Israël est en train de perdre la guerre à Gaza, admettent ses généraux

Israël est en train de perdre la guerre contre la résistance palestinienne à Gaza, ont déclaré des officiers du haut commandement israélien au New York Times.

 

Israël est en train de perdre la guerre à Gaza. Photo : Des Israéliens en larmes lors de l’enterrement du soldat Harel Sharvit à IsraëlJérusalem, le 29 décembre. Le colon, en provenance de la colonie de Kochav Yaacov, en Cisjordanie occupée, a été tué dans le nord de Gaza par les combattants de la résistance palestinienne.

Des Israéliens en larmes lors de l’enterrement du soldat Harel Sharvit à Jérusalem, le 29 décembre. Le colon, en provenance de la colonie de Kochav Yaacov, en Cisjordanie occupée, a été tué dans le nord de Gaza par les combattants de la résistance palestinienne. (Photo : Debbie Hill / UPI)

 

Ali Abunimah, 21 janvier 2024 

 

« Après plus de cent jours de guerre, la progression limitée d’Israël dans le démantèlement du Hamas a soulevé des doutes au sein du haut commandement de l’armée quant à la possibilité à court terme de concrétiser les principaux objectifs de guerre du pays : éradiquer le Hamas et libérer également les otages israéliens toujours à Gaza »,

a rapporté le journal samedi.

« Le contrôle instauré par Israël sur Gaza couvre un espace moindre, en ce moment de la guerre, que celui envisagé initialement dans les plans de bataille du début de l’invasion, lesquels avaient été examinés par The New York Times »,

ajoutait le journal.

Les chefs de l’armée israélienne admettent, selon le Times, que leurs avancées ont

« été contrecarrées par les infrastructures du Hamas, plus sophistiquées que ne les avaient évaluées précédemment les officiers des renseignements israéliens ».

L’échec sur le champ de bataille a poussé les généraux israéliens

« à conclure que la liberté des cent et quelques otages israéliens toujours à Gaza ne pouvait être garantie que par des moyens diplomatiques plutôt que par des moyens militaires »,

déclare le Times.

Un grand nombre des Israéliens restant à Gaza sont en fait du personnel militaire – des prisonniers de guerre.

Les généraux israéliens dont les noms n’ont pas été révélés et qui se sont exprimés dans le Times considèrent qu’

« une bataille de longue haleine dans le but de démanteler complètement le Hamas coûterait très probablement la vie aux otages israéliens détenus à Gaza »,

déclare le journal.

En fait, le but de ces fuites est d’accroître la pression sur le gouvernement de Tel-Aviv dirigé par Benjamin Netanyahou afin qu’il mette un terme à la guerre et cherche une façon négociée de sortir de la situation pénible d’Israël.

Le Times cite un expert afin de renforcer l’analyse des généraux israéliens.

« Pour l’essentiel, c’est une impasse »,

a expliqué Andreas Krieg, un professeur en études sécuritaires au King’s College de Londres, dans le Times.

« Ce n’est pas un environnement où l’on peut libérer des otages. »

« Si vous entrez dans les tunnels et que vous essayez de les libérer à l’aide des forces spéciales, ou qui que ce soit, vous allez les tuer »,

a ajouté Krieg.

« Vous les tuerez soit directement, soit indirectement, dans les pièges ou dans les échanges de coups de feu. »

Cette évaluation est renforcée par les accusations de Maya Sherman, qui a déclaré que l’armée israélienne avait tué son fils soldat détenu à Gaza.

L’armée israélienne prétend qu’elle a découvert la semaine dernière, dans un tunnel de la résistance, les corps de Ron Sherman et d’un autre prisonnier de guerre israélien.

Mais Maya Sherman ne gobe pas la version officielle selon laquelle la cause de la mort de son fils ne pourrait être déterminée et elle accuse l’armée israélienne de l’avoir tué en le gazant.

« Ron a été tué, effectivement »,

a-t-elle affirmé.

