendt en était une autre. Elle a probablement été la plus grande philosophe politique du siècle dernier. Elle-même était une réfugiée de l’Allemagne nazie. Elle a écrit un livre, Eichmann in Jerusalem, qui a traité certains de ces thèmes, parce qu’elle avait vu clair au travers du procès Eichmann, qui avait été un procès pour le show. Tout le monde savait qu’Eichmann était coupable, naturellement. Je veux dire qu’il méritait ce qui lui est arrivé. Mais le procès même, comme elle disait, exonérait Hitler et Himmler parce que les juges du procès ou la cour d’appel en Israël trouvaient qu’Eichmann était le responsable unique de ce qu’il avait fait. Pas Hitler, mais Eichmann. Nous pouvons dire ce que nous voulons d’Eichmann, mais il agissait sur les ordres d’Hitler.

Et Hannah Arendt a écrit un livre qui traitait de certaines de ces questions, les questions mêmes que le procès d’Eichmann était censé éviter, ce qui avait été le cas aussi pour le procès Kasztner, juste avant. Et elle était, comme vous le savez, persona non grata. Je veux dire qu’elle était accusée d’être une négationniste de l’Holocauste, une nazie et tout ce que vous voulez. Je ne m’attends donc pas à ce que le livre soit bien accueilli par The Jewish Chronicle.

Nora Barrows-Friedman. Il me semble que c’est une reconnaissance d’honneur.

Tony Greenstein. En fait, il y a déjà eu une critique par Jenni Frazer, qui a écrit un article avec, il me semble, The Jewish News. Elle a qualifié le livre d’antisémite. Elle n’en a pas lu un traître mot, mais elle sait qu’il est antisémite.

Asa Winstanley. J’aime ça, quand certains critiquent des livres qu’ils n’ont pas lus. C’est très révélateur. Je lisais les quelques derniers chapitres de votre livre aujourd’hui, Tony, et, dans les conclusions, vous écrivez, enfin, vous citez :

« Le mouvement sioniste a consciemment ignoré l’Holocauste quand il se déroulait, au point même de nier ou de remettre en question le fait qu’il avait lieu. Pendant la guerre, en arriver au statut d’État juif était la priorité absolue. »

Maintenant, c’est là une conclusion vraiment importante, que vous avez dégagée. C’est une allégation vraiment pesante, que certains de vos auditeurs pourraient trouver absolument choquantes. Manifestement, nous n’avons pas le temps de cheminer dans la totalité du livre, mais pourriez-vous expliquer certaines des preuves que vous avancez à ce propos dans le livre ?

Tony Greenstein. Après la déclaration des Alliés, le 23 novembre, l’Agence juive, qui était en possession d’informations à propos de l’Holocauste depuis trois mois, c’est-à-dire depuis août – c’est la période la plus intense de l’Holocauste, et un million et demi de juifs sont probablement morts dans ces seuls trois mois de 1942 – s’est simplement assise sur ces nouvelles.

Stephen Wise, qui était le dirigeant d’American Jewry (Les Juifs américains) s’en est ouvertement vanté. J’ai gardé cela secret et ne l’ai pas rendu public. C’était à la requête du département d’État. Mais qu’importe, le fait est qu’ils ont simplement gardé la chose sous silence, jusqu’au moment où ils ont été forcés de la divulguer, parce que le troisième contingent de prisonniers à échanger, c’est-à-dire des prisonniers qui avaient été échangés avec l’Allemagne nazie, des juifs, étaient arrivés en Palestine, et ils décrivaient ce qui se passait, ils ne pouvaient donc plus garder le silence à ce propos.

Ainsi donc, ils ont sorti une déclaration le 23 novembre 1942. Les Alliés ont suivi tout de suite après, le 17 décembre 1942, en disant :

« Oui, ce n’étaient pas que des tueries au hasard, ce n’étaient pas des pogroms à grande échelle. C’était une extermination systématique des Juifs d’Europe. »

