Bombarder des civils palestiniens est une « fonction publique », décrète un tribunal des Pays-Bas

Vendredi, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé que les deux commandants en chef de l’armée israélienne bénéficiaient de l’immunité juridique vis-à-vis de toutes poursuites civiles quant à leur rôle dans le meurtre, perpétré en 2014 par Israël, de toute une famille palestinienne dans la bande de Gaza.

 

Pays Bas : Ismail Ziada a intenté un procès à deux généraux israéliens pour la mort de six de ses proches lors de l’attaque israélienne de 2014 contre Gaza.

Ismail Ziada a intenté un procès à deux généraux israéliens pour la mort de six de ses proches lors de l’attaque israélienne de 2014 contre Gaza. (Photo : via Facebook)

 

Ali Abunimah, 25 août 2023

La décision maintient la décision d’un tribunal inférieur, en 2021, disant que, selon les lois coutumières internationales, les responsables d’un État étranger bénéficient, devant les tribunaux des Pays-Bas, de l’immunité vis-à-vis de poursuites civiles pour tout acte perpétré dans l’exercice d’une « fonction publique ».

Cette prétendue immunité fonctionnelle vis-à-vis de toute responsabilisation civile s’appliquerait même si les responsables pouvaient être jugés pénalement pour des crimes de guerre dans le cadre des mêmes actes supposés.

« Nous sommes déçus et mécontents de la présente décision »,

a expliqué Ismail Ziada, le plaignant de cette affaire, à The Electronic Intifada.

« Une fois de plus, le tribunal a agi avec lâcheté et, sans vergogne, il a choisi de faire passer la politique avant les humains en refusant à ces derniers l’accès à la justice. La décision de ce jour ne fait qu’aggraver l’injustice que nous avons subie. »

Ismail Ziada, un citoyen palestino-hollandais, poursuivait Benny Gantz, commandant en chef de l’armée israélienne à l’époque des faits, et Amir Eshel, commandant en chef des forces aériennes, pour la décision d’avoir bombardé la demeure familiale des Ziada lors de l’offensive israélienne contre Gaza en 2014.

Depuis lors, Gantz a été ministre de la Défense d’Israël et vice-Premier ministre et, actuellement, il est l’un des principaux hommes politiques de l’opposition.

Ziada réclame des centaines de milliers de dollars de dommages et intérêts aux chefs de l’armée israélienne.

L’attaque israélienne avait complètement détruit l’immeuble de trois étages dans le camp de réfugiés d’al-Bureij.

Elle avait tué la mère de Ziada, Muftia, 70 ans, ses frères Jamil, Yousif et Omar, sa belle-sœur Bayan et son neveu de 12 ans, Shaban, ainsi qu’une septième personne qui rendait visite à la famille.

En 2019, Gantz avait organisé une campagne électorale célébrant l’attaque de 2014 contre Gaza, qui avait tué plus de 2 200 Palestiniens, dont 551 enfants.

Il s’était vanté, devant les électeurs israéliens, d’avoir renvoyé Gaza à l’« âge de la pierre ».

 La « fonction publique »

L’avocate des droits humains Liesbeth Zegveld, qui représente Ismail Ziada, a prétendu que l’immunité fonctionnelle n’avait rien d’absolu.

En 2010, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que,

« dans des cas où l’application de l’immunité d’État vis-à-vis de la jurisprudence restreint l’exercice du droit d’accès à un tribunal, le tribunal doit s’assurer que les circonstances de l’affaire justifient une telle restriction ».

Ismail Ziada a prétendu que l’octroi de l’immunité civile absolue à un État étranger et ses responsables constituerait une restriction disproportionnée de ses droits sous la Convention européenne des droits de l’homme, parce que, en tant que Palestinien de la bande de Gaza, il n’y a pas pour lui d’autre possibilité juridique que de réclamer justice auprès des tribunaux hollandais.

Cependant, la décision de la cour suprême des Pays-Bas rejette ce raisonnement, ce qui signifie que Gantz et Eshel n’ont pas à répondre du meurtre des proches de Ziada.

« Il n’est pas contesté que les accusés aient été impliqués dans le bombardement dans l’exercice de leurs fonctions publiques »,

déclare la cour suprême des Pays-Bas. Gantz et Eshel ont par conséquent

« droit à l’immunité vis-à-vis de la jurisprudence, quelle que soit la nature ou la gravité de la conduite qu’on leur reproche ».

Mais les juges hollandais auraient pu choisir une autre direction et se frayer de nouvelles voies vers la protection des droits humains.

Ils auraient pu reconnaître que les tribunaux hollandais doivent s’ouvrir à Ziada comme un lieu de dernier recours et ils auraient pu s’appuyer sur la propre position du gouvernement néerlandais adoptée dans une déclaration de 2016, sans relation avec la présente affaire, disant que

« la perpétration de crimes internationaux, par définition, ne peut constituer une fonction officielle ».

L’occupation, le siège et le bombardement par Israël de la bande de Gaza impliquent de nombreuses infractions flagrantes et graves, copieusement documentées, aux lois internationales, infractions qui ont été commises dans la poursuite d’un but intrinsèquement illégal : le maintien d’un système d’apartheid et de suprémacisme racial à l’encontre du peuple palestinien.

 

Avec détermination

Ismail Ziada a fait remarquer qu’en mai, le Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, avait engagé son pays à réclamer des comptes pour crimes de guerre dans le monde entier, mais particulièrement en Ukraine.

« Aujourd’hui, on dit aux Palestiniens que ce n’est ni absolu ni universel »,

a affirmé Ziada.

« Les Pays-Bas appliqueront une justice sélective et proposeront l’immunité, si les Palestiniens défient les criminels de guerre israéliens. »

En effet, au lieu de réclamer des comptes au pénal aux perpétrateurs israéliens de crimes de guerre supposés contre les Palestiniens, le gouvernement des Pays-Bas recourt à une politique consistant à prendre fait et cause pour eux et à les récompenser en signant des traités de coopération militaire avec Israël.

Ziada a déclaré que son procès civil, qui a débuté voici cinq ans,

« a été une longue et éprouvante bataille juridique pour la famille ».

« Toutefois, nous sommes bien décidés à faire en sorte que ces criminels de guerre soient déférés devant la justice »,

a-t-il ajouté.

Ziada est occupé à examiner le jugement de vendredi en compagnie de ses avocats et il envisage les possibilités de transmettre l’affaire à la Cour européenne des droits de l’homme.

« Nous espérons qu’un jour nous pourrons obtenir justice pour le massacre de notre famille et de milliers d’autres familles palestiniennes qui ont souffert des mains des criminels de guerre israéliens »,

a conclu Ismail Ziada.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 25 août 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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