Un document interne montre que l’UE se laisse facilement séduire par Israël

Il est facile pour les représentants d’Israël de séduire l’élite de l’Union européenne. Le fait d’exprimer une platitude ou deux peut suffire.

Bien qu’il soit engagé à fond dans la violence d’État israélienne, Yair Lapid pu séduire les libéraux occidentaux en leur parlant de paix.

Bien qu’il soit engagé à fond dans la violence d’État israélienne, Yair Lapid a impressionné les libéraux occidentaux en leur parlant de paix. (Photo : Ziv Koren Polaris)

 

David Cronin, 8 février 2023

Yair Lapid est le genre d’homme politique qui sait comment séduire. Il se profile comme affable et doux de sorte que les libéraux occidentaux laissent de côté – ou minimisent, du moins – son engagement solide envers la violence et l’oppression.

Un document interne montre qu’à l’époque où il était ministre des Affaires étrangères, Lapid avait appuyé sur les bons boutons lorsqu’il était venu en visite à Bruxelles, en juillet 2021. Lapid avait soufflé un vent frais en ville en promettant un « nouveau départ » aux relations qui avaient apparemment tourné à l’aigre au moment où Benjamin Netanyahou était Premier ministre.

Les commentaires de Lapid au cours de cette visite – en même temps que l’éloignement de Netanyahou du gouvernement – « avaient ouvert une nouvelle fenêtre d’opportunités » en vue de relancer un forum annuel de haut niveau connu sous le nom de Conseil associatif entre l’UE et Israël, affirmait le document interne.

Le document donne une idée de la façon dont l’UE est prête à étreindre Israël plus étroitement encore en s’appuyant sur les concessions les plus minimes.

Le document avait été préparé comme une note de briefing destinée à Margaritis Schinas, un vice-président de la Commission européenne, au moment où il avait rencontré Haim Regev, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, en novembre 2021.

Le document décrit la relance du Conseil associatif – mis au rencart depuis 2012 – en tant que « objectif partagé » pour l’UE et Israël, tout en affirmant qu’il « est important d’assister à certain progrès concret autour du processus de paix au Moyen-Orient ».

La première partie de l’objectif allait être réalisée plus tard. Une réunion du Conseil associatif a eu lieu en octobre dernier – moins d’un mois avant les élections israéliennes qui ont ramené le redouté Netanyahou au pouvoir.

 

Un niveau cosmétique

La seconde partie – « certain progrès concret autour du processus de paix au Moyen-Orient » – n’a été réalisée qu’à un niveau cosmétique.

Lapid qui, à cette époque, avait entamé son bref passage en tant que Premier ministre, prétendit soutenir une solution à deux États au moment où il prit la parole à l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre.

Cette affirmation aurait dû être traitée avec dérision.

La colonisation de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, par Israël, est allée trop loin pour que soit possible un État palestinien viable. Comme Netanyahou, en théorie son ennemi juté, Lapid a encore poussé plus loin la colonisation.

Au contraire de Netanyahou, il l’a poussée plus loin tout en séduisant en même temps les libéraux occidentaux. Et c’est ainsi que la réponse officielle de l’UE a consisté à « accueillir chaleureusement » son discours aux Nations unies.

Loin d’être un homme de paix, Lapid faisait partie d’un gouvernement extrêmement sanguinaire. L’année dernière – celle où Lapid allait troquer ses fonctions de ministre des Affaires étrangères pour celles de Premier ministre – a vu le nombre le plus élevé de Palestiniens tués par l’armée israélienne en Cisjordanie depuis 2005.

Quelques semaines à peine avant son discours aux Nations unies, Lapid avait ordonné une offensive à grande échelle contre Gaza. Il avait rejeté avec fermeté les appels à la responsabilisation à propos de l’assassinat de la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh .

Lapid avait insisté en disant qu’aucun soldat israélien ne serait mis au banc des accusés « dans le simple but de voir Israël recevoir une salve d’applaudissements de la part du monde entier ».

Il n’avait évidemment nul besoin de trop s’en faire. Les libéraux occidentaux étaient disposés à continuer de l’applaudir malgré tout.

 

Les pom-pom-girls

Margaritis Schinas et ses collègues de la Commission européenne font partie des pom-pom-girls les plus bruyantes de Lapid.

Schinas a reçu un portefeuille que la bureaucratie bruxelloise appelle la « promotion de notre mode de vie européen ».

Son nom a été condamné à juste titre comme un appel du pied au racisme. Puisque Schinas est chargé de la politique concernant les réfugiés, cela implique que les gens qui fuient la persécution et la pauvreté constituent en quelque sorte une menace pour le « mode de vie » occidental.

Sa réputation a été quelque peu ternie dernièrement dans un scandale toujours en cours et baptisé Qatargate.

Il a bénéficié de petits voyages d’agrément au Qatar et aux Émirats arabes unis, afin de garder le silence sur la conduite répressive des gouvernements de ces pays.

Schinas a également poursuivi un agenda pro-israélien.

Il a prétendu que la critique envers l’idéologie de l’État d’Israël qu’est le sionisme équivaut à du sectarisme antijuif. Cette allégation a été concoctée par les partisans d’Israël dans le but d’empêcher un examen minutieux de la doctrine via laquelle le nettoyage ethnique et l’apartheid sont imposés aux Palestiniens depuis nombre de décennies.

Le document de briefing préparé pour Schinas en vue de sa rencontre avec Haim Regev fait remarquer qu’Israël fait partie des rares pays du monde à n’avoir pas avec l’Union européenne un dialogue officiel annuel portant sur les droits humains.

L’absence d’un tel dialogue peut avoir entravé les discussions autour de thèmes comme les enfants emprisonnés au cours de la décennie écoulée. Pourtant la coopération autour d’autres questions a prospéré, particulièrement autour du combat contre le « terrorisme », un terme qu’Israël applique à toute forme de résistance, armée ou autre.

Il convient de remarquer que cette coopération s’est intensifiée entre 2009 et 2021 – c’est-à-dire quand le très redouté Netanyahou était au pouvoir.


Les mains liées

Via une requête séparée au nom de la liberté d’information, j’ai appris qu’Israël avait été maintenu au courant à propos de la militarisation sans cesse croissante de l’UE.

En décembre 2020, chef de l’Agence européenne de défense, a eu une réunion avec des représentants israéliens. L’agence – qui a pour tâche entre autres d’encourager l’industrie de l’armement – a confirmé que « les initiatives de défense de l’UE avaient fait l’objet de discussions » lors de la réunion, mais elle a refusé de fournir le moindre détail supplémentaire.

L’Agence européenne de défense a longtemps été obsédée par les drones et elle est pleinement consciente qu’Israël est un leader mondial du développement de ces machines à tuer – grâce en grande partie à la façon dont il peut les tester sur les Palestiniens vivant sous occupation. Il existe une forte probabilité que les drones soient venus sur la table lors de la réunion de décembre 2020.

Les révélations selon lesquelles l’UE coopère sur des questions militaires sont profondément troublantes, sinon surprenantes. Elles ridiculisent les fréquentes tentatives des diplomates en vue de se montrer empathiques envers les Palestiniens.

Nombre de ces tentatives sont coordonnées par Sven Kühn von Burgsdorff, l’envoyé diplomatique de l’UE en Cisjordanie et à Gaza.

Après qu’Al-Haq, une éminente organisation palestinienne de défense des droits humains, a vu ses bureaux envahis par Israël début août, von Burgsdorff n’a pas tardé à débarquer sur les lieux afin de souligner son mécontentement.

 

D’une autre requête s’appuyant sur la liberté d’information, j’ai appris que von Burgsdorff avait déjà admis bien des mois avant cela qu’il avait les mains entravées.

En février dernier, von Burgsdorff s’était adressé à des représentants de nombreuses organisations palestiniennes à al-Bireh, une ville de Cisjordanie.

Ses notes de discours pour l’événement montrent qu’il avait expliqué la raison sous-tendant la faible réponse de l’UE suite à la décision d’Israël de placer Al-Haq et cinq organisations similaires sur une liste noire du terrorisme en octobre 2021.

« Comme ces désignations proviennent d’un pays associé, l’UE doit les prendre au sérieux »,

disent ses notes de discours (voir plus loin).

L’importance de cette ligne ne peut être négligée.

Von Burgsdorff mettait le doigt sur le fameux accord associatif entre l’UE et Israël, entré en vigueur en 2000.

Cet accord fait effectivement de l’UE et d’Israël des partenaires officiels. Pour cette raison, l’UE estime qu’elle doit traiter avec respect tout ce que fait Israël, même quand – comme dans le cas présent – les travailleurs des droits humains se retrouvent criminalisés.

Von Burgsdorff devrait s’entendre rappeler cette ligne chaque fois qu’il se crée une opportunité de photo ou de quelque geste que ce soit de solidarité bidon avec les Palestiniens.

Au diable ces larmes de crocodile !

Il fait partie d’un club qui considère Israël comme un allié. Et il ne s’enhardirait certes pas à rêver de torpiller cette sordide alliance.

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 8 février 2023 sur The Electronic Intifada  
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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