Des agents du Shin Bet brandissent des armes sur des protestataires palestiniens
En Allemagne et en Espagne, des agents israéliens armés du Shin Bet menacent d’abattre des activistes pour le boycott d’Israël.
Richard Silverstein, 12 février 2023
Le 8 février, à l’Université Complutense de Madrid, un groupe d’étudiants propalestiniens protestaient contre le discours de l’ambassadrice d’Israël à la Faculté de Philologie. Ce discours était censé marquer le 30e anniversaire des accords d’Oslo. C’était en quelque sorte comme si on avait célébré le 30e anniversaire du pacte de Munich de 1938, par lequel le Premier ministre britannique Neville Chamberlain avait annoncé avec une mine épanouie qu’il avait garanti « la paix à notre époque ». Mais ce fut loin d’être le cas, en fait. Pas plus que ne l’a fait Oslo, surtout du fait que les Israéliens ont refusé d’adhérer à ses dispositions. Et c’est ainsi que l’ambassadrice d’Israël s’est vantée d’un accord dont l’ironie veut que ce soit son propre gouvernement qui l’a torpillé. Ne s’agit-il pas là à tout le moins d’une hypocrisie absolue ?
Son discours peut avoir été une réponse à la récente décision de la maire de Barcelone d’annuler ses relations de jumelage avec Tel-Aviv. Ada Colau, la maire de Barcelone, avait adopté une position forte de dénonciation de l’apartheid israélien en durcissant les relations entre les deux villes. Nombre de médias espagnols et israéliens avaient été atterrés par l’« effronterie » de son attitude. Les Israéliens avaient perçu la chose comme une nouvelle insulte de la part des Européens. Les étudiants palestiniens n’acceptaient pas la moindre tentative de l’université en vue de blanchir Israël. Ils reconnaissent un événement de normalisation dès qu’ils le voient. Selon toute évidence, l’université et l’ambassade d’Israël ont perçu la chose comme une opportunité en vue de promouvoir l’amour de la paix dont fait preuve Israël. Et, ainsi donc, le groupe de solidarité palestinien a parcouru le couloir principal en scandant des slogans, et en se pressant vers la porte de la salle où l’ambassadrice avait entamé son discours. Au moment précis où ils atteignaient l’entrée, des gardes de la sécurité se sont précipités pour les affronter.
En revoyant la vidéo et en consultant des témoins oculaires, on se rend compte qu’il y avait plusieurs catégories de sécurité : une sécurité privée, avec autorisation de port d’arme, quoique ces hommes n’aient déployé aucune arme ; un garde de sécurité de l’université même ; un agent antiémeute espagnol en civil (de l’UIP, Unité d’intervention policière) ; et au moins un agent du Shin Bet (qui a sorti son arme et l’a brandie). On peut voir chacun de ces hommes sur la vidéo. Le diaporama permet d’isoler plusieurs prises de la vidéo qui montrent clairement l’agent armé et son arme.
Le Shin Bet s’est hâté de faire sortir l’ambassadrice de la salle. Apparemment, les agents croyaient qu’elle était en danger physique. Cela peut expliquer l’attitude de l’agent de sécurité qui sort son arme. Mais il semble que ces décisions constituent une réaction très exagérée au vu des circonstances réelles.
Haaretz a proposé ce compte rendu trompeur de la scène de la vidéo :
Une prise de vue de l’incident, publiée samedi, montrait un garde de la sécurité pointant son arme de poing sur les activistes.
La qualifier de « garde de la sécurité » équivaut à qualifier un F-16 de machine volante. Dès que j’ai lu cela, j’ai été convaincu que nous parlions d’un agent du Shin Bet. L’agence assure la sécurité diplomatique à tous les diplomates israéliens et à toutes les ambassades étrangères. Par conséquent, toute personne qui protège un ambassadeur ou une ambassadrice d’Israël est un agent du Shin Bet. Mon intuition allait être confirmée par une source de sécurité israélienne bien informée qui corrobora mes dires.
Je suis surpris que la chose n’ait pas été rapportée dans les médias espagnols ou israéliens. Ce fait colore à coup sûr l’incident (ou devrait le faire). Un agent israélien qui opère dans un pays étranger a brandi une arme sur un citoyen non armé de ce pays. Ces protestataires pourraient avoir fait quelque chose qu’Israël n’a pas apprécié. Mais ils étaient engagés dans des protestations pacifiques. Et s’ils enfreignaient la loi, il était de la responsabilité de la police locale espagnole de la faire respecter. En lieu et place, Israël, comme à son habitude, prend lui-même la loi sous son aile et fait ce que bon lui semble. Peut-être peut-il s’en tirer ainsi en Israël. Mais cela ne devrait pas être permis à l’étranger. C’est pourquoi les pays ont leurs propres forces de police. Ils n’ont pas besoin des nervis israéliens pour le faire à leur place.