« Non pas par le Hamas… Penchez davantage du côté d’Auschwitz et des douches, mais sans les nazis et sans le Hamas. Non pas par des tirs accidentels, mais dans le cadre d’un assassinat prémédité : des bombes avec des gaz nocifs »,

a-t-elle écrit dans un message sur Facebook.

Voyez d’abord la résistance qui combat à l’intérieur des tunnels.” (Vidéo EI sur YouTube, en anglais)

 

La résistance conserve le contrôle

Malgré trois mois de pilonnage aérien et d’attaques terrestres par Israël, la résistance palestinienne conserve son commandement et le contrôle de ses capacités et elle continue d’infliger des pertes sévères à l’armée israélienne.

Alors qu’il y a des signes clairs de l’ampleur importante des pertes israéliennes, celles-ci sont occultées pour une bonne part par une censure militaire stricte.

Entre-temps, les seules « réalisations » consistent à massacrer et à blesser des dizaines de milliers de civils palestiniens à Gaza, à déplacer de force des millions de personnes et à détruire à très grande échelle des hôpitaux, des maisons, des écoles et autres infrastructures civiles – bref, à prélever un tribut horrifiant.

Mais les attaques systématiques de cibles civiles aussi faciles constituent des indicateurs de lâcheté, d’incapacité et d’intentions criminelles génocidaires, et non de courage, d’expertise militaire ou de succès.

Le récit du Times a été corédigé par le journaliste israélien Ronen Bergman.

Dans un autre récit de tout premier plan publié un peu plus tôt ce mois-ci dans le quotidien israélien Yedioth Ahronoth, Bergman révèle que l’ordre donné aux forces israéliennes de tirer sur leurs propres civils le 7 octobre est venu du sommet le plus élevé de la hiérarchie.

Ce récit corrobore des rapports de plus en plus nombreux disant qu’Israël a tué un grand nombre, si pas la plupart, de ses propres citoyens morts le jour où le Hamas a mené à partir de Gaza une offensive de résistance à grande échelle contre les bases et colonies de peuplement israéliennes de l’autre côté de la frontière.

 

Des scissions et des divisions

Ces toutes dernières semaines, des scissions entre et au sein de l’armée israélienne et les dirigeants civils du pays à propos de l’incapacité de concrétiser le moindre de leurs objectifs déclarés dans la guerre génocidaire contre Gaza ont jailli en plein jour et se reflètent largement dans les médias israéliens.

Il est généralement perçu que Netanyahou a tout intérêt à prolonger la guerre aussi longtemps que possible et à tout prix, afin d’assurer sa propre survie politique.

Mais le fait que les généraux israéliens transfèrent la dispute dans les colonnes du Times suggère qu’ils demandent aux patrons d’Israël à Washington d’intervenir plus fermement à leurs côtés.

Jusqu’à présent, toutefois, l’administration Biden continue de donner un chèque en blanc à Israël et son génocide.

Netanyahou et d’autres responsables israéliens qui soutiennent la poursuite de la guerre à tout prix ressemblent à des joueurs qui ont tout perdu mais qui espèrent qu’un autre coup de dés pourrait inverser la situation.

En réalité, plus longtemps et plus profondément les forces israéliennes resteront à Gaza, plus la résistance palestinienne aura le temps et l’opportunité d’infliger des pertes qui, lentement mais sûrement, vont vider à coup sûr l’armée israélienne et la société au sens plus large de leur volonté et de leur capacité de s’accrocher.

 

Les aveux d’échec se font lentement jour

Le langage et le ton de l’article du Times signalant la défaite militaire israélienne rappelle les aveux d’échec indirects et progressifs dans la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine et que soutiennent les Américains.

Il vaut la peine d’examiner comment les choses se sont déroulées, du fait que les subtils glissements dans le langage de la presse semi-officielle de l’Amérique renseignent souvent bien davantage sur ce qui se passe réellement que les déclarations officielles.

