L’infamante acceptation par l’UE de l’occupation israélienne

Le retour imminent de Benjamin Netanyahou comme Premier ministre d’Israël remplit-il de crainte les cœurs des représentants de l’UE ? Il serait naïf de le croire.

L’UE a considérablement renforcé sa coopération avec Israël quand Benjamin Netanyahou était Premier ministre. (Photo : Chine Nouvelle / SIPA)


David Cronin
, 23 décembre 2022

À Bruxelles, les snobinards qui sirotent leurs cappuccinos préféreraient sans doute que la coalition n’inclue pas un fasciste armé comme Itamar Ben-Gvir et que la perspective d’annexer officiellement des blocs entiers de colonies soit mise à l’écart de l’agenda.

Il n’empêche que Netanyahou a été au pouvoir pendant la majeure partie de ces 13 dernières années et que, pendant tout ce temps, l’UE a entrepris d’importantes démarches en vue de renforcer sa coopération avec Israël.

Cette coopération s’est construite de diverses façons tout aussi malsaines qu’insidieuses, même quand les gros titres de la presse donnaient l’impression que l’Union  et Israël étaient constamment à couteaux tirés.

Des documents libérés suite à une requête au nom de la liberté d’information montrent que des délégations de la police israélienne ont visité Europol, l’agence européenne de « lutte contre la criminalité », à cinq reprises au moins entre 2017 et 2021.

Deux de ces délégations au moins étaient dirigées par Roni Alsheikh, à l’époque commissaire général de la police israélienne.

Alsheikh dirigeait une force de police qui s’affichait ouvertement dans le camp des extrémistes juifs désireux de détruire les lieux saints islamiques à Jérusalem-Est occupée.

En tandem avec Netanyahou, Alsheikh s’est hâté de qualifier de « terroristes » les Palestiniens tués par les hommes placés sous son commandement.

Il est amplement prouvé qu’Alsheikh a poursuivi une stratégie de diffamation des morts bien avant déjà que leurs corps ne soient refroidis. En janvier 2017, quand la police avait attaqué Umm al-Hiran, une communauté palestinienne vivant à l’intérieur d’Israël et qu’elle avait tué Yaqoub Abu al-Qiyan alors qu’il essayait de quitter ce même village en voiture, Alsheikh avait menti en prétendant que la victime s’en était prise à la police.

Ses mensonges étaient restés la version officielle des événements, même quand les surveillants des droits humains avaient pu prouver qu’il s’agissait de mensonges.

L’UE l’avait récompensé pour ses mensonges.

En 2018, Alsheikh avait signé « une convention de travail » avec Europol. Cet « arrangement » permettait aux deux camps de travailler ensemble sur les crimes de guerre et le terrorisme.


Un gel ?

Un autre accord concernant le partage de données personnelles entre Europol et Israël a été conclu en septembre dernier.

Le quotidien de Tel-Aviv, Haaretz, rapportait récemment que l’UE avait dit début décembre à Israël qu’elle « gelait » cet accord.

Le compte rendu de Haaretz était exagéré.

Un responsable de la Commission européenne – l’exécutif de l’UE – m’a dit que l’accord atteint en septembre avait été conclu « provisoirement » et à un « niveau technique ».

Quand l’accord avait été discuté ultérieurement par les 27 gouvernements de l’UE,

« des inquiétudes avaient été soulevées » à propos d’une « clause territoriale » de l’accord, toujours selon ce responsable, qui a demandé de garder l’anonymat. Par conséquent, la Commission européenne « a informé Israël qu’un autre tour de négociations était nécessaire pour clarifier davantage plusieurs éléments du projet d’accord »,

a ajouté le responsable.

Contrairement à ce qu’a prétendu Haaretz, ceci n’indique pas que l’accord a été gelé. Cela suggère plutôt que certains pays de l’UE désirent simplement que quelques mots en soient modifiés.

L’accord conclu en septembre devrait certainement faire tinter les sonnettes d’alarme.

Il utilise un euphémisme quand il fait référence à la Cisjordanie occupée, dont Jérusalem-Est, Gaza et les hauteurs du Golan. Ces territoires sont décrits comme « les zones géographiques qui sont passées sous administration » israélienne après juin 1967.

L’accord permettrait à Israël d’utiliser des données obtenues depuis Europol dans ces « zones géographiques », et ce, à de multiples fins. Ces données peuvent être utilisées en Cisjordanie, à Gaza et dans les hauteurs du Golan avec l’approbation d’Europol si la chose est jugée « nécessaire pour la prévention, l’investigation, la détection et la poursuite d’actes délictueux ».

Alors que les gouvernements de l’UE devraient en fait émettre des objections contre des clauses aussi permissives, leurs « préoccupations » sont manifestement inappropriées.

Toute forme de coopération avec la police israélienne implique l’acceptation d’une occupation.

Le quartier général des forces de la police est situé à Jérusalem-Est. Si l’UE était vraiment décidée à s’opposer à la colonisation par Israël de Jérusalem-Est, elle se tiendrait tout à fait à l’écart de la police israélienne.

Mais, loin de le faire, la bureaucratie bruxelloise a qualifié Israël de « partenaire stratégique » sur le plan de la coopération policière.

Il s’avère de plus que s’associer à la police israélienne n’est pas la seule façon dont l’UE collabore avec les forces qui occupent la Cisjordanie et Gaza.

Depuis 2015, l’UE organise des « dialogues autour du contreterrorisme » avec Israël.

Ces discussions ont été gardées hautement secrètes mais, après que j’ai introduit des requêtes au nom de la liberté d’information, j’ai quand même obtenu quelques documents à leur sujet.

Les documents  montrent que l’UE a été représentée à un haut niveau dans ces « dialogues ».

Parmi ceux qui ont pris part à ces « dialogues » figurent Ilkka Salmi, le coordinateur du contreterrorisme pour l’UE ainsi que son prédécesseur Gilles de Kerchove.

Laurent Muschel, un haut fonctionnaire de la Commission européenne, et Pawel Herczynski, un diplomate polonais expérimenté, y ont participé eux aussi.


Une réponse perverse

L’UE a refusé de fournir une liste des participants israéliens à ces discussions et même de dire pour quelles autorités elles travaillent.

Selon le service diplomatique de l’UE, de telles discussions « ont lieu dans un cadre d’absolue confidentialité ». Fournir de plus amples détails « nuirait gravement aux relations entre l’UE et Israël » a jouté le service diplomatique.

De façon significative, l’UE n’a pas nié que l’armée et la police israéliennes participaient à ces discussions.

Il est impossible d’imaginer que ces forces n’y seraient pas impliquées d’une façon ou d’une autre.

En Israël, la moindre conversation ou presque sur le « terrorisme » se rapporte à son oppression incessante des Palestiniens. Toute forme de résistance – armée ou autre – est perçue comme « terroriste » par Israël.

Israël est allé jusqu’à accuser de terrorisme des enfants et des organisations des droits humains.

En privé, les fonctionnaires de l’UE peuvent considérer une bonne partie de la rhétorique israélienne comme absurde. Mais, en donnant la priorité aux « dialogues sur le contreterrorisme », l’UE légitimise cette absurdité.

Itamar Ben-Gvir va bientôt devenir le ministre de la sécurité nationale d’Israël. Son portefeuille lui confère la responsabilité du contrôle de la police israélienne des frontières – dont une partie des forces occupe brutalement la Cisjordanie.

L’élite bruxelloise a beau jeu de désapprouver le racisme virulent de Ben-Gvir à l’égard des Palestiniens.

Il ne fait aucun doute que certains membres de cette élite sont conscients qu’il a été condamné par le système judiciaire israélien pour avoir soutenu une organisation terroriste en 2007. Certains sont probablement conscients aussi que Ronnie Alsheikh, susmentionné, considère lui-même les vues politiques de Ben-Gvir comme dangereuses.

Néanmoins, l’UE est aujourd’hui confrontée au choix de savoir si elle doit organiser des « dialogues sur le contreterrorisme » avec un gouvernement israélien ayant dans ses rangs un ministre déjà condamné pour avoir soutenu le terrorisme.

J’ai demandé au service diplomatique de l’UE si la formation d’un nouveau gouvernement aura quelque impact sur les « dialogues ».

« Dans l’intérêt de la protection des citoyens de l’UE et de la lutte contre le terrorisme, l’intention est de poursuivre de tels dialogues »,

a répondu le service diplomatique.

Cette réponse est perverse.

L’UE dit en effet que la sécurité de ses propres citoyens dépend de la coopération avec un État d’apartheid qui, en outre, possède des armes nucléaires.

Vraiment, il y a de quoi vomir !

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 23 décembre 2022 sur The Electronic Intifada  
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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