Mohammed Khatib : « Samidoun soutient toutes les formes de résistance palestinienne »

Interdite en Allemagne, censurée en France et en Belgique, Samidoun, l’association d’aide aux prisonniers politiques palestiniens, n’a plus voix au chapitre depuis le 7 octobre. Son porte-parole Europe, Mohammed Khatib, a pourtant beaucoup de choses à dire. Et quelques accusations politiciennes et associatives à rectifier… Entretien.

 

Mohammed Khatib au festival Résistance organisé par Samidoun Bruxelles le 27 mai 2023 à St Gilles. Photo : Johan Depoortere

Mohammed Khatib au festival Résistance organisé par Samidoun Bruxelles le 27 mai 2023 à St Gilles. Photo : Johan Depoortere

 

Olivier Mukuna, 6 février 2024

 

Investig’Action : Expliquez-nous quelles sont les activités de Samidoun Europe ?

Mohammed Khatib : Nous nous organisons, depuis plusieurs années, pour venir en aide et soutenir les prisonniers palestiniens et leurs familles. Tant pour leur fournir une assistance qu’un soutien social et financier. Notre travail ne se focalise pas sur les prisonniers célèbres ou non diabolisés en Occident, mais vise tous les prisonniers politiques palestiniens injustement incarcérés dans les prisons du régime colonial.

Nous savons bien sûr que les activistes pro-israéliens accusent Samidoun de soutenir des prisonniers « terroristes », condamnés par des tribunaux israéliens pour des faits que ceux-ci qualifient de « terrorisme ». Nous réfutons cette accusation, cette diabolisation car nous estimons qu’il relève du droit de chaque Palestinien de résister à l’occupation israélienne.

Au même titre d’ailleurs que les préceptes du droit international reconnaissent à tous les peuples un droit à lutter et résister pour l’auto-détermination. En Europe, on oublie vite, par exemple, que Nelson Mandela a été un prisonnier politique sous l’apartheid afrikaner durant 27 ans. Un prisonnier soutenu par diverses associations sud-africaines, africaines et d’autres à travers le monde.

Samidoun, basé et coordonné dans plusieurs pays européens, ne fait rien d’autre qu’accomplir ce travail militant de soutien et d’assistance envers les prisonniers palestiniens qui luttent et résistent pour une cause juste.

 

Investig’Action : Comment parvenez-vous à établir des contacts avec ces prisonniers palestiniens ?

Mohammed Khatib : Essentiellement par leurs familles, les avocats et les associations. Nous collectons aussi des informations via les associations de défenses des droits humains et l’Autorité palestinienne. Ce n’est pas toujours simple.

Par exemple, nous n’avons pas réussi à établir de contacts directs avec Marwan Barghouti [64 ans, leader du Fatah enfermé depuis 22 ans dans les geôles israéliennes] et d’autres prisonniers dont nous pouvons rester très longtemps sans nouvelles. Cela fait partie de nos objectifs de chercher, par tous les moyens, à établir ou rétablir ces contacts.

Investig’Action : Que répondez-vous aux accusations de certains politiques belges selon lesquelles Samidoun est surtout une association « pro-Hamas » ?

Mohammed Khatib : Tout d’abord, je tiens à dire que Samidoun soutient toutes les formes de résistance et pas seulement celle du Hamas. Ensuite, il n’y a rien de neuf dans cette propagande sioniste qui s’évertue à accuser toute organisation qui soutient la résistance des Palestiniens.

Aussi pacifique que Samidoun puisse être, notre activisme en faveur de toutes les formes de résistance palestinienne doit être diabolisé. Par votre politicien Denis Ducarme ou par ceux, en Allemagne, qui ont interdit notre association après le 7 octobre 2023.

Cela fait partie de notre lutte et ne doit pas nous intimider. Au contraire, cela doit nous rendre plus forts et plus fiers dans notre soutien à nos concitoyens enfermés. Ces tactiques de diabolisation montrent aussi que notre activisme ne laisse pas « insensibles » les sionistes d’Europe.

D’ailleurs, davantage encore depuis le 7 octobre, les associations ou groupes militants qui affirment soutenir la Palestine et qui ne sont pas diabolisés par le camp sioniste doivent s’interroger sur l’efficacité de leurs modes d’action…

Investig’Action : Beaucoup de citoyens ne connaissent pas votre travail et Samidoun n’est jamais interrogé dans les médias mainstream. Ne craignez-vous pas que nombre d’Européens jugent crédibles les accusations politiciennes portées contre vous ?

Mohammed Khatib : Si, bien sûr. Il est de notre responsabilité d’expliquer notre activisme palestinien comme de réfuter les accusations infondées visant à salir Samidoun. Notre organisation l’a toujours fait, je l’ai toujours fait, le fais encore avec vous et d’autres médias sérieux.