En remontant très tôt l’an dernier, les responsables et les médias américains prévoyaient avec excitation la venue d’une contre-offensive ukrainienne qui allait frapper tout le territoire occupé par les Russes dans le sud de l’Ukraine et atteindre le littoral de la mer d’Azov.

Et quand la chose fut mise en route en juin, le Times qualifia l’offensive de « tournant potentiel dans les 15 mois de guerre » et fit remarquer

« les dirigeants américains sont optimistes : L’Ukraine réalisera suffisamment de gains, mais incrémentaux quand même, pour qu’on qualifie les combats de succès ».

Et Jake Sullivan, le conseiller en sécurité nationale de l’administration Biden, déclara sur CNN :

« Nous croyons que cette contre-offensive permettra à l’Ukraine de reprendre à la Russie un territoire stratégiquement significatif. »

En août, les forces ukrainiennes n’étaient arrivées nulle part et souffraient d’horribles pertes, et le Times décrivait la chose comme

« un combat pour effectuer une percée »

dans les lignes russes. Entre-temps, les dirigeants américains faisaient porter le chapeau à leurs sous-fifres ukrainiens parce qu’ils ne suivaient pas les conseils militaires de Washington.

Vers la même époque, les agences de renseignement américaines concluaient dans des « prévisions classifiées » que

« la contre-offensive ukrainienne ne parviendra pas à atteindre Melitopol, la ville clé du sud-est », rapportait The Washington Post.

« Les analystes disent que les défis auxquels l’Ukraine a été confrontée ont plusieurs facettes, mais presque tous sont d’accord pour dire que la Russie a dépassé les attentes une fois qu’il s’agit de sa capacité à défendre le territoire qu’elle occupe »,

rapportait le Post.

« Le facteur qui détermine le plus la façon dont cette offensive en est arrivée là réside dans la qualité des défenses russes »,

a déclaré Rob Lee, un analyste militaire opérant pour le Foreign Policy Research Institute (Institut de recherche en politique étrangère), une commission d’experts dont les principaux sponsors comprennent notamment le gouvernement américain.

Au début novembre, le chef militaire de l’Ukraine qualifiait la situation d’« impasse », rapportait le Times.

 

Un mois plus tard, The Washington Post affirmait :

« Près de six mois après le début de la contre-offensive, la campagne est devenue une guerre de gains incrémentaux. »

Cette fois, le Times avait bien l’intention de laisser tomber les euphémismes et d’admettre que la contre-offensive de l’Ukraine avait « échoué ».

« Les perspectives militaires de l’Ukraine ont l’air sombre »,

rapportait le Times fin 2023.

« L’aide militaire occidentale n’est plus assurée aux mêmes niveaux que les années précédentes »

alors que la contre-offensive d’été

« est terminée et qu’elle n’est absolument pas parvenue à concrétiser le moindre de ses objectifs ».

La configuration, c’est que les aveux d’échec viennent lentement, souvent exprimés dans un langage ambivalent suggérant qu’avec un peu d’effort en plus, quelques milliards de dollars de plus et peut-être un brin de chance, ce succès insaisissable pourrait guetter juste au coin.

De même, le gouvernement des États-Unis a menti des années durant en disant qu’il était en train de gagner sa guerre en Afghanistan, alors qu’en privé, il admettait qu’il était occupé à la perdre.

À un certain point, les dirigeants américains voulaient eux aussi décrire la situation là-bas comme une « impasse » – une fois encore, un terme plus acceptable qu’un aveu direct d’échec et de défaite.

Dans le cas présent, il s’avère que The New York Times, un partisan fidèle d’Israël, en même temps qu’un de ses porte-parole fiables, croit que les meilleurs intérêts de l’État sioniste consistent à admettre son échec le plus tôt possible.

« C’est une guerre impossible à gagner »,

dit le journal en citant Andreas Krieg du King’s College.

*****

 

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

 

 

Publié le 21 janvier 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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