Un document interne montre que l’UE est très désireuse de bien accueillir les flics tueurs d’Israël
Alors que l’UE peut éviter d’avoir à traiter avec Ben-Gvir, elle désire depuis très longtemps coopérer avec la police israélienne. Un document obtenu via une requête au nom de la liberté d’information suggère que l’UE était très désireuse d’y arriver.
David Cronin, 24 mai 2023
Itamar Ben-Gvir n’était pas seul, lors de sa toute dernière intrusion sur le complexe de la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem. Le ministre de la sécurité nationale était flanqué d’officiers de la police israélienne, dont leur chef à tous, Kobi Shabtai.
Peut-être est-ce incorrect de tirer du plaisir des bouffonneries de l’extrême droite, mais j’avoue qu’un sourire ironique n’est apparu sur le visage quand j’ai vu comment un diplomate hollandais déplorait le fait que des « visites aussi provocatrices » constituaient un obstacle aux efforts en vue de dégager une solution à deux États.
L’engagement de diplomates européens envers un rêve aussi illusoire est tout bonnement risible.
Two more steps away from a two state solution: 1. 🇮🇱 order to reinstate the Homesh settler outpost. 🇳🇱 calls on 🇮🇱 to reverse this. 2. The recent provocative visits of 🇮🇱 ministers to the Haram al Sharif/Temple Mount which undermine the status quo at Jerusalem’s holy sites.
— Hans Docter (@hansdocter) May 22, 2023
Depuis des mois, ces diplomates essaient de prétendre que Ben-Gvir est une sorte d’anomalie. Tout député israélien, ou presque, à part lui, est le bienvenu aux réceptions organisées par l’ambassade de l’UE à Tel-Aviv, ont fait savoir les diplomates.
En convainquant le chef de la police de se joindre à son invasion, Ben-Gvir prouve qu’il est désormais solidement intégré à l’establishment.
Les envoyés de l’EU préfèrent que le sionisme soit présenté sous un papier d’emballage libéral. Ben-Gvir a retiré le papier d’emballage, révélant une haine meurtrière à l’égard des Palestiniens et un désir de les traiter avec la pire des arrogances.
Bien avant que Ben-Gvir ne devienne son maître politique, la police israélienne déployait la même haine et le même désir. Sa brutalité, quelques jours plus tôt – quand elle a agressé des Palestiniens lors d’un rassemblement « Morts aux Arabes » des suprémacistes juifs – suivait un modèle péniblement familier.
Alors que l’UE peut éviter d’avoir à traiter avec Ben-Gvir, elle désire depuis très longtemps coopérer avec la police israélienne. Un document obtenu via une requête au nom de la liberté d’information suggère que l’UE était très désireuse d’y arriver.
« Un potentiel inexploité »
Daté de juin 2016, le document a été préparé pour l’Agence de l’Union européenne pour la formation des services répressifs (connue sous l’acronyme CEPOL).
Il recommande que, lors d’une visite à l’Académie nationale de police d’Israël, ce mois-là, les représentants de la CEPOL insistent sur le « potentiel inexploité » dans la coopération UE-Israël.
« Il convient de noter qu’Israël se considère comme un pays européen »,
déclare le document.
Si on lit le document entre les lignes, il ne fait pas de doute que la CEPOL souhaiterait faire équipe avec l’occupation israélienne.
Ce document de la CEPOL – cf infra – dit que l’itinéraire du voyage de 2016 prévoyait des discussions avec la police israélienne des frontières. Cette police des frontières est une partenaire de premier plan – et en pratique, elle ne peut en être dissociée – de l’armée israélienne qui occupe la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Le timing de la visite était significatif, bien que cette importance n’ait pas été déduite du document de la CEPOL ou, du moins, pas dans la version censurée qui en a été fournie.
Moins d’un an plus tôt – en septembre 2015 – Israël avait assoupli sa réglementation de l’engagement [qui définit + ou – le moment et les circonstances où l’on peut ouvrir le feu, NdT].
Les militaires et les policiers se voyaient accorder une plus grande marge de manœuvre dans le recours à des munitions réelles contre les Palestiniens qui lançaient des pierres ou des cocktails Molotov – en d’autres termes, contre les enfants et les jeunes gens nés dans une situation d’extrême oppression.
Ainsi donc, quand la CEPOL suggéra qu’elle souhaitait tirer parti du « potentiel inexploité » dans la coopération entre Israël et l’UE, elle prônait vraiment des relations plus étroites avec une force de police qui tue des enfants en toute impunité.
Une politique du « tirer-pour-tuer » ?
La conduite de la police israélienne indique fortement qu’elle suit une politique du « tirer-pour-tuer ».
Zuhdi Muhannad al-Tawil, 17 ans, fait partie des nombreuses victimes d’exécutions extrajudiciaires manifestes à Jérusalem. Après déjà l’avoir blessé – pour avoir prétendument poignardé un colon israélien – la police a tiré sur lui à plusieurs reprises alors qu’il était déjà incapable de bouger, couché sur le sol, en mai 2021.
La CEPOL coopère avec Israël et les forces de police de l’Autorité palestinienne depuis 2007.
Les gros bonnets de l’UE laissent volontiers entendre que travailler avec « les deux camps » est la preuve d’une approche équilibrée. L’amère vérité, c’est que l’« équilibre » est impossible dans le contexte d’une occupation militaire brutale.
Tout discours concernant les « deux camps » est en outre trompeur. L’UE et les EU ont insisté pour dire qu’en fait, Israël et l’Autorité palestinienne étaient bel et bien dans le même camp.
Selon des arrangements datant de l’époque des accords d’Oslo, dans les années 1990, l’Autorité palestinienne est inféodée à Israël. Il est requis de ses policiers qu’ils soient en coordination permanente avec Israël – une exigence que Mahmoud Abbas, le président de l’AP, a qualifié de « sacrée », mais que de très grands nombres de ses compatriotes considèrent comme obscène.
Comme la plupart des institutions de l’Union européenne, sinon toutes, la CEPOL laisse planer le secret sur ses activités. Pourtant, elle laisse passer à l’occasion des indices en disant qu’elle s’engage avec Israël et l’AP contre le « terrorisme ».
La réglementation honteusement laxiste d’Israël sur les modalités d’engagement s’applique apparemment aux accusations de terrorisme. Ces quelques dernières années, les choses sont allées si loin qu’on a collé des désignations terroristes à des travailleurs des droits humains.
Honteusement, la bureaucratie bruxelloise s’est sentie obligée de prendre de telles accusations au sérieux – même quand il n’y a pas un iota de preuve pour les étayer.
Pourquoi ? Parce que l’UE considère qu’Israël est un allié stratégique.
Le « terrorisme » est l’excuse d’Israël pour terroriser les Palestiniens.
Bien qu’il lui arrive d’exprimer timidement son « inquiétude » à propos de certaines actions israéliennes, l’UE avale chaque fois les excuses israéliennes. L’UE a fait du « terrorisme » une question centrale dans ses relations avec Israël – en sachant parfaitement bien comment Israël peut se tirer de n’importe quel crime en jouant tout simplement la carte du « terrorisme ».
Les efforts de l’UE pour battre froid Ben-Gvir devraient être traités avec scepticisme. Annuler des réceptions par crainte qu’il n’y apparaisse restera un geste vide de sens tant que l’UE s’entêtera à faire équipe avec une force de police qui pratique depuis longtemps la violence raciste que lui-même préconise.
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité.
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Publié le 24 mai sur 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine