Les femmes atteintes d’un cancer du sein empêchées d’être soignées par Israël
Les patient.e.s de cancer sont en train de mourir lentement en raison du blocus contre Gaza et des décisions arbitraires d’Israël.
Aseel Mousa, 26 mai 2023
La vie de Najla Irjilat peut reposer dans les mains d’Israël.
En juin 2022, elle a été diagnostiquée d’un cancer du sein.
En septembre dernier, sur les recommandations de ses médecins, elle a subi une opération à Gaza afin de se faire enlever une tumeur maligne.
Suite à cette opération, elle a reçu de la chimiothérapie, après quoi on lui a conseillé de subir des séances de radiothérapie.
Un problème important venait entraver l’organisation de ces séances : L’équipement requis n’est pas disponible à Gaza.
Et c’est ainsi que Najla a été renvoyée à l’hôpital Augusta Victoria à Jérusalem-Est occupée.
L’hôpital lui a fixé un rendez-vous au 3 mai de cette année. Le rendez-vous a été manqué.
Les autorités israéliennes n’ont pas répondu à sa demande de permis de voyage. Sa sœur Yasmin a elle aussi demandé une autorisation de l’accompagner mais les autorités israéliennes ont également rejeté sa demande.
Avec l’aide d’Al Mezan, une organisation de défense des droits humains installée à Gaza, Najla a introduit une autre demande de permis de voyage en vue d’un rendez-vous le 7 mai (la date postposée). La seule réponse qu’elle a reçue disait que sa requête et une nouvelle requête de sa sœur afin de pouvoir l’accompagner étaient « sous examen ».
« Une fois de plus, j’ai été empêchée de voyager pour ce traitement », déclare Najla, 45 ans et mère de six enfants.
Elle vient d’introduire une troisième requête. Alors que l’Autorité palestinienne s’est dite d’accord pour couvrir les frais de son traitement, Najla n’a toujours pas reçu de réponse d’Israël.
« La radiothérapie est d’une importance cruciale pour empêcher le cancer de revenir », dit-elle. « Tout retard expose ma vie à un danger significatif. »
« L’attente de la mort »
Le calvaire des patient.e.s médicaux (-cales) de Gaza a occupé les gros titres internationaux voici quelques semaines.
Comme Israël se livrait à une attaque à grande échelle contre Gaza au début de ce mois, la BBC et d’autres canaux d’information ont rapporté que des centaines de personnes – la plupart souffrant d’un cancer – étaient empêchées de voyager pour recevoir un traitement pourtant urgent.
Les gros titres ont brièvement attiré l’attention sur les conséquences mortelles des restrictions de déplacement imposées par Israël aux Palestinien.ne.s. Ces restrictions ont lieu également quand Israël ne soumet pas Gaza à d’incessantes frappes aériennes.
La plupart des exemples dans lesquels Israël empêche des patient.e.s de respecter leurs rendez-vous ne sont pas mentionnés dans la presse.
En avril 2022, Aisha al-Nader a été diagnostiquée d’un cancer du sein et d’un lymphome.
Le diagnostic est tombé peu après qu’Aisha – aujourd’hui âgée de 41 ans – a appris que ses efforts en vue d’être enceinte via un traitement de fertilité avaient été vains.
« Tout ce que j’ai jamais voulu, c’est connaître la joie d’être mère », dit-elle. « Tout a changé en un clin d’œil. Maintenant, j’ai l’impression d’attendre la mort. »
Les médecins de Gaza ont renvoyé Aisha à l’hôpital arabe Istishari de Ramallah, en Cisjordanie.
Mais elle n’a pas été à même de respecter un rendez-vous fixé en juillet dernier : Israël ne voulait pas lui fournir de permis de voyage.
Son frère Hussein a cherché de l’aide du côté des organisations de défense des droits humains.
Toute une série de demandes ont suivi et un procès a été intenté. Israël n’était toujours pas disposé à bouger.
En janvier dernier, les médecins ont confirmé que le cancer d’Aisha s’était propagé. De nouveaux tests ont été jugés nécessaires pour s’assurer de l’étendue complète du cancer, mais les équipements requis n’étaient pas disponibles à Gaza.
On lui a donné un nouveau rendez-vous à Ramallah pour fin février, mais Israël a encore refusé de délivrer un permis de voyage.
« Ma sœur est en train de mourir lentement en raison du blocus contre Gaza… », explique Hussein. « … et des décisions arbitraires des autorités israéliennes. »
« Survivre à peine »
Une nouvelle étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait remarquer qu’il y a eu une variation considérable dans les taux d’approbation qui ont suivi les demandes de permis de voyage pour les patient.e.s de Gaza ces quinze dernières années. Le taux d’approbation le plus élevé (94 pour 100) a été enregistré en 2012, le plus bas (54 pour 100) en 2017.
De 2019 à 2021, 65 pour 100 exactement des permis de voyage ont été accordés à temps pour que des patient.e.s de Gaza puisse respecter les rendez-vous dans les hôpitaux, fait savoir l’étude de l’OMS.
En avril 2021, les médecins ont décidé que, pour son cancer de la thyroïde, Saadia al-Barim avait besoin d’un traitement en dehors de Gaza. Elle a été renvoyée à l’hôpital al-Ahli de Hébron, en Cisjordanie.
Israël a rejeté quatre de ses demandes de permis de voyage avant de lui en accorder enfin une.
Le permis ne garantissait pas un voyage sans problème. Quand elle est arrivée à Erez, le check-point militaire qui sépare Gaza et Israël, elle a été interrogée six heures durant par les soldats israéliens.
« Pendant tout ce temps, j’ai eu l’impression que j’allais cesser de respirer », explique Saadia, 51 ans.
Son état de santé s’est aggravé en 2022. Après avoir été renvoyée à Hébron pour la suite de son traitement, elle a reçu un permis de voyage en juin dernier.
Il lui faut encore subir des traitements et, récemment, elle a été renvoyée à l’hôpital al-Makassed de Jérusalem-Est.
Jusqu’à présent, cette année, elle a déjà introduit trois demandes de permis de voyage. Toutes trois ont été rejetées.
« Je survis à peine », dit-elle.
Mère de six enfants et veuve, Saadia est extrêmement inquiète quant à l’avenir de ses enfants.
« Saleh, mon dernier, a 12 ans », dit-elle. « Il a peur de me perdre, de même qu’il a déjà perdu son père quand il était encore tout petit. »
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Aseel Mousa est une journaliste freelance palestinienne qui vit et travaille à Gaza.
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Publié le 26 mai sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine