La judaïsation de la Galilée : Israël intensifie la ségrégation

Alors que les diplomates et les journalistes se concentrent sur l’expansion du peuplement de la Cisjordanie par Israël, on consacre moins d’attention à l’expansion de la ségrégation et d’une planification racialisée en Galilée due à l’intensification par le gouvernement israélien de l’application de sa politique historique, écrit Ben White.

 

 

Ben White, 8 juin 2023

Les récents efforts du gouvernement israélien en vue d’étendre les colonies illégales en Cisjordanie occupée ont attiré l’attention des diplomates, des journalistes et des commentateurs, qu’il s’agisse d’étendre l’infrastructure des transports, de rétablir la colonie de Homesh qui avait été évacuée, ou de faire avancer les démarches vers l’officialisation du statut de douzaines d’avant-postes de colonies « non autorisées ».

Pendant ce temps, toutefois, une autre initiative clé du gouvernement se fait jour – plutôt à l’abri des radars –, même si elle aussi se caractérise par les priorités d’un logement soumis à la ségrégation et d’une politique de planification racialisée. Mais, plutôt que de s’appliquer aux collines entourant Naplouse ou Ramallah, ce projet concerne un territoire situé en deçà de la Ligne verte.

Lundi 5 juin, Haaretz publiait un reportage intitulé :

« Le cabinet israélien fait progresser les plans de ‘judaïsation’ de la Galilée et d’extension des colonies en Cisjordanie. »

Comme le dit l’article :

« Le gouvernement multiplie nombre de démarches en vue d’encourager les familles juives à rallier les communautés dans le nord d’Israël, une région où vit une importante population arabe. »

Pourquoi, selon les membres du cabinet ?

« Pour sauver le peuplement juif en Galilée. »


« Implanter les juifs » en Galilée

Le projet de « judaïsation » de la Galilée remonte à bien des décennies, mais l’actuel gouvernement israélien – avec ses composantes nationalistes-religieuses et d’extrême droite – lui a donné une nouvelle vie.

L’accord de coalition entre le Likoud et le sionisme religieux spécifiait que

« le nouveau gouvernement élaborerait et exécuterait des plans de ‘judaïsation’ de la Galilée et du Néguev ».

Ceci venait compléter un contenu mis au point au sein de la plate-forme du Sionisme religieux, disant que

« la possession civile de la terre est une précondition à la souveraineté de l’État d’Israël »,

et ajoutant qu’

« affaiblir les colonies, surtout dans les parties sensibles du pays comme la Galilée centrale et le nord-est du Néguev, constitue un danger de premier ordre pour la société israélienne ».

Yitzhak Wasserlauf, qui fait partie du Sionisme religieux et qui a été nommé ministre du développement de la périphérie, du Néguev et de la Galilée, le dit carrément :

« Nous voulons judaïser le Néguev et la Galilée ».

Le chef de cabinet de Wasserlauf est Yakhin Zik et faisait partie naguère de l’organisation d’extrême droite des colons, Regavim.

Yitzhak Kroizer, député à la Knesset, du parti politique d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), y est allé d’une première incursion en tant que député à « Ramat Arbel », une communauté juive non autorisée en Galilée et qu’il a décrite avec enthousiasme dans exactement les mêmes termes que les avant-postes en Cisjordanie :

« Le temps est venu pour nous de consolider le peuplement juif en Galilée, le temps est venu pour nous d’établir des colonies dans toutes les parties du pays. »

À l’instar d’autres thèmes de ce gouvernement, la « judaïsation » de la Galilée présente une continuité avec la politique historique d’Israël et constitue en même temps une escalade ou une intensification de cette politique.

Dans les années 1970 et 1980, des douzaines de petites villes israéliennes ont été créées en Galilée. On les a baptisées « mitzpim » (littéralement : tours de garde). Dans la couverture par la presse de l’inauguration d’une de ces nouvelles « colonies » en 1980, il a été signalé que le but de ces nouvelles communautés était

« de faire cesser la progression rapide des villageois arabes dans la prise de contrôle sur de vastes zones de la Galilée ».

De telles préoccupations reviennent itérativement à l’avant-plan. En 2003, Shai Hermesh, le trésorier de l’Agence juive qui, plus tard, allait être député pour le parti Kadima (« En Avant », fondé en 2005 par Ariel Sharon, NdT), élabora un plan multi-agences en vue d’implanter des juifs en Galilée et dans le Néguev, tout en faisant état d’un taux de naissance plus élevé parmi les citoyens palestiniens, lequel menaçait « notre majorité sur place ».

En 2013, la division « peuplement » de l’Organisation sioniste mondiale formula

« un plan en vue d’installer davantage de juifs en Galilée dans le but de réaliser un équilibre démographique avec la population arabe ».

Le plan était destiné à compléter le plan des « mitzpim » des années 1970 et 1980, dans le but de

« donner expression à la souveraineté israélienne par le biais de l’activité des colonies »,

de façon à

« créer ainsi un équilibre démographique significatif ».

Ces exemples sont remarquables mais la meilleure illustration de la façon dont l’actuel gouvernement représente à la fois la continuité et l’escalade réside peut-être dans le rôle des commissions d’admission.

 

Ségrégation dans le logement

Ces commissions – parfois appelées commissions de sélection ou d’admission – vérifient ou filtrent les résidents potentiels dans des centaines de communautés israéliennes et il s’agit d’un outil important dans un système institutionnalisé bien plus élargi de ségrégation dans le logement et de planification discriminatoire.

Selon un correspondant en vue du Jerusalem Post, la commission est « une invention exclusivement israélienne », puisque

« aucun autre pays au monde ne permet à 90 % de ses communautés rurales de gérer des commissions qui restreignent le nombre de personnes qui peuvent y vivre ».

Les commissions n’ont rien de neuf. Kibboutzim, moshavim et colonies communautaires ont longtemps fonctionné par le biais d’associations coopératives afin de décider de leurs résidents potentiels – dans le Naqab/Néguev, par exemple, plus de 90 % des communautés juives recourent à des commissions d’admission pour filtrer les résidents.

Les « indésirables » – surtout, mais pas exclusivement, les citoyens palestiniens – peuvent être rejetés sur base d’un « manque d’adéquation », en fonction des statuts adoptés à cette fin. Comme le disait déjà Human Rights Watch en 2008, les commissions d’admission

« ont notoirement été utilisées pour exclure les Arabes en les empêchant de vivre dans les communautés rurales juives ».

Donc, au moment où le gouvernement israélien a inscrit dans la loi, en 2011, la fonction des commissions dans des communautés comptant jusqu’à 400 ménages, il officialisait en fait une pratique établie depuis longtemps déjà. En 2014, quand la loi a été contestée devant la Cour suprême, les juges ont refusé de l’annuler, et cette décision, ont dit les experts juridiques, légalisait effectivement le principe de la ségrégation du logement dans 43 % de toutes les villes en Israël.

 

Aujourd’hui, l’actuel gouvernement israélien cherche à étendre encore le rôle de ces commissions – un objectif qui figure d’ailleurs dans les accords de coalition.

Dimanche 4 juin, la Commission ministérielle de législation israélienne a soutenu une proposition de loi censée étendre l’applicabilité officialisée des commissions d’admission à des villes communautaires allant jusqu’à 1.000 ménages, et ce, dans les zones situées au-delà de la Galilée et du Néguev – y compris les colonies en Cisjordanie.

La loi présenterait donc la distinction douteuse d’être remarquable parce qu’elle approfondit à la fois l’institutionnalisation de la discrimination et l’annexion de fait.

Mercredi 7 juin, la proposition de loi – techniquement, il s’agit d’un amendement de la loi existante sur les commissions d’admission – a passé sa lecture préliminaire par un vote majoritaire de 39 voix contre 15 lors du plenum de la Knesset.

Bâtissant sur des idéologies et des mesures pratiques dont les origines peuvent être retrouvées à tout moment jusqu’en 1948, voire plus tôt, l’actuel gouvernement israélien dévoile on ne peut plus clairement la nature de l’État unique, de fait, qui existe sur le terrain aujourd’hui, depuis les collines de la Cisjordanie jusqu’à la Galilée.

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Ben White est écrivain, analyste et auteur de quatre livres, dont « Cracks in the Wall: Beyond Apartheid in Palestine/Israel » (Lézardes dans le mur : Au-delà de l’apartheid en Palestine/Israël). On peut le suivre sur Twitter : @benabyad

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Publié le 8 juin 2023 sur The New Arab
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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