Le croissant de la résistance et la fin de la domination américaine

Le croissant de la résistance s’étendant de l’Iran, sans discontinuer jusqu’en Palestine – et en particulier Gaza – gagne en force, en confiance et en soutien.

 

Ali Abunimah, 31 mai 2023

Il y a près de vingt ans, dans une interview accordée au Washington Post, le roi Abdallah de Jordanie mettait en garde contre ce qu’il appelait un « croissant chiite » s’étendant de l’Iran au Liban en passant par l’Irak.

L’expression allait être fréquemment utilisée par beaucoup pour mettre en exergue le supposé danger représenté par Téhéran et ses alliés pour le bloc des prétendus modérés aligné sur les États-Unis.

Au vu de la « guerre contre le terrorisme » qui avait suivi les attentats du 11 septembre 2001 et en pleine agression américaine contre l’Irak, l’idée d’un croissant chiite reflétait l’emploi cynique par Washington du sectarisme dans le but d’allumer la peur et, partant, de renforcer sa domination par le biais de la stratégie impériale cent fois testée du « diviser pour régner ».

Les États-Unis allaient mobiliser leur politique sectaire dans toute la région – même quand elle n’était pas adéquate.

Les organisations de la résistance palestinienne, comme le Hamas, ne sont pas chiites et le soutien qu’elles reçoivent de l’Iran ne peut s’expliquer en termes de sectarisme.

Pourtant, après l’invasion de l’Irak, les États-Unis y ont installé un système explicitement sectaire et ont tenté d’exploiter et d’alimenter un sentiment de sectarisme dans leur guerre par procuration contre le gouvernement syrien en faveur d’un changement de régime – même si, en Syrie, soutien et opposition au gouvernement ne suivent pas très nettement des lignes sectaires.

Après que les Hezbollah du Liban avaient infligé aux envahisseurs israéliens une défaite militaire humiliante, les lobbyistes israéliens et les planificateurs de Washington avaient tenté de faire passer la confrontation, non pour un conflit entre un agresseur colonial de peuplement soutenu par les EU et une résistance armée autochtone absolument légitime, mais en termes de sectarisme.

Martin Indyk, par exemple, un haut fonctionnaire américain de longue date et un vétéran du lobbyisme pro-israélien, a prétendu que la bien piètre performance israélienne au Liban

« avait éclairé les dangers qui attendaient le monde arabe sunnite du côté de l’axe chiite dirigé par l’Iran et s’étendant de l’Iran à l’Irak – qui a aujourd’hui un gouvernement dominé par les chiites –, au régime alawite (alévi) minoritaire en Syrie et au Hezbollah au Liban ».

« Tout cela, en fait, confère un intérêt commun au monde arabe sunnite et à Israël »,

avait déclaré Martin Indyk avec espoir.

Effectivement, la notion d’une alliance arabe sunnite avec le sionisme contre l’Iran chiite est le principe directeur de Washington depuis des années. Elle mettait en évidence la logique des accords de normalisation entre Israël et divers régimes arabes dans le contexte des accords d’Abraham.

 

Un glissement tectonique

Mais, près de vingt ans plus tard, la stratégie sectaire des EU est en lambeaux.

Le très anticipé mariage entre Israël et l’Arabie saoudite – le porte-drapeau des « modérés » sunnites – a été décommandé et, en lieu et place, Riyadh s’est envolé avec Téhéran.

La réconciliation historique entre l’Iran et l’Arabie saoudite orchestrée par Beijing en mars est une conséquence majeure des glissements géopolitiques qui accompagnent la montée de la Chine et le déclin de l’Amérique.

D’autres suivent rapidement : des démarches en vue de mettre un terme à la guerre au Yémen, et la réintégration de la Syrie au bercail arabe. La Chine peut même finir par jouer un rôle clé en mettant sur pied la fin de la guerre en Ukraine.

Dans une interview, j’ai prétendu que nous pouvions désormais parler non pas d’un fantomatique « croissant chiite », mais d’un très réel croissant de la résistance s’étendant de l’Iran, sans discontinuer jusqu’en Palestine – et en particulier Gazaqui gagne en force, en confiance et en soutien.

La semaine dernière, j’ai rejoint Rania Khalek dans son émission Dispatches, sur BreakThrough News, pour parler de la façon dont le monde multipolaire émergent est occupé à remodeler la région et, en particulier, de l’impact que cela peut avoir sur la lutte de libération en Palestine.

Il n’est pas question que de politique, mais aussi d’économie et de développement humain : Alors que Washington n’a pas apporté grand-chose, hormis le chaos et la destruction, les gens du monde entier se disent partisans de l’attention adressée par la Chine à la construction d’infrastructures et à la promotion de la coopération.

Vous pouvez visionner la vidéo ci-dessous.

Vidéo : « La multipolarité gagne le Moyen-Orient »


Et si vous désirez davantage de perspectives à propos de ces sujets, j’ai participé à une discussion organisée par l’International Manifesto Group le 28 mai, sur le thème de la fin de l’hégémonisme américain.

La discussion s’est intéressée entre autres à la façon dont le rôle croissant de la Chine est perçu comme un développement pouvant apporter de l’espoir aux habitants de l’Asie occidentale, dont ceux de la Palestine.

En même temps, nous avons parlé de ce qui motive les États-Unis et leurs vassaux, en particulier l’Union européenne, pour insister sur la nécessité pour eux de concurrencer, dominer et vaincre la Chine au lieu de coopérer à la résolution des graves problèmes auxquels l’humanité est confrontée.

J’ai été honoré de participer à la discussion en compagnie de l’universitaire australien Tim Anderson, qui fait également partie de la campagne internationale contre la guerre ; de Yao Jinxiang, un chercheur de l’Institut chinois des études internationales ; du musicien de hip-hop britannico-irakien Lowkey, qui est également universitaire, journaliste et homme de campagne ; de Mazda Majidi, un activiste antiguerre de la coalition ANSWER, membre du Parti pour le socialisme et la libération ; et de Mohammad Marandi, professeur en études nord-américaines à l’Université de Téhéran.

La session a été facilitée par Radhika Desai, professeure en études politiques de l’Université du Manitoba et organisatrice de l’International Manifesto Group.

Vous pouvez suivre cette discussion sur la vidéo que voici :

Vidéo : « La fin de l’hégémonisme américain en Asie de l’Ouest »

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 31 mai 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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