La destruction du système des soins de santé à Gaza n’est pas un effet secondaire, mais un but du génocide
La destruction par Israël du système des soins de santé à Gaza maximise le projet sioniste d’élimination en cours actuellement.
Danya Q., Truthout, 4 février 2024
Les quatre derniers mois ont mis sous les yeux de la communauté internationale une réalité que les Palestiniens connaissent depuis très longtemps et à laquelle ils résistent depuis plus de 75 ans : Le projet colonial de peuplement de l’État d’Israël s’appuie – tant en esprit qu’en pratique – sur l’élimination des Palestiniens où qu’ils se trouvent sur cette terre.
Depuis le 7 octobre 2023, quelque 33 000 Palestiniens ont été tués à Gaza, dont 13 000 enfants. Des milliers d’autres personnes n’ont pas été reprises dans ces comptes et sont potentiellement enterrées sous les décombres des maisons détruites par les bombes israéliennes, elles-mêmes financées par les dollars du contribuable américain.
Le nombre de Palestiniens tués et blessés est mis à jour quotidiennement (quand c’est possible) par le ministère de la santé à Gaza et par le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (l’OCHA), et ce, d’une façon qui, aujourd’hui, semble simplement afficher un grand sang-froid. Le ministre israélien de l’Économie, Nir Barkat, passe pour avoir dit :
« Israël a un message très clair à adresser à nos ennemis. Nous leur disons, voyez ce qui se passe à Gaza – vous allez subir le même traitement si vous nous attaquez. Nous allons vous balayer de la surface de la terre. »
En effet, on peut trouver de telles proclamations d’intentions génocidaires dans presque chaque conférence de presse et apparition médiatique des officiels et porte-parole du gouvernement israéliens, à commencer par le Premier ministre en personne.
L’État israélien a fait du système des soins de santé à Gaza une cible explicite de cette campagne d’anéantissement.
Des 36 hôpitaux de Gaza, aucun n’est encore pleinement fonctionnel et seuls 14 ne le sont plus que partiellement. Tous travaillent à un niveau égalant plusieurs fois leur capacité, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Ceux qui restent ont soit été détruits ou ne peuvent plus opérer à cause d’un manque de ressources, y compris les fournitures et équipements médicaux essentiels, et d’une pénurie de prestataires de soins de santé, dont beaucoup ont été tués ou déplacés avec leurs familles suite aux incessants massacres.
Plus de 300 professionnels des soins de santé, dont des médecins spécialistes, qui ne sont déjà pas très nombreux à Gaza, ont été ciblés et tués par l’armée israélienne.
La destruction du système des soins de santé à Gaza n’est donc pas un malheureux sous-produit de la campagne génocidaire, mais bien une partie intégrante de cette campagne. En ciblant le système des soins de santé, Israël a l’intention de désactiver et d’empêcher à court terme toute guérison et fourniture de soins et, à long terme, de provoquer la mort massive des Palestiniens de Gaza.
Considérez le fait que, le 16 décembre, Al Jazeera a rapporté que l’armée israélienne était entrée dans la cour de l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, et qu’elle avait utilisé des bulldozers militaires (« jarafa »), écrasé délibérément des patients et des familles rassemblées en cet endroit et les avaient enterrés sous les décombres.
Quand le personnel des soins de santé de l’hôpital avait tenu une conférence de presse, l’armée israélienne s’était mise à lui tirer dessus, à très courte distance, avait-il semblé. La veille, une vidéo était apparue, montrant un chat occupé à mordiller les restes d’un enfant palestinien mort, tué par l’État colonial.
Comme l’a fait remarquer le chirurgien palestinien Ghassan Abu-Sittah, une telle campagne de destruction – avec le système des soins de santé au centre de la cible – cherche à nettoyer ethniquement la bande de Gaza des Palestiniens et à la rendre inhabitable à l’avenir.
En d’autres termes, non seulement la destruction des hôpitaux et le ciblage des fournisseurs de soins de santé est une méthode de maximisation de la mort dans le présent, mais c’est également un prélude à une campagne plus large en vue de maintenir en marche le projet d’élimination.
L’OMS a souligné cette évaluation des conditions de santé à Gaza en faisant remarquer que ceux qui ne meurent pas aujourd’hui peuvent mourir plus tard de maladies transmissibles et d’affections normalement évitables dont le traitement est aujourd’hui refusé à tous les niveaux parce que le système même et les gens équipés pour fournir ce traitement ont été détruits ou tués.