Cependant, nous croyons aussi à l’intelligence et à la faculté de discernement des peuples d’Europe et d’ailleurs. Les gens ne sont pas aussi bêtes que les politiciens et les médias sionistes aiment le croire.

En outre, les sociétés européennes ont changé, se sont métissées. Dans les classes populaires et une partie de la classe moyenne, il y a des personnes d’origine maghrébine, subsaharienne, turque ou asiatique : ces Belges, Anglais, Français, Néerlandais ou Allemands détectent plus aisément ce qui relève ou non du racisme. Si une certaine peur de l’autorité ou de la répression est encore efficace, beaucoup ne supportent plus ces injonctions à diaboliser, sans aucune démonstration et sans jamais donner la parole à ceux qu’on accuse.

Encore une fois, il n’y a pas que Samidoun, mais aussi d’autres associations qui essuient les mêmes processus diabolisant produits par le camp sioniste. En fait, toutes celles et ceux qui se mobilisent et luttent vigoureusement contre l’impérialisme et le colonialisme sont, tôt ou tard, diabolisés, accusés de « racisme », « d’antisémitisme » ou de « terrorisme ».

Investig’Action : Samidoun n’est donc pas un « proxi » associatif et militant du Hamas ?

Mohammed Khatib : Jusqu’au 6 octobre 2023, en Europe, nous étions accusés d’être « un proxi du FPLP » [Front Populaire de Libération de la Palestine]… Tout cela est ridicule. Et, je le répète, poursuit un objectif de diabolisation de notre travail envers tous les prisonniers politiques palestiniens. En fait, ce que les politiciens et médias sionistes nous reprochent vraiment, c’est notre soutien envers toute forme de résistance palestinienne.

À travers ces accusations de « proxi » et autres diabolisations, c’est notre positionnement solidaire à l’égard de tous les résistants palestiniens qui est visé. Or, c’est notre droit le plus légitime !

Peu importe que ces résistants soient du FPLP, du Hamas, du Fatah, du Djihad islamique ou de tout autre mouvement politique : nous soutenons chacune et chacun des Palestiniens qui résiste au colonialisme et lutte pour la libération de la Palestine, de la rivière à la mer !

Investig’Action : Justement, pouvez-vous expliquer à Denis Ducarme et Meyer Habib que signifie, pour Samidoun, « From the river to the sea » (de la rivière à la mer) ? Pour ces politiciens et tant d’autres, il s’agit d’un « slogan du Hamas qui appelle à jeter tous les Israéliens juifs à la mer »

Mohammed Khatib : Ce que nous voulons dire par cette formule recouvre deux choses très simples :

1) Notre pays, la Palestine, doit être entièrement libérée du colonialisme et du sionisme.
2) Tous ceux qui vivent en Palestine sont invités à contribuer à réaliser cet objectif politique, juifs y compris.

Ce slogan n’appelle personne à jeter qui que ce soit à la mer, mais appelle à libérer un pays du joug colonial ! Comme d’autres associations et mouvements palestiniens, Samidoun aspire et milite pour une Palestine démocratique, garantissant droits égaux et justice à tous ses habitants, quelles que soient leurs origines et religion.

Investig’Action : Avec un génocide israélo-américain perpétré à Gaza depuis 4 mois, cette Palestine démocratique et multiconfessionnelle n’est-elle pas devenue un mirage ?

Mohammed Khatib : Notre peuple souffre depuis plus d’un siècle du colonialisme et, malgré ses centaines de milliers de tués, ses milliers de prisonniers, son identité reste la libération. Aussi profonds que puissent être la souffrance et le désespoir, nous sommes accrochés à recouvrir nos droits légitimes, comme tous les peuples opprimés.

Chaque peuple colonisé est, un jour, parvenu à faire s’écrouler le système colonial. Les Palestiniens, en Palestine et de la diaspora, y parviendront aussi.

Ce n’est pas un mirage, c’est notre lutte. Celle-ci n’a jamais été autant reconnue et partagée à travers le monde. Y compris aux États-Unis et en Europe où les manifestations en notre faveur et pour l’arrêt du génocide rassemblent 10 à 20 fois plus de personnes que n’importe quelle mobilisation pro-israélienne.

Investig’Action : Dans plusieurs pays d’Europe, s’amplifie néanmoins une répression contre les citoyens qui militent et/ou manifestent en faveur des Palestiniens…

Mohammed Khatib : C’est vrai, nous l’observons également et nous en sommes aussi victimes. Des Palestiniens de Chicago, de Californie ou de New York protestent librement, avec les drapeaux et les slogans de leur choix, y compris « Free Palestine, from the river to the sea ».

Mais ici, en Belgique, en France ou aux Pays-Bas, nous, Palestiniens et militants pro-Palestine, sommes confrontés à un véritable fascisme. Nous voyons la police nous arrêter ou nous contrôler pour un drapeau qui ne leur convient pas (celui de Samidoun ou d’autres), pour une expression ou un regroupement, même autorisés. En Allemagne, notre collectif a été directement dissout !

Dans ce pays « libre », vous pouvez aussi être arrêté pour avoir brandi le drapeau palestinien et, certainement, si vous dites : « Free Palestine from the river to the sea ». Sans parler de toutes les annulations, interdictions de conférences, de réunions ou des licenciements abusifs, en lien ou non avec nos thématiques.

Avant le 7 octobre, il fallait être ouvertement critique ou virulent à l’égard du régime d’occupation sioniste pour avoir des ennuis plus ou moins graves. Aujourd’hui, il suffit d’exprimer son soutien à la Palestine… C’est complètement fou !

Investig’Action : Toujours dans le viseur répressif, Samidoun va-t-elle pouvoir poursuivre son activisme pour les prisonniers politiques palestiniens ?

Mohammed Khatib : Oui, nous allons le poursuivre même si ce sera de plus en plus difficile. On observe une augmentation du racisme et du néofascisme partout en Europe. Ce n’est pas à vous, journaliste, que je dois rappeler où en est l’extrême droite en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique ou même en Allemagne !

Ces courants néofascistes sont soit au pouvoir soit aux portes du pouvoir. Cette lame de fond très inquiétante est le fait de leaders et d’électeurs qui se reconnaissent dans le sionisme, dans cette mentalité coloniale où la vie d’un Palestinien ne vaut rien !

Même s’il reste évidemment des politiciens européens intelligents et ouverts, les racistes ont de plus en plus d’avance. Notre devoir citoyen, activiste et politique est de résister à cela aussi. Et, pour ce faire, je compte, en particulier, sur la jeunesse qui a très bien saisi les dangers de ce néofascisme montant. Dans les grandes et petites villes, tous les jours, je vois résister cette jeunesse multicolore, maghrébine, noire, blanche ou autre, qui ne passe pas dans vos médias, mais qui se bat pour que ça change. Cela, ça me donne beaucoup d’espoir.

Investig’Action : Pour vous, seule une mobilisation citoyenne planétaire, encore plus forte que celles de ces 4 derniers mois, a une chance de faire cesser le génocide ?

Mohammed Khatib : Il n’y a pas d’autre alternative que de nous mobiliser encore plus ! Malgré les risques personnels, malgré la fatigue, malgré les coups durs. Tout ça n’est rien comparé à ce qu’endurent sur place les Palestiniens…

Nous savons depuis toujours que les peuples des États-soutiens d’Israël ne sont pas d’accord avec leurs gouvernants et ne veulent pas en être complices. De la Grande-Bretagne à la Belgique en passant par les États-Unis, il ne s’agit pas seulement de la Palestine, mais de droits humains. Si les citoyens belges laissent leurs gouvernants se rendre complices des crimes perpétrés par Israël, un jour ou l’autre, cette politique criminelle se retournera contre eux. C’est déjà le cas quand on observe le systématisme des violences policières mortelles contre les jeunes Arabes et noirs, en Belgique ou en France…

C’est crucial à saisir : si rien n’est fait, si aucune démarche de résistance collective n’est entreprise ici, contre ce qu’endurent les Palestiniens, un jour ou l’autre, ce néofascisme s’exercera contre la plupart des citoyens belges. Il ne s’agit pas de simplement crier qu’on est solidaires des Palestiniens, il s’agit de nous défendre nous-mêmes !

Défendre notre dignité, nos droits et notre humanité communs ! Pourquoi les citoyens européens devraient-ils accepter qu’une partie de leurs impôts finance Israël ? Ce devrait être inacceptable, illégal, vu tout ce que cet Etat colonial a commis comme crimes depuis des décennies !

Il en va de même pour le Congo-Kinshasa. Que font exactement les citoyens belges pour leurs frères humains du Congo ? Actuellement, la situation des Congolais à l’Est du pays est tout aussi grave, voire pire que celle des Palestiniens. Politiquement, ceux qui veulent que perdurent les génocides congolais et palestinien sont les mêmes ennemis du genre humain ; les mêmes impérialistes et colonialistes que nous devons regarder en face et, finalement, défaire. Du moins, si nous voulons un avenir…

Propos recueillis par Olivier Mukuna

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Publié le 6 février 2024 sur Investig’Action

Lisez également : Le peuple palestinien se bat pour la libération de sa terre occupée (Mohammed Khatib)

 

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