D’Oslo à la fin du colonialisme de peuplement israélien

Ce mois-ci marque le 30e anniversaire de la capitulation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) face à Israël dans le cadre des soi-disant Accords d’Oslo.

 

De gauche à droite : le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et le leader de l’OLP Yasser Arafat après la signature de l’accord d'Oslo 1993. On notera l’empressement d’Yitzhak Rabin à serrer la main de Yasser Arafat.

De gauche à droite : le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et le leader de l’OLP Yasser Arafat après la signature de l’accord en 1993. On notera l’empressement d’Yitzhak Rabin à serrer la main de Yasser Arafat.

 

Joseph Massad, 14 septembre 2023.

En septembre 1993, le peuple palestinien était plein d’espoir en raison du succès de sa résistance inébranlable à l’occupation coloniale israélienne, contre laquelle il avait mené une révolte constante depuis décembre 1987, connue dans le monde entier sous le nom d’Intifada.

L’OLP, établie à Tunis, était cependant désespérée.

Ayant perdu le soutien diplomatique du bloc de l’Est après la chute de l’URSS et le soutien financier des autocraties arabes du Golfe après la guerre du Golfe de 1990-91, l’OLP désespérée avait une dernière carte à jouer : la collaboration avec Israël, ses amis arabes et les sponsors impériaux pour réprimer l’Intifada.

La lutte palestinienne en cours pour vaincre le projet colonial de peuplement sioniste est une guerre entre ceux qui espèrent et ceux qui désespèrent. C’est l’équilibre des pouvoirs entre ces deux groupes qui a longtemps caractérisé les flux et reflux de la résistance palestinienne depuis sa création au début des années 1880, lorsqu’elle a rencontré les premiers colons juifs européens.

Les Palestiniens optimistes ont toujours été à l’avant-garde de la résistance, qui s’est davantage organisée dans les années 1920. Mais les Palestiniens sans espoir, qui ont collaboré avec les Britanniques, et les plus désespérés encore qui ont collaboré avec les sionistes, étaient également puissants et bien organisés.

Dans les années 1930, ceux qui espéraient ont galvanisé la plus grande résistance jamais vue, qui s’est manifestée lors de la Grande Révolte Palestinienne de 1936-1939. Même alors, les Palestiniens désespérés, aidés par les Britanniques et les sionistes, formèrent des gangs contre-révolutionnaires appelés « bandes de la paix » pour tuer les membres de la résistance confiante.

 

Extinction de l’espoir

Dès le début, le mouvement sioniste a misé sur l’assentiment non seulement des élites terriennes de Palestine, mais aussi des paysans et des intellectuels, dans ses projets visant à déposséder le peuple palestinien et à lui voler sa patrie au profit des colons juifs qui allaient le remplacer.

Vladimir Jabotinsky, le leader sioniste qui fonda plus tard le sionisme révisionniste de droite, comprit dès 1923 que l’acquiescement palestinien ne pourrait être obtenu que lorsque les sionistes seraient capables d’éteindre dans le cœur des Palestiniens tout espoir de pouvoir un jour monter une lutte anti-coloniale couronnée de succès et vaincre les colons.

« Tous les peuples indigènes résisteront aux colons étrangers aussi longtemps qu’ils verront un espoir de se débarrasser du danger d’une colonisation étrangère »,

a-t-il écrit.

En effet, comme les Palestiniens résistaient déjà à la colonisation juive, ils

« persisteront à le faire aussi longtemps qu’il restera une seule étincelle d’espoir qu’ils seront capables d’empêcher la transformation de la ‘Palestine’ en ‘Terre d’Israël’ ».

La compréhension de Jabotinsky de la stratégie à long terme du sionisme est très révélatrice :

« Tout cela ne signifie pas qu’un quelconque accord [avec les Palestiniens] est impossible, seul un accord volontaire est impossible. »

Il en est ainsi parce que :

« Tant qu’il y aura une lueur d’espoir qu’ils puissent se débarrasser de nous, ils ne vendront pas ces espoirs ».

Il ajoutait :

« Un peuple vivant ne fait d’aussi énormes concessions sur des questions aussi décisives que lorsqu’il n’y a plus d’espoir. »

La tâche du sionisme était donc d’éteindre constamment l’espoir dans le cœur des Palestiniens – et même des autres Arabes – de vaincre un jour le projet colonial de peuplement du sionisme.

