L’expulsion de Salah Hamouri est un « crime de guerre », affirme la commission de l’ONU
Des enquêteurs indépendants de l’ONU ont dressé une liste des individus susceptibles d’être responsables de crimes de guerre dans le cadre de l’expulsion par Israël, l’an dernier, de Salah Hamouri, avocat palestinien des droits humains
Maureen Clare Murphy, 13 juin 2023
Un nouveau rapport de la commission d’enquête de haut niveau conclut que la déportation forcée par Israël de Salah Hamouri constituait une grave violation des lois internationales.
« Nous ne doutons aucunement » que l’expulsion de Hamouri « est un crime de guerre », a déclaré Chris Sidoti, l’un des enquêteurs.
L’expulsion forcée de Hamouri n’est qu’un des exemples cités dans le rapport pour démontrer comment Israël
« attaque, restreint et harcèle (…) les acteurs de la société civile » pour garantir « son objectif qui est d’assurer et de maintenir une occupation permanente ».
Il s’agit du second rapport présenté par une équipe d’experts consultée par le Conseil des droits humains de l’ONU afin d’examiner le système israélien d’oppression des Palestiniens dans son ensemble. De précédentes enquêtes s’étaient limitées aux violations de droits ayant lieu en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sous occupation.
Hamouri, un avocat de l’organisation des droits humains Addameer, est né à Jérusalem d’un père palestinien et d’une mère française. Il a été expulsé vers Paris en décembre 2022 après avoir été emprisonné pendant plusieurs mois sans accusation ni procès.
Le prétexte d’Israël pour déporter Hamouri, qui, « dès son jeune âge, a subi toute une série de mesures punitives de la part des autorités israéliennes », dit le rapport de l’ONU, résidait dans « une rupture de loyauté » s’appuyant sur un amendement de 2018 de la loi concernant l’entrée dans l’État.
Hamouri « n’avait pas été informé que les preuves avaient abouti à cette décision », ajoutent les enquêteurs.
« Réclamer l’allégeance de la part de personnes protégées dans un territoire occupé est contraire aux lois internationales et viole les lois humanitaires internationales »,
dit le rapport de l’ONU.
Les enquêteurs qui ont rédigé le rapport disent qu’ils ont conservé
« les informations sur les individus qui peuvent avoir une responsabilité criminelle dans ce qui peut constituer un crime de guerre de déportation illégale ».
Le personnel d’El Al, la compagnie aérienne nationale d’Israël,
« peut avoir commis le crime de guerre consistant à aider, faciliter ou même prêter son assistance à la perpétration d’un crime de guerre »,
s’il était au courant de la déportation illégale de Hammouri, ajoutent les enquêteurs.
Faire taire la dissidence
Le rapport examine les violations des droits des membres de la société civile « par les autorités dans tous les domaines », estimant que les défenseurs des droits humains, dont des journalistes, sont visés tant par les autorités palestiniennes qu’israéliennes « dans le but de réduire au silence les opinions dissidentes ».
Les enquêteurs disent que l’assassinat en mai 2022 de la correspondante d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh sera discuté de façon extensive dans leur prochain rapport.
Ils mettent l’accent sur le fait que « la majorité des violations sont commises par les autorités israéliennes ».
Dans son rapport, l’équipe de l’ONU rejette les désignations par Israël de sept organisations non gouvernementales (ONG) palestiniennes comme étant terroristes, disant que ces mêmes désignations « avaient pour but de réduire au silence des voix de la société civile ».
Les enquêteurs déclarent qu’ils « ont reçu des informations » selon lesquelles le ministère israélien des renseignements avait conseillé au gouvernement
« d’incriminer les individus et organisations recevant des fonds étrangers, de ternir leur réputation et de dénoncer leurs connexions avec des éléments ‘terroristes’ ».
L’équipe ajoute que
« les autorités israéliennes et les organisations de droite avaient déjà mené une longue campagne contre ces organisations palestiniennes bien avant leur désignation »
en tant que groupes terroristes.
Les désignations ont impacté « des milliers de Palestiniens qui reçoivent du soutien », particulièrement
« des communautés marginalisées comptant sur des services fournis en relation avec l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’assistance juridique, la violence liée au genre et les soins de santé des femmes ».
Les membres du personnel des organisations visées ont été arrêtés de façon arbitraire et soumis à « des interdictions de voyager, des interrogatoires et des menaces ».
Les agents de renseignement israéliens ont harcelé plus d’une douzaine de membres du personnel de l’Union des comités des femmes palestiniennes (UPWC) et de certains de leurs enfants « avec une dimension de genre manifeste ».
L’équipe de l’ONU ajoute qu’une femme travaillant pour l’organisation a rapporté que la police secrète israélienne avait même « menacé d’interférer dans la demande d’admission de sa fille à l’université ».
Trois des organisations désignées par Israël sont engagées dans l’enquête de la Cour pénale internationale en Palestine et leur ciblage en est probablement la résultante – mais cette motivation n’est pas spécifiquement mentionnée dans le rapport de l’ONU.
Les enquêteurs recommandent que le procureur de la CPI donne la priorité à l’enquête palestinienne, qui n’a pas été financée adéquatement ni traitée avec la même urgence que l’enquête en Ukraine, ce qui a débouché sur des accusations de recours à deux poids, deux mesures et de sélectivité.
Les enquêteurs disent qu’ils ont répertorié « de nombreux exemples » de responsables du gouvernement israélien « se servant d’une rhétorique abusive », en particulier contre des organisations et individus qui
« se sont exprimés dans des forums internationaux, ont publié des rapports sur les crimes internationaux, y compris l’apartheid, et/ou des rapports sur les activités d’entreprises dans les colonies ».
Des Israéliens pris pour cibles
Breaking the Silence (Rompre le silence), une organisation d’anciens soldats israéliens devenus lanceurs d’alerte, est l’une des organisations israéliennes les plus ciblées, explique le rapport, et le ministère de la défense a instruit l’armée d’enquêter sur l’organisation qu’il « soupçonne d’avoir permis la fuite d’informations classifiées ».
L’équipe de l’ONU fait remarquer qu’un député israélien appartenant au parti Likoud de Benjamin Netanyahou a qualifié Breaking the Silence d’antisémite, en invoquant la définition de travail controversée de l’antisémitisme prônée par l’IHRA.
Hagai El-Ad, le directeur sortant de B’Tselem, une organisation des droits humains en Israël, a lui aussi été la cible d’importants hommes politiques du pays, qui l’ont traité de « traître » et de « collaborateur » des ennemis de l’État.
Le rapport fait remarquer qu’un certain nombre d’organisations pro-israéliennes « ont été créées de plus en plus dans le but spécifique » d’éreinter la défense des droits palestiniens, tant localement qu’internationalement.
Certaines de ces organisations qui s’en prennent aux défenseurs des droits humains ont un statut consultatif avec l’ONU, font remarquer les enquêteurs.
« Ces organisations opèrent efficacement en tandem avec la stratégie du gouvernement israélien contre la société civile »,
estime l’équipe de l’ONU, impliquant qu’elles sont essentiellement des mandataires de l’État.
La commission met le doigt sur le fait qu’« une stratégie clé utilisée à la fois par le gouvernement israélien et par les organisations de droite » consiste à confondre la critique envers la politique israélienne avec le sectarisme antijuif, et ce, en s’appuyant sur la définition de travail de l’antisémitisme pratiquée par l’IHRA.
Ceci a eu un « effet de plus en plus dissuasif sur les voix critiques à l’égard des mesures et actions israéliennes », puisque la définition a été adoptée dans 30 des États américains ainsi que par des autorités locales et institutions de l’UE et quelque 200 universités du Royaume-Uni.
Les enquêteurs font remarquer que les mesures et la législation qui criminalisent le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions de soutien aux droits palestiniens
« reflètent nombre des démarches entreprises par le gouvernement israélien en vue de réduire au silence les défenseurs des droits humains ».
La cruauté israélienne
L’équipe de l’ONU a interviewé des douzaines de défenseurs des droits humains, pour son rapport, illustrant les moyens cruels par lesquels Israël tente de briser la moindre résistance à sa domination coloniale.
Dareen Tatour, une Palestinienne de citoyenneté israélienne qui avait été arrêtée pour un poème qu’elle avait écrit, a été agressée verbalement, physiquement et sexuellement durant ses cinq mois d’emprisonnement et, à un moment donné, elle a été enfermée toute seule dans un véhicule sécurisé pendant trois jours, sans accès à de la nourriture, de l’eau ou des toilettes.
Une autre Palestinienne qui travaille comme journaliste et qui a été arrêtée à de multiples reprises s’est vu refuser des produits sanitaires pour femme par son interrogateur jusqu’au moment où elle a fini par passer aux aveux, déclare le rapport.
Une défenseuse des droits de femmes vivant à Jérusalem-Est a expliqué à l’équipe de l’ONU que des colons et la police avaient fait irruption dans son habitation et qu’ils étaient entrés de force dans la salle de bain alors que sa fille prenait sa douche. Puisque leur maison n’était plus un sanctuaire, elle et sa fille portent désormais un hijab quand elles sont chez elles, au cas où elles subiraient de nouveau un raid.
Les enquêteurs ont également renseigné des cas de violence sexuelle et liée au genre de la part des forces sécuritaires palestiniennes en Cisjordanie, particulièrement lors des protestations qui ont suivi le tabassage à mort en 2021 de Nizar Banat, qui avait formulé des critiques acerbes à l’encontre de l’Autorité palestinienne.
Des femmes qui défendent les droits humains ont été « soumises à du harcèlement en ligne et à des campagnes de calomnie » : les forces sécuritaires diffusaient sur les médias sociaux des photos privées obtenues sur des téléphones confisqués.
Une défenseuse des droits humains a témoigné devant les enquêteurs de l’ONU de ce que des membres des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne avait créé un faux compte Instagram à son nom et qu’ils avaient posté des images privées en provenance de son téléphone confisqué.
Il a également été rapporté que
« des rumeurs au sujet des relations sexuelles qu’elle entretenait et des vidéos pornographies fabriquées de toutes pièces et portant son nom ont été largement diffusées sur des comptes de médias sociaux appartenant à des personnes associées au mouvement Fatah »,
affirme le rapport.
Dans un cas du même genre, des vidéos pornographiques d’une journaliste, fabriquées de toutes pièces, ont été adressées à son père ainsi qu’à son jeune fils.
« L’impact des campagnes de diffamation variait selon le niveau de soutien que la femme recevait de sa famille », déclare la commission, « et certaines femmes se sont retrouvées dans une position de risque de violence liée au genre, y compris de féminicide, au sein même de leur famille ».
La porte tournante de la torture
Les personnes interviewées ont expliqué aux enquêteurs qu’elles étaient ciblées à la fois par Israël et par l’Autorité palestinienne, qui arrêtent ou convoquent les activistes à de multiples reprises afin de les interroger, « en travaillant souvent en collaboration », fait remarquer le rapport.
Cette « porte tournante » garantit la poursuite de l’enquête, déclare l’équipe de l’ONU.
Les autorités du Hamas à Gaza sont elles aussi soupçonnées d’avoir eu recours à la torture et à de mauvais traitements « pour punir et intimider les personnes critiques et les opposants ».
L’usage de la torture et des mauvais traitements par les autorités palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza est répandu en l’absence de toute responsabilisation, estiment les enquêteurs.
L’équipe de l’ONU fait également remarquer que le gouvernement israélien et les organisations de droite ont ciblé la culture et l’identité palestiniennes avec une concentration toute particulière sur le Nakba, et ce, dans une tentative d’oblitération du discours historique palestinien.
Ceci inclut les efforts des autorités israéliennes en vue d’écarter du service de streaming Netflix le film jordanien Farha, une fiction historique dépeignant les événements de la Nakba de 1948.
Le rapport fait enfin remarquer que les universités israéliennes ont entrepris des actions disciplinaires contre les étudiants palestiniens impliqués dans les événements et protestations de la Journée de la Nakba « à la suite de plaintes introduites par les organisations des étudiants israéliens de droite ».
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 13 juin 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine