Craintes d’expulsions massives alors que Netanyahou ordonne un plan d’assaut de Rafah

Les responsables des Nations unies et des agences humanitaires internationales insistent d’urgence auprès d’Israël pour qu’il renonce à une invasion de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. À de multiples reprises, les organisations palestiniennes des droits humains ont prévenu qu’une telle offensive se traduirait en une expulsion de masse vers l’Égypte.

 

8 février 2024. Des Palestiniens dans un campement pour personnes déplacées à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

8 février 2024. Des Palestiniens dans un campement pour personnes déplacées à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Bashar Taleb / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 10 février 2

La majorité de la population de Gaza (2,3 millions d’habitants) est actuellement coincée à Rafah et il ne lui reste « nulle part où s’enfuir », selon Save the Children (Sauvez les enfants).

Un grand nombre des Palestiniens actuellement réfugiés à Rafah après avoir été déplacés d’autres régions de Gaza sont « parqués contre la frontière avec l’Égypte et vivent dans des tentes improvisées », affirme Reuters.

 

 

Jan Egeland, le chef du Conseil norvégien des réfugiés, a déclaré que si l’armée israélienne refait à Rafah ce qu’elle a fait à Gaz a même et à Khan Younis,

« il y aura un bain de sang et cela fera tache sur la conscience (…) des alliés d’Israël ».

« C’est le plus grand camp de réfugiés sur terre et on ne peut avoir de guerre dans un camp de réfugiés »,

a déclaré Egeland à la BBC.

 

Vendredi, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a ordonné à l’armée d’élaborer un plan « combiné » afin d’évacuer les civils de Rafah et de détruire les quatre bataillons du Hamas présents dans la zone.

Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, a déclaré mercredi que

« toute opération militaire entreprise par Israël requiert que les civils passent en tout premier lieu (…) et c’est particulièrement vrai dans le cas de Rafah ».

Lors d’un briefing de presse du département d’État ce jeudi, le porte-parole Vedant Patel a dit que « nous n’avons toujours pas vu la moindre preuve d’un planning sérieux » d’une opération à Rafah.

Patel a ajouté que

« mener une telle opération à ce moment, sans planification et sans y avoir beaucoup réfléchi (…) serait un désastre ».

 

« Que des conseils de prudence »

Le scepticisme de Washington n’offrira que peu de soulagement aux Palestiniens préparés à ce qui pourrait être la pire violence d’une campagne militaire dont la Cour internationale de justice a estimé qu’il s’agissait vraisemblablement d’un génocide.

Comme le fait remarquer Reuters, les EU ne proposent « que des conseils de prudence » et

« il n’y avait rien qui permettait de suggérer que la rhétorique venant de Washington serait appuyée par une action ».

De même, le responsable de la politique de l’Union européenne, Josep Borrell, a été incapable d’appuyer ses propos alarmistes sur Rafah par l’une ou l’autre action significative en vue de prévenir les « conséquences catastrophiques » contre lesquelles il mettait en garde.

Et Dennis Francis, le président de l’Assemblée générale de l’ONU, a plaidé « au nom des multitudes de civils innocents qui n’ont pas d’endroit sûr où aller ».

Mais Francis n’a pas recommandé la moindre action du corps mondial qui pourrait contraindre à y réfléchir à deux fois le cabinet de guerre présidé par Netanyahou – dont on pense largement qu’il prolonge la campagne militaire à Gaza afin de sauver sa carrière politique, car il doit répondre en justice à des accusations de corruption.

La promesse répétée de Netanyahou de « victoire absolue » sur le Hamas est infirmée par une évaluation des responsables de renseignements américains, qui ont dit cette semaine à des membres du Congrès qu’

« Israël avait dégradé les capacités de combat du Hamas, mais n’était pas près d’éliminer l’organisation »,

a rapporté The New York Times.

« Netanyahou a dit le mois dernier qu’Israël avait détruit les deux tiers des régiments de combat du Hamas »,

ajoutait le Times.

« Les responsables américains disent en privé que leurs estimations sont inférieures et qu’un tiers peut-être des combattants du Hamas ont été tués. »

En attendant, le Hamas a la haute main dans les négociations en vue d’un échange de prisonniers et d’un cessez-le-feu, s’il faut en croire le négociateur israélien Gershon Baskin. Après quatre mois, le fait qu’Israël doit encore négocier avec une organisation qu’il a promis de détruire est en soi un aveu de défaite.

 

Un plan de déportation des Palestiniens

Israël n’a ni vaincu le Hamas en recourant à la force de son armée, ni non plus assuré la libération des Israéliens ou des ressortissants étrangers capturés et détenus à Gaza depuis le 7 octobre.

Mais il semble bien en route pour réaliser ce qui pourrait être le véritable but stratégique de la campagne de Gaza – une expulsion de masse des Palestiniens hors de l’enclave.