Malgré tous ses efforts depuis sa création, le sionisme n’a finalement pas réussi à éteindre l’espoir palestinien de libération.

Le projet sioniste, qui incluait la clause selon laquelle

« s’il est impossible d’obtenir l’approbation du sionisme par les Arabes de Palestine, alors il faut l’obtenir des Arabes de Syrie, d’Irak, d’Arabie Saoudite et peut-être d’Égypte »,

n’a pas convaincu Jabotinsky.

« Même si cela était possible, cela ne changerait pas la situation fondamentale. Cela ne changerait pas l’attitude des Arabes de la Terre d’Israël à notre égard »,

ce qui signifie que les Palestiniens garderaient l’espoir de vaincre le sionisme, même si les Egyptiens, les Saoudiens, les Irakiens ou les Syriens faisaient la paix avec Israël.

Jabotinsky précise qu’

« un accord avec les Arabes en dehors de la Terre d’Israël est également une illusion ».

Pour éteindre l’espoir des pays arabes de vaincre le sionisme,

« nous devrons leur offrir quelque chose d’aussi précieux. Nous ne pouvons offrir que deux choses : soit de l’argent, soit une assistance politique, ou les deux. »

C’est ici que l’astucieux Jabotinsky s’est trompé, estimant que « nous ne pouvons offrir ni l’un ni l’autre », car l’argent était à peine suffisant pour le projet sioniste lui-même. Il a ajouté :

« L’assistance politique aux aspirations politiques arabes est dix fois plus illusoire. »

Jabotinsky travaillait dans l’illusion que les pays arabes étaient dirigés par des anticolonialistes arabes qui voulaient se débarrasser du colonialisme, et non par des dirigeants qui collaboraient déjà avec l’impérialisme occidental.

C’est pourquoi il a estimé qu’étant donné l’alliance du sionisme avec le colonialisme,

« nous ne pouvons manœuvrer ni sur le retrait de la Grande-Bretagne du canal de Suez et du Golfe persique, ni sur l’élimination de la domination coloniale française et italienne sur le territoire arabe. On ne peut envisager en aucun cas un tel double jeu. »

Ce que Jabotinsky n’a pas réalisé, c’est que les sionistes pouvaient offrir une assistance politique aux pays arabes, non pas pour s’opposer à l’influence coloniale, mais plutôt pour maintenir et intensifier son rôle dans la protection des trônes des régimes arabes monarchiques.

Même les républiques nouvellement créées dans la région ont immédiatement recherché le parrainage impérial une fois leurs fondateurs les plus progressistes renversés. Cela s’applique autant à l’Égypte de Sadate qu’aux monarchies jordanienne, marocaine et à la plupart des monarchies du Golfe.

Au cours des deux dernières décennies, les forces dirigeantes de la Libye, de l’Irak, du Soudan et de la Tunisie se sont également déjà alliées avec Israël ou ont mené des pourparlers secrets visant à la normalisation. C’est cette assistance politique qui a effectivement anéanti les espoirs des régimes arabes de libérer un jour la Palestine et qui a accru leurs espoirs de servir correctement l’empire.

Néanmoins, l’exposé de Jabotinsky sur les projets du mouvement sioniste était clairement articulé sur la base de son analyse du contexte politique du début des années 1920. Puisque

« (…) l’accord volontaire des Palestiniens est hors de question. La colonisation sioniste, même la plus restreinte, doit soit prendre fin, soit être menée au mépris de la volonté de la population indigène. Cette colonisation ne peut donc se poursuivre et se développer que sous l’égide de protection d’une force indépendante de la population locale. »

Cette force était bien sûr la Grande-Bretagne et la Société des Nations, et plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue les États-Unis, les Nations Unies et une grande partie de l’Europe.

 

Faire des concessions

En 1948, lorsqu’Israël a publié la Déclaration sur la création de l’État juif, il a affirmé que sa réalisation était la réalisation des espoirs sionistes, qui, selon lui, avaient toujours été des espoirs « juifs ».