Et c’était significatif. Mais encore, même après cela, les sionistes on simplement réimprimé la propagande nazie dans Ostland, un journal nazi, disant qu’il y avait toujours 55 ghettos en Pologne, que 2 millions de juifs étaient toujours en vie, sur 3,3 millions. Et ce n’était rien d’autre qu’un mensonge absolu. Je veux dire qu’il ne restait pour ainsi dire pas de juifs, à la fin de 1942. La Pologne avait été complètement ratissée. Il y avait, je pense, deux ou trois ghettos : le ghetto de Varsovie, mais la plupart de ses habitants avaient déjà et transférés à Treblinka. Il y avait Lodz, qui était le deuxième ghetto en importance en Europe, et il y avait un ou deux fragments dans la périphérie, mais au moins deux millions et demi, je dirais, de Juifs polonais avaient été exterminés, à cette date. Ainsi, les sionistes ont tout simplement avalé l’hameçon, la ligne et le flotteur, l’allégation selon laquelle il y avait 55, ou 53 – le nombre varie – de ghettos juifs laissés en Pologne. Ce n’était tout simplement pas vrai. N’empêche qu’ils le répétaient.

Et, tout le temps, ils le rejetaient, ils continuaient à semer le doute dans les journaux. Ainsi, un journal publiait un article et ils avaient ensuite un éditorial disant qu’on ne pouvait se fier à ces chiffres, qu’ils pouvaient très bien être une exagération, nous ne devrions pas les pousser trop haut, etc. Des personnes comme Nathan Schwalb, le représentant du Hechalutz [une organisation de jeunes sionistes] à Genève, étaient très ouvertes. Schwalb disait :

« Eh bien, les Alliés ont leurs pertes, dans la guerre, et nous avons les nôtres. »

Et c’est comme ça qu’ils voyaient les choses. C’est simplement les pertes juives dans la bataille pour mettre sur pied un État juif. Ainsi donc, si vous acceptiez leur logique, et la logique du sionisme, c’était qu’un État juif était tout, c’était le seul et unique but et alors, bien sûr, qu’il y aurait des pertes tout au long de la route.

Vous devez percevoir le sionisme comme un projet racial destiné à perpétuer le peuple juif, vous ne pouvez en aucun cas le percevoir d’une autre façon. Ce n’était pas un refuge, il ne s’agissait pas de créer un refuge pour les juifs ni quoi que ce soit d’autre. C’était une perpétuation de la race-nation juive. Et c’est pourquoi, aujourd’hui – j’ai donné des exemples dans mon livre – l’assimilation est comparée à l’Holocauste. Pourquoi ? Parce que si vous vous assimilez, si vous vous mariez, en étant juif, à une non-juive et que vous disparaissez, c’est la même chose que de disparaître dans la chambre à gaz. C’est la logique. Et, en fait, [l’organisation israélienne] Lehava a un slogan disant « L’assimilation est un Holocauste juif », autrement dit, l’intermariage est un Holocauste juif. Ainsi donc, ils sont tout à fait ouverts, à ce propos. Et je cite toute une série d’exemples de la chose dans la livre.

Nora Barrows-Friedman. L’anti-assimilation et le mariage [anti-]interracial sont repris dans la loi, en Israël.

Tony Greenstein. Oui, c’est exact. Ils ont codifié tout cela.

Nora Barrows-Friedman. Dans le but d’en arriver à une population sioniste juive.

Tony Greenstein. Oui, c’est cela. Et Arthur Ruppin a écrit dans son livre, The Jews’ War of Survival (La guerre de survie des juifs) que les lois raciales nazies, les lois de Nuremberg, étaient – et je cite –

« le retour au judaïsme de ces juifs qui avaient été perdus pour lui en raison de leur assimilation croissante à l’Allemagne ».

Ainsi donc, je veux dire, même si cela arrivait, les sionistes étaient les seuls à bien accueillir les lois de Nuremberg parce que, comme l’a dit Ruppin, ils redevenaient juifs. Même ce que l’on appelle les juifs chrétiens, ce phénomène : un juif qui s’est converti au christianisme était toujours un juif, sous les lois raciales allemandes.

Les sionistes étaient absolument heureux, à ce propos, ils renvoyaient les pécheurs au bercail, en quelque sorte. Ainsi donc, voilà la logique. Les sionistes acceptaient la définition nazie des juifs en tant que race, que race étrangère, naturellement. Mais, bien sûr, aujourd’hui, ils ne mentionnent pas ces choses, pour des raisons évidentes.

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Nora Barrows-Friedman est l’une des rédactrices de l’équipe et responsable associée de l’édition de The Electronic Intifada, et elle est l’autrice de In Our Power : US Students Organize for Justice in Palestine (En notre pouvoir : des étudiants américains s’organisent pour la justice en Palestine) (Just World Books, 2014).

 

Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienne) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org

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Publié le 2 novembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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