En Allemagne, une personne juive mise à l’amende pour avoir soutenu les droits des Palestiniens

Cette semaine, en Allemagne, une personne juive va se retrouver au tribunal pour répondre à l’accusation d’avoir assisté illégalement à une manifestation de soutien aux droits palestiniens lors de la Journée de la Nakba, l’an dernier.

Allemagne, une personne juive va se retrouver au tribunal pour répondre à l’accusation d’avoir assisté illégalement à une manifestation de soutien aux droits palestiniens lors de la Journée de la Nakba, l’an dernier (Photo : Michael Kuenne / ZUMAPRESS)

Berlin, 23 avril 2022. Une marche de soutien à la libération de la Palestine. Suite à cette manifestation, les autorités de la capitale allemande ont décrété des interdictions radicales de toute manifestation de soutien aux droits palestiniens, y compris le 15 mai 2022, Journée de la Nakba. (Photo : Michael Kuenne / ZUMAPRESS)

 

Ali Abunimah, 15 février 2023

Observée le 15 mai de chaque année par les Palestiniens, la Journée de la Nakba commémore le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948, lorsque 800 000 Palestiniens ont été expulsés ou ont fui leurs foyers au cours de l’offensive des milices coloniales sionistes soutenues par les Britanniques, offensive qui allait déboucher sur la création d’Israël.

Cette personne, qui a préféré ne pas révéler publiquement son identité, va en appel contre une amende de près de 400 euros. Ses supporters seront présents lors du procès de jeudi et se rassembleront à l’extérieur du tribunal berlinois.

En tout, plus de deux douzaines de personnes ont été condamnées à des amendes – pour un total de 9 000 euros – pour des charges similaires. La personne qui passe au tribunal cette semaine est un activiste du Jewish Bund, une organisation qui s’identifie au mouvement antisioniste et socialiste historique du même nom.

Bien d’autres contesteront eux aussi leurs amendes plus tard au tribunal et ils demandent également le soutien du public.

« L’événement constitue une sérieuse escalade dans les tentatives du gouvernement de Berlin en vue de punir et de criminaliser la solidarité avec la Palestine. Il reflète également une attaque plus large contre les droits démocratiques fondamentaux de rassemblement et de libre expression », expliquent les organisateurs de la riposte.

 

 

Répression et brutalités de la police

L’an dernier, la police de Berlin a interdit tout déploiement public de soutien aux Palestiniens lors de la Journée de la Nakba et les jours avoisinants.

Les forces sécuritaires de l’État ont envahi les rues de l’ancienne capitale d’Hitler et ont attaqué, harcelé et arrêté toute personne soupçonnée de témoigner son soutien à la Palestine.

 

Majed Abusalama, un Palestinien de Gaza, avait dit à l’époque qu’il avait dû aller à l’hôpital

« après que la police raciste allemande lui avait presque disloqué l’épaule dans ses réactions violentes contre ceux qui portaient des keffiehs palestiniens (le foulard de tête traditionnel des Palestiniens) ».

Parmi les personnes arrêtées et frappées d’une amende figure Ramsy Kilani, un Palestinien vivant en Allemagne et qui aide à l’organisation de la campagne.

Le père de Kilani, la femme de son père et cinq de ses frères et sœurs – la plupart étant des citoyens allemands – ont été tués lors d’une attaque aérienne d’Israël contre Gaza en 2014, attaque sur laquelle le procureur général allemand refuse d’enquêter de la façon adéquate en tant que crime de guerre – et c’est une décision dont Kilani et les avocats des droits humains disent qu’elle est à la fois motivée politiquement et illégale.

Pour l’instant, les activistes récoltent des fonds en ligne afin d’aider à couvrir les amendes légales et autres coûts relatifs aux procès contre les protestations de la Journée de la Nakba.

Kilani a expliqué à The Electronic Intifada que la campagne ne vise pas qu’à rectifier l’injustice de la répression par les autorités de Berlin l’an dernier, mais à garantir que les gens en Allemagne puissent exercer librement leur droit à manifester en mai prochain, qui marquera le 75e anniversaire du début de la Nakba.

« C’est une question fondamentale de droits humains démocratiques et du droit au rassemblement et à la liberté d’expression »,

a déclaré Kilani.

 

Détenu pendant des heures

Pawel Wargan, un organisateur qui vit à Berlin, est un autre activiste qui va contester son amende au tribunal.

Il a déclaré à The Electronic Intifada que les amendes imposées aux activistes sont une continuation de la répression que lui et d’autres personnes ont subies lors de la Journée de la Nakba.

« Ce qui se passe maintenant, c’est que la police justifie sa réponse ridiculement disproportionnée à ce qui, en fin de compte, ne représentait qu’une vingtaine de personnes sur Hermannplatz , une place de Berlin,»

a dit Pawel Wargan à The Electronic Intifada.

L’homme est accusé d’avoir assisté à des protestations illégales, mais il dit que « ne dispose de rien pour exercer des poursuites ».

« Je me suis entretenu avec mon avocat qui a examiné tous les documents qu’ils ont sur moi »,

a ajouté Pawel Wargan,

« et là où ils ont prétendu, le jour où j’ai été arrêté, qu’ils avaient une vidéo montrant que j’assistais à des protestations, il s’avère, en fait, qu’ils n’ont strictement rien. »

Pawel Wargan dit que le 15 mai – la Journée de la Nakba – il est allé dans un quartier de Berlin où vivent de nombreux Palestiniens afin d’y rencontrer un ami.

Là-bas, il a vu un homme avec un drapeau palestinien sur son vélo se faire arrêter par des policiers en uniforme antiémeute qui l’ont « intimidé de façon très agressive ».

« Nous sommes allés sur place pour tenter d’intervenir, parce que c’était totalement absurde »,

a déclaré Pawel Wargan.

Après cela, Wargan a expliqué qu’il s’était baladé un peu partout histoire de voir ce qui se passait et, finalement, sur la place, il a rencontré d’autres activistes.

« Il y avait là une vingtaine de personnes qui, manifestement, étaient venues pour voir ce qui se passait. Mais je ne sais pas si cela était organisé ou prémédité d’une façon ou d’une autre »,

a ajouté Wargan.

« Et nous nous sommes retrouvés entourés de policiers littéralement surgis de nulle part et nous sommes restés encerclés pendant trois heures en plein soleil. »

« Un par un, nous avons été emmenés dans un véhicule de la police pour être enregistrés, et ils ont consigné nos données personnelles »,

a déclaré Wargan.

D’autres personnes ont été fouillées et Wargan croit que l’homme qui avait le drapeau palestinien sur son vélo « a été arrêté parce que les policiers l’ont emmené loin des lieux très tôt ».

En sus d’une amende, la police a notifié à Wargan une interdiction de se rendre sur la place pendant 24 heures, sous peine de se faire arrêter.

 

Les « raisons d’État » de l’Allemagne

Jusqu’à présent, estime Ramsy Kilani, la campagne a récolté l’expression d’un soutien de la part de syndicalistes et d’activistes de pays aussi lointains que l’Irlande et l’Australie.

En Allemagne même, il y a eu du soutien de la part de certains organisateurs chrétiens et de certains membres du parti de gauche Die Linke, bien que Kilani admette la difficulté de récolter du soutien en raison des tabous frappant la critique à l’encontre d’Israël.

Ce tabou est souvent attribué à la culpabilité et la honte à propos de l’assassinat par le gouvernement allemand de six millions de juifs au cours de l’Holocauste.

« Mais je ne suis en fait pas d’accord pour dire que ces questions psychologiques constituent le principal facteur »,

dit Kilani.

« En réalité, le facteur moteur, c’est le fait que l’Allemagne tire profit de ses relations avec l’État d’Israël. »

Les dirigeants allemands disent souvent que le fait de soutenir Israël est la « raison d’État » de l’Allemagne.

Cette idéologie formulée dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale tend « à confondre le judaïsme, l’État d’Israël et le sionisme », estime Kilani, « et à dire que la nouvelle Allemagne est désormais ‘avec les juifs’. Ainsi, il s’agit également d’une idéologie antisémite. »

« L’Allemagne cherche une légitimité internationale pour son propre nationalisme et ses ambitions planétaires. Ainsi donc, il s’agit d’un pilier très important de l’impérialisme allemand »,

ajoute Kilani.

« C’est pourquoi ils musèlent toute critique contre Israël ou le sionisme et la font paraître antisémite. Ainsi donc, la chose a des intérêts matériels très clairs. »

Mais Kilani et les sympathisants de la campagne refusent d’être réduits au silence.

« Les manifestations à Berlin en vue de commémorer la Nakba cette année doivent avoir le feu vert pour aller de l’avant et les tentatives de l’Allemagne en vue de criminaliser la solidarité avec la Palestine doivent prendre fin »,

disent-ils.

« Nous invitons les forces progressistes du monde entier à rallier notre appel. »

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 15 février 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Malgré la répression, les Palestiniens et leurs soutiens continuent la mobilisation en Allemagne.

Lisez ici : Une manifestation à Berlin condamne les derniers massacres en Palestine et soutient le mouvement des prisonniers prisonniers (6 février 2023)

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