Un Palestinien meurt dans les bras d’un infirmier, qui se rend compte ensuite que c’est son père

« Nous nous sommes rendus à la salle des urgences pour tenter de réanimer deux des blessés sans pour autant nous arrêter sur leurs visages. Dans de telles situations, nous nous occupons seulement d’aider le patient aussi vite que nous le pouvons. Quand toutes les tentatives ont échoué et que l’heure du décès a été annoncée, Elias a examiné le visage de l’homme et il a hurlé mon nom : ‘Ahmed, c’est mon père !’ »

Ce 23 février 2023, l’infirmier palestinien Elias al-Ashqar montre une photo de son père, Abdel-Hadi, qui vient d’être tué lors du raid israélien contre Naplouse, en Cisjordanie occupée.

Ce 23 février 2023, l’infirmier palestinien Elias al-Ashqar montre une photo de son père, Abdel-Hadi, qui vient d’être tué lors du raid israélien contre Naplouse, en Cisjordanie occupée. (Photo : Reuters)

 

Ola Marshoud (Naplouse, Cisjordanie occupée), 23 février 2023

Un cri déchirant traverse le chaos qui s’est emparé de la salle des urgences de l’hôpital al-Najah de Naplouse, suite au raid de l’armée israélienne dans la Vieille Ville, ce matin.

« C’est mon père ! », crie l’infirmier Elias al-Ashqar en reconnaissant le visage ensanglanté de l’homme que lui-même et son équipe médicale ne sont pas parvenus à ramener à la vie.

« Quand nous avons entendu le Code bleu, Elias et moi nous nous sommes rendus à la salle des urgences pour tenter de réanimer deux des blessés sans pour autant nous arrêter sur leurs visages. Dans de telles situations, nous nous occupons seulement d’aider le patient aussi vite que nous le pouvons »,

explique à MEE Ahmed al-Aswad, le chef des soins intensifs cardiaques, un proche ami d’Elias al-Ashqar.

« Quand toutes les tentatives ont échoué et que l’heure du décès a été annoncée, Elias a examiné le visage de l’homme et il a hurlé mon nom : ‘Ahmed, c’est mon père !’ »

Abdel-Hadi, 61 ans, fait partie des 11 Palestiniens tués par les forces israéliennes au cours du raid de quatre heures, mercredi, contre la ville cisjordanienne occupée.

Le choc d’Elias a été ressenti par toute son équipe médicale. Ahmed al-Aswad a exhibé face aux yeux de son ami la CI appartenant à Abdel-Hadi al-Ashqar et lui a demandé : « Tu es sûr que c’est ton père ? »

« Elias a répondu ‘oui’ et un terrible silence est tombé sur la salle des urgences »,

a dit Aswad.

« Nous essayons toujours de nous éveiller de ce cauchemar. »

Abdel-Hadi al-Ashqar se trouvait sur le marché de l’Est à Naplouse quand plus de 60 véhicules militaires israéliens ont envahi la ville assez tard ce mercredi matin. Il a reçu un éclat d’obus dans le cœur.

 

Un véritable champ de bataille

Un peu plus tôt, ce même jour, le marché de l’Est, dans la Vieille Ville, battait déjà son plein.

Les étals de fruits et légumes accueillaient les ménagères palestiniennes et les retraités plus âgés pour leurs courses quotidiennes. Et d’autres passants étaient assis avec leurs amis dans l’un ou l’autre café du quartier.

Aucun de ces visiteurs réguliers ne s’attendait à ce que le marché, un endroit très vivant, avec les voix et les cris des vendeurs et des clients discutant des prix, se transforme très vite en un champ de bataille.

Vers 10 heures, les hommes des forces spéciales israéliennescertains en vêtements civils, d’autres déguisés en religieux ou en femmes – se sont retrouvés sur le marché, portant de larges rouleaux de tapis à l’intérieur desquels ils avaient dissimulé leurs armes, et ils se sont dirigés vers la Grande Mosquée Salahi, d’après ce que disent des témoins oculaires.

Peu après, ont ajouté les témoins, les forces spéciales ont quitté la mosquée et se sont dirigées, les armes à la main, cette fois, vers un bâtiment voisin qui, paraît-il, hébergeait des combattants de la résistance palestinienne.

Tout de suite après, ces forces israéliennes, rejointes par d’importants renforts militaires, ont assiégé la maison, tirant des missiles sur celle-ci, alors que l’on voyait des tireurs embusqués prendre position dans les alentours.

Un hélico de l’armée a été également aperçu au-dessus de la ville.

Dans certains quartiers, les résidents étaient désormais confrontés aux forces israéliennes, alors que, dans d’autres, des affrontements armés avaient lieu entre les combattants de la résistance et les troupes israéliennes.

Les forces israéliennes ont tué six combattants appartenant aux organisations armées locales, dont le Lions’ Den, ainsi qu’un ado de 16 ans et trois hommes déjà âgés.

Dès que les rapports sur le raid sont arrivés, le directeur des interventions urgentes du Croissant-Rouge à Naplouse, Ahmed Jibril, a immédiatement envoyé des ambulances sur les lieux.

Mais elles ont découvert l’endroit en état de siège, avec l’armée israélienne qui bloquait toutes les entrées.

« Pendant ce temps, les forces d’occupation empêchaient les équipes médicales d’accéder aux blessés et les prenaient même pour cibles en leur envoyant des balles réelles et des gaz lacrymogènes »,

a expliqué Ahmed Jibril à MEE.

Et d’ajouter que les forces israéliennes avaient empêché une équipe de rejoindre et d’évacuer un enfant qui souffrait de problèmes cardiaques.

L’armée israélienne ciblait également les ambulances à l’aide de drones lanceurs de gaz lacrymogènes, compliquant encore plus les possibilités d’évacuation des blessés quand il était possible de les atteindre.

Certains infirmiers ont été obligés d’évacuer les blessés à pied, à l’aide de civières, malgré les risques pour les patients.

Au moins 102 Palestiniens ont été blessés, dont trois journalistes et 82 personnes souffrant de blessures par balles.

 

« Le cœur est lourd »

Les infirmiers, ainsi que Mohammed et Khaled Baara, deux hommes apparentés, ont lutté contre la montre pour évacuer un homme âgé qui venait d’être touché au cou, à la poitrine et aux pieds par un tireur embusqué.

« Nous avons évacué l’homme dans les pires difficultés, car des snipers tiraient dans notre direction. Mais ses blessures étaient fatales. Le sniper voulait le tuer à coup sûr »,

a expliqué Mohammed.

Ce n’est qu’en arrivant à l’hôpital qu’ils se sont rendu compte avec surprise que l’homme âgé était un de leurs proches, Adnan Baara, après avoir vu sa CI.

« Dans de tels cas, nous ne reconnaissons pas facilement les martyrs du fait qu’ils ont le visage couvert de poussière ou maculé de sang, exactement comme cela s’est passé avec Adnan Baara »,

a ajouté Mohammed.

Mohammed, qui travaille également dans un magasin du coin, s’est occupé de douzaines de personnes âgées qui se trouvaient au marché de l’Est mercredi matin.

Adnan Baara s’était rendu dans les services de la municipalité avant d’être tué. Le troisième vieillard, Anan Enab, est décédé plus tard la nuit après avoir inhalé des gaz lacrymogènes.

L’armée israélienne a déclaré qu’elle avait mené cette opération à Naplouse afin d’arrêter trois hommes supposés avoir planifié et mené des attaques contre des cibles israéliennes ces derniers mois.

Elle a ajouté qu’elle avait riposté après avoir été elle-même sous le feu et après que des hommes avaient lancé des explosifs et des cocktails Molotov contre ses troupes.

Les forces israéliennes ont utilisé des drones, des missiles, des snipers, des munitions à balles réelles et des gaz lacrymogènes, laissant en ruine le marché et toute la zone avoisinante.

« En tant qu’ambulanciers qui travaillent depuis des années dans des zones conflictuelles, nous pensons toujours que nous sommes habitués à ces scènes, mais les sentiments de colère et de tristesse se renouvellent avec chaque blessé et chaque martyr »,

a encore dit Mohammed.

« Et, à la fin de la journée, le cœur est lourd. »

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Publié le 23 février 2023 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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