Si les Espagnols « en » avaient, ils convoqueraient l’ambassadrice au ministère des Affaires étrangères pour un petit entretien et lui expliqueraient clairement qu’à l’avenir ses forces de sécurité ne devront plus jamais rien faire de ce genre. Et si elles le faisaient quand même, cela constituerait un incident diplomatique majeur. Mais, naturellement, tous les gouvernements européens semblent sous l’emprise du lobby israélien chacun dans son pays respectif. Ils se mettent à plat ventre devant Israël. Résultat : Israël leur marche dessus, tous autant qu’ils sont.
Au vu de la montée du fascisme et du bellicisme du nouveau gouvernement israélien et de sa politique de la gâchette facile à l’égard des Palestiniens – et même des activistes juifs israéliens de 70 ans engagés dans des efforts de solidarité –, cette tendance à la violence s’est également infiltrée dans le Shin Bet. Dans tout autre pays démocratique, les agents de la sécurité ne s’engageraient jamais dans un comportement aussi dangereux. Il viendra un temps, peut-être plus proche qu’on ne croit, où l’un ou l’autre de ces voyous non seulement sortira son arme, mais fera feu aussi. Il blessera ou tuera un ressortissant du pays. Et cela créera un énorme tollé. Et Israël et le pays dans lequel la fusillade aura eu lieu n’auront qu’à s’en blâmer. Ils auraient pu imposer au Shin Bet des règles strictes d’engagement. Mais ils ne l’auront pas fait. Et voilà où ça mènera.
Au cas où vous prétendriez qu’une telle probabilité est pour ainsi dire impossible, je vous rappelle qu’un jour, un garde de sécurité d’une ambassade israélienne a abattu et tué un vendeur de meubles jordanien et son fils qui installaient des meubles dans leur appartement. Ces meurtres avaient provoqué une énorme faille dans les relations jordano-israéliennes. (J’ai délibérément enfreint un ordre de censure israélien et fait état du nom du tueur.) L’ambassadeur israélien dut plier bagage et il n’y eut plus de représentation diplomatique pendant près d’un an. Imaginez maintenant que cela se passe dans un pays européen, avec le retentissement des médias sociaux !
Si vous prétendez qu’au cours de l’insurrection du 6 janvier, les agents américains censés faire respecter les lois ont précisément fait la même chose… non, en fait. Ils protégeaient le Congrès américain contre une foule enragée armée qui cherchait à renverser le gouvernement. Il s’agissait de tout autre chose que d’un groupe d’étudiants du supérieur en train de donner de la voix dans un corridor.
Le Shin Bet atteint de folie meurtrière en Allemagne
En Allemagne, un incident similaire a eu lieu. Le ministère israélien des Affaires étrangères promeut une facette plus gentille, plus soft de son pays via des événements culturels présentant l’art et les artistes israéliens. Il propose des troupes de danse, des ensembles musicaux et des films à des publics étrangers, en accueillant des festivals dans des pays étrangers. Il finance le Festival cinématographique international de Seret dans quatre pays. En Allemagne, c’est Berlin qui accueille l’événement. Le cinéma israélien a une excellente réputation mondiale. Le festival offre à Israël une occasion de montrer sa conscience sensible et morale à des publics étrangers. Ce qui constitue, en même temps, une tentative flagrante de masquer les crimes d’Israël contre les Palestiniens et ses autres ennemis régionaux.
Ronnie Barkan et Stavit Sinai sont des activistes israéliens vivant en Allemagne. C’est principalement dans ce pays et au Royaume-Uni qu’ils s’engagent dans l’activisme de solidarité. L’une de leurs principales activités consiste à assister à des promotions de marques israéliennes et à y semer des perturbations de façon à attirer l’attention du public sur les véritables problèmes en jeu : l’occupation, l’apartheid, les crimes de masse et le terrorisme d’État. Leur but est de dénoncer la ruse de la diplomatie culturelle, qui cache la face hideuse de la violence de masse contre les Palestiniens.
Ronnie m’a raconté ce qui s’était passé ensuite :
« Quatre ou cinq gros bras de l’ambassade s’en sont pris à Stavit et moi avec violence, nous ont traînés dehors puis nous ont suivis à l’extérieur, la main sur leur arme dissimulée à l’intérieur de leur veste.
« Je n’étais pas d’accord de quitter le bâtiment sans une escorte de la police allemande (on peut voir la chose en partie sur la vidéo), vu qu’ils nous criaient dessus en nous menaçant. La police allemande n’a absolument rien fait pour qu’ils s’arrêtent, elle a refusé ma demande d’introduction de plainte et a également refusé de leur demander qu’ils s’identifient. Par la suite, puisque je ne voulais pas m’en aller avant qu’ils n’aient eu leurs cartes d’identité, un policier est allé auprès d’eux et est revenu pour me dire qu’ils bénéficiaient de l’immunité diplomatique. »
Une fois encore, des Israéliens armés représentant l’État d’Israël dans un pays étranger agressent, intimident et menacent de recourir à la force létale contre des ressortissants locaux. Les autorités allemandes permettent de telles choses. Elles permettent à Israël de passer outre leurs lois et de traiter des personnes engagées dans des protestations comme s’il s’agissait de criminels de droit commun.
Dans un autre cas, les autorités allemandes ont arrêté Ronnie et Stavit lors de protestations du même genre à l’Université de Heidelberg. Tous deux ont été emprisonnés. Le téléphone cellulaire de Ronnie a été confisqué. Quand on le lui a rendu, la vidéo live des protestations, qu’il avait publiée sur Facebook, avait été effacée. J’ai un gros soupçon que la police allemande s’est servie de l’appareil UFED de la firme israélienne de logiciels espions, Cellebrite, pour casser son mot de passe. Cela leur aurait donné la possibilité de découvrir sa vidéo et de l’effacer, comme s’il l’avait fait lui-même. Il existe une possibilité que la police allemande ait installé un logiciel espion pendant qu’elle était en possession de l’appareil.
L’université a déposé plainte et l’application de la loi a déféré les activistes devant un tribunal pénal pour s’être simplement engagés dans des protestations. Leur affaire a connu la notoriété sous l’appellation des « Trois de Heidelberg ». Cela ne vous rappelle-t-il pas des attitudes allemandes envers la dissension lors d’une certaine époque passée (mais apparemment non révolue) ?
Les quatre « nervis » mentionnés par Ronnie étaient eux aussi des agents du Shin Bet. Ils étaient également armés. Et préparés à utiliser leurs armes, même contre des compatriotes, tout simplement parce qu’ils perturbaient la projection d’un film. Voici une question pour les autorités allemandes : Cela vaut-il réellement la peine de protéger d’un chahut la projection d’un film ou une conférence universitaire au prix d’une personne abattue ou tuée ? Sinon, vous pourriez vouloir reconsidérer vos relations avec votre ambassade d’Israël. Ces gens ne devraient pas représenter la loi à eux seuls. Ils devraient suivre les règles et protocoles que les ambassades de tous les autres pays honorent dans les juridictions étrangères.
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Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Il vit à Seattle, mais son cœur est en Orient. Il publie régulièrement dans Middle East Eye, The New Arab, et Jacobin Magazine. Son travail a également été publié dans Al Jazeera English, The Nation, Truthout et autres médias.
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Publié le 12 février 2023 sur le blog de Richard Silverstein
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Concernant la manifestation en Espagne, lisez également : Des manifestants en Espagne se mobilisent contre l’ambassadrice israélienne et font face à la répression.
Extrait :
La violence exercée contre les étudiants et les organisateurs pour la justice en Palestine a provoqué une vague d’indignations et de condamnations. Malgré la répression, les manifestants ont montré que l’action directe pour le boycott de l’occupation fonctionne : le discours de l’ambassadrice sioniste a été interrompu, et elle a fui face à la contestation. Pendant ce temps, le régime qu’elle représente poursuit son assaut quotidien contre le peuple palestinien, y compris les exécutions extrajudiciaires, l’incarcération de masse, les démolitions de maisons, le vol de terres, le déni du droit au retour et la poursuite de la Nakba depuis 75 ans. Plutôt que d’arrêter le mouvement croissant pour la justice en Palestine, l’action à Madrid ne fera qu’inspirer davantage d’organisation et d’activité.
En ce sens, cette action directe a consolidé le mouvement antifasciste, antisioniste et anti-impérialiste à l’université et dans les rues de Madrid. L’université sait maintenant que la prochaine fois qu’elle voudra inviter l’ambassadrice sioniste ou d’autres criminels impérialistes, elle devra déployer beaucoup plus de sécurité et de ressources, et même avec cela, elle rencontrera une résistance parmi les étudiants. L’action de mercredi a marqué le deuxième coup significatif porté à l’occupation israélienne dans l’État espagnol ce 8 février, puisque cette date a également marqué la décision de la maire de la capitale catalane de suspendre ses relations avec Israël et le jumelage « Barcelone-Tel Aviv ».