De pair avec la destruction des sites d’enseignement (toutes les universités majeures de Gaza ont été détruites et plus de 94 doyens et membres de facultés ont été tués), et des infrastructures importantes comme les lignes de télécommunication et les routes qui rendent possibles la formation des fournisseurs de soins de santé et la communication entre ces mêmes personnes, Israël a également ciblé la totalité du système alimentaire de Gaza en bombardant des boulangeries, en déracinant des oliviers et en incendiant des terres agricoles.
Le Programme alimentaire mondial a fait remarquer récemment que 80 pour 100 des gens les plus affamés au monde vivaient aujourd’hui à Gaza, une statistique qui devrait faire brûler de rage tout fournisseur de soins de santé (ou patient, ou praticien de la santé publique ou, bien sûr, toute personne qui croit en la santé en tant que droit humain).
Ceci n’est pas une famine, comme le disent par euphémisme les préposés à la communication, mais une campagne délibérée visant à faire mourir de faim un peuple assiégé qui vit sous le joug d’un État colonial de peuplement absolument déterminé à le faire disparaître.
Le but de rendre Gaza invivable semble bien plus possible qu’il ne l’a jamais été antérieurement.
Très récemment, outre le fait de contribuer au génocide et de le faciliter via une aide directe sous forme de fonds, de balles, de bombes et d’engins de guerre, les EU et autres puissances coloniales se sont tous alliés pour suspendre le financement de l’un des derniers systèmes de soutien restants, disponibles pour les Palestiniens de Gaza, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), sous un prétexte qui s’avère avoir été fabriqué de toutes pièces au mieux, et génocidaire au pire. L’UNRWA est un fournisseur important de soins de santé et autres services destinés aux Palestiniens et c’est également un employeur de première importance.
Détail horrible, 152 employés de l’UNRWA ont eux-mêmes été tués par le génocide perpétré par Israël depuis octobre.
Il est certain que la campagne qui cible les importantes infrastructures de la santé à Gaza a commencé bien avant le 7 octobre.
Rien de ce qui entre à Gaza ou en sort ne le fait sans l’approbation de l’État d’Israël. Avant la récente campagne de nettoyage ethnique lancée par le régime d’apartheid, le système des soins de santé à Gaza vacillait déjà au bord de l’effondrement, en partie en raison des 17 années de siège économique et de blocus mis en place par Israël.
Les pénuries de médicaments essentiels, dont les médicaments servant en cardiologie, atteignaient des seuils critiques supérieurs à 50 pour 100. L’accès à des soins spécialisés, telle l’oncologie, requérait souvent des patients qu’ils sortent de Gaza.
Pour sortir de l’enclave, ces patients étaient obligés d’introduire une demande de permis de sortie d’Israël. Seules 81 pour 100 de ces demandes d’autorisations médicales de quitter Gaza ont été approuvées, en juillet 2023, selon l’OMS.
Souvent, dans les cas où des permis de sortie étaient accordés aux patients, les permis de sortie de leur accompagnateur(-trice) ne l’étaient pas. Seuls 49 pour 100 des permis de sortie pour accompagnateur(-trice) de Gaza ont été approuvés dans la même période.
Cela signifie que les patients – parfois des enfants – ont dû quitter leur maison seuls pour se mettre en quête de soins sans être accompagnés d’un proche. Ce fut le cas de la petite Aisha al-Lulu, 5 ans, dont les parents se sont vu refuser un permis d’accompagnement quand elle a quitté Gaza pour recevoir des soins dans un hôpital de Jérusalem.
Elle est décédée une semaine après une intervention chirurgicale au cerveau, et on affirme qu’avant son décès, elle n’a cessé d’appeler ses père et mère tout le temps qu’a duré son séjour à l’hôpital.
Comme des milliers de Palestiniens tués à Gaza depuis octobre, la petite Aisha al-Lulu a été tuée par un État colonial, non seulement indifférent à la souffrance des Palestiniens, mais déterminé à accélérer leur souffrance et leur mort à l’échelle de masse.
Mais il n’y a pas que la destruction du système des soins de santé et, partant, la privation de vie pour les Palestiniens de Gaza, qui préoccupe le projet sioniste.
Plus de 380 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, depuis octobre, et il y a des récits innombrables d’ambulances ayant été empêchées d’atteindre des blessés ainsi que de véhicules israéliens bloquant les entrées des hôpitaux dans des villes comme Tulkarem et Jénin.
La semaine dernière encore, un escadron de la mort de l’armée et de la sécurité israéliennes a violé le caractère sacré des hôpitaux et a tué trois jeunes Palestiniens, dont l’un était déjà paralysé, à l’hôpital Ibn Sina à Jénine.
La déshumanisation des Palestiniens, inhérente au projet sioniste d’oblitération, a déjà fait son chemin au-delà des rivages de la Palestine historique.