 

Itay Epshtain, un spécialiste des lois humanitaires, a fait savoir que la déclaration de Netanyahou vendredi

« confirme les plans opérationnels en vue de transférer – et peut-être aussi de déporter – 1,3 million de Palestiniens ».

Epshtain a ajouté que Meir Ben-Shabbat, ancien conseiller en sécurité nationale et proche confident de Netanyahou, est l’auteur d’une directive soutenue par le ministère israélien des renseignements en vue de déporter en masse les Palestiniens de Gaza vers l’Égypte.

Selon Epshtain, cette directive épingle quatre étapes : évacuation des civils palestiniens du nord de Gaza ; opérations terrestres dans le nord et, ensuite, dans le sud ; maintien des routes d’évacuation de Rafah vers l’Égypte ; et mise en place de campements dans la péninsule égyptienne du Sinaï et repeuplement éventuel de ce pays par les Palestiniens.

Epshtain a expliqué que « la phase 3 est lancée, à présent, et elle pourrait très bien mener à la phase 4 ».

Les deux tiers de la population de Gaza sont déjà des réfugiés qui ont été chassés de force de leur patrie à l’époque de la création d’Israël en 1948, que les Palestiniens appellent la Nakba ou « catastrophe ».

Israël empêche les réfugiés palestiniens d’exercer leur droit au retour dans des terres qu’il occupe actuellement parce que permettre la chose

« altérerait le caractère démographique d’Israël au point d’éliminer ce dernier en tant qu’État juif »,

a déclaré la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie occidentale dans un rapport de 2017.


Israël intensifie ses raids aériens contre Rafah

Craignant un autre exode de masse comme celui de la Nakba, l’Égypte a renforcé sa présence militaire le long de sa frontière déjà passablement barricadée avec Gaza.

Trois organisations palestiniennes des droits humains ont dit jeudi qu’Israël avait intensifié ses raids aériens contre Rafah ces quelques derniers jours, lançant des douzaines de frappes qui ont tué 59 Palestiniens,

« dont 21 enfants, 11 femmes et un journaliste ».

Les organisations des droits humains – Al-Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – ont ajouté que

« d’autres avaient été portés manquants et que des douzaines étaient blessés, dont certains avaient dû être amputés ».

Dans l’intervalle, Israël poursuit le transfert forcé des Palestiniens restants de la ville de Gaza vers le sud, du côté de Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, ont dit les organisations des droits. Les gens de Khan Younis, dans le sud de Gaza, continuent de recevoir l’ordre de se rendre à al-Mawasi sur la coté, et même un peu plus au sud encore, à Rafah.

« Une autre tournure dévastatrice »

Catherine Russell, la directrice du fonds de l’ONU pour les enfants, l’UNICEF, a déclaré jeudi que plus de 600 000 enfants et leurs familles

« avaient été déplacés – et, pour bon nombre d’entre eux, plus d’une fois » vers Rafah.

Russell a longtemps été la conseillère du président américain Joe Biden et de son épouse Jill. Son mari avait été le conseiller en sécurité nationale du président Barack Obama et son beau-frère est le conseiller en chef de Biden.

Biden est largement perçu comme complice et même comme partenaire à part entière de la campagne génocidaire d’Israël à Gaza.

Russell a déclaré qu’une escalade des combats à Rafah

« constituera une nouvelle tournure dévastatrice dans une guerre dont on dit qu’elle a déjà tué plus de 27 000 personnes – la plupart étant des femmes et des enfants ».

Cindy McCain, la responsable du Programme alimentaire mondial de l’ONU, n’a pas fait la moindre déclaration sur la menace d’expansion de l’opération terrestre d’Israël sur Rafah. Comme Russell, McCain a une relation étroite avec Biden et elle a quitté les rangs du Parti républicain pour le soutenir lors de l’élection de 2020.

C’est Biden qui a proposé McCain au poste à l’ONU, et elle y a été désignée officiellement par le secrétaire général.

McCain a dû affronter une révolte au sein du Programme alimentaire mondial en raison de sa façon de traiter la crise à Gaza.

L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, et la Conseil norvégien des réfugiés, disent tous deux qu’une large offensive à Rafah mettrait les opérations d’aide à l’arrêt.

 

L’UNRWA est le plus important fournisseur d’assistance humanitaire à Gaza. Mais son avenir est gravement compromis après que les EU et d’autres États donateurs majeurs ont gelé leurs contributions en réponse à des allégations non vérifiées avancées par Israël et disant qu’une poignée de membres de l’agence étaient impliqués dans l’attaque du Hamas le 7 octobre.

Toute suspension de l’aide déjà très limitée qui entre actuellement à Gaza – sous siège israélien total depuis le 7 octobre – constituerait une catastrophe en soi.

Près d’un enfant sur dix à Gaza souffre de malnutrition aiguë, selon des données initiales de l’ONU, et les organisations humanitaires mettent en garde contre le fait que la famine est de plus en plus probable chaque jour qui passe.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 10 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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