« Exilé de Palestine, le peuple juif lui est resté fidèle dans tous les pays de sa dispersion, ne cessant de prier et d’espérer son retour et le rétablissement de sa liberté nationale. »

En effet, « l’espoir » est inscrit dans le titre même de l’hymne national sioniste Ha-Tikvah qui signifie « L’espoir », dans lequel les sionistes réaffirment :

« Notre espoir – l’espoir vieux de 2000 ans – n’est pas perdu : être un peuple libre dans notre pays, la terre de Sion et de Jérusalem. »

Malheureusement pour les sionistes, Ha-Tikvah a en fait été écrit par un sioniste manqué, le colon juif ukrainien-autrichien Naphtali Herz Imber. Il arriva en Palestine en 1882 et travailla avec le sioniste protestant britannique Lawrence Oliphant, qui avait conçu des plans pour créer des colonies agricoles pour les juifs européens.

Sept ans plus tard, en 1889, Herz Imber perdit espoir dans les projets coloniaux de peuplement sionistes protestants et juifs et partit pour des pâturages plus verts, se retrouvant dans cette autre colonie de peuplement européenne, les États-Unis, où il vécut ses dernières années. Le reste des sionistes gardait cependant l’espoir de pouvoir éteindre les espoirs des Palestiniens de leur résister.

Prédisant les conditions qui mèneraient à la chute de l’OLP à Oslo, Jabotinsky a insisté sur le fait que lorsque l’espoir serait complètement éteint,

« ce n’est qu’alors que les groupes extrémistes perdront leur emprise et que leur influence sera transférée aux groupes modérés. Ce n’est qu’alors que ces groupes modérés viendront à nous avec des propositions de concessions mutuelles. Et alors seulement les modérés proposeront des suggestions de compromis sur des questions pratiques comme la garantie contre l’expulsion, ou l’égalité et l’autonomie nationale. »

C’est essentiellement ce que l’OLP et ses intellectuels palestiniens affiliés ont proposé comme concessions pour le processus d’Oslo, bien qu’Israël ne leur ait donné aucune garantie sur quoi que ce soit.

Jabotinsky était clairement prémonitoire quant à la transformation du mouvement national palestinien qui a commencé entre le début et le milieu des années 1970 et a conduit à la dégradation finale de l’OLP en Autorité palestinienne collaborationniste en 1994.

Cependant, ce qu’il n’a pas pris en compte, c’est qu’Israël, ses alliés arabes et ses collaborateurs de l’AP ne réussiraient pas à éteindre l’espoir dans le cœur des Palestiniens.

Depuis la fin des années 1980, les « groupes extrémistes » – c’est-à-dire ces groupes de résistance pleins d’espoir qui exigent la fin du colonialisme de peuplement sioniste – n’ont fait que gagner en popularité et continuent de prendre de l’ampleur, les Palestiniens espérant et croyant que le projet sioniste peut véritablement être vaincu.

Il est vrai que la majorité des intellectuels palestiniens libéraux désespérés ont soutenu dès le début Oslo et le régime de l’Autorité palestinienne qui l’a suivi et beaucoup ont même servi comme ministres dans ses cabinets pendant des années avant de le quitter et de le critiquer, tandis que d’autres ont continué à travailler avec lui. D’autres partisans ont lentement mais sûrement déchanté au cours des trente dernières années.

Cette semaine, un certain nombre d’intellectuels palestiniens critiques à l’égard de l’Autorité palestinienne se sont sentis obligés de condamner collectivement les opinions offensantes de Mahmoud Abbas à l’égard des juifs européens, mais n’ont pas jugé bon, au cours des deux derniers mois, de condamner collectivement sa collaboration accrue avec Israël depuis son invasion de Jénine et la campagne meurtrière de l’Autorité palestinienne qui a suivi au nom d’Israël contre la résistance palestinienne.

D’autres Palestiniens ont critiqué leur lettre.

Mais ce qui déterminera l’issue de la lutte palestinienne contre le colonialisme de peuplement, c’est l’espoir qui continue d’inspirer les Palestiniens résistants, un espoir qui est constamment ravivé par l’oppression cruelle et interminable du peuple palestinien par Israël.

Ce sont ces Palestiniens pleins d’espoir qui ont résisté à Israël à Gaza, en Cisjordanie et même en Israël, depuis la signature de la capitulation d’Oslo, et ce sont eux que les Palestiniens désespérés, les Israéliens, leurs amis collaborationnistes arabes et leurs sponsors impériaux n’ont pas réussi à vaincre.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 14 septembre 2023 sur Middle East Eye
Traduction : MR/ISM France

Lisez également : Khaled Barakat : Les responsables d’Oslo et de la normalisation ne récolteront qu’échec et honte

 

 

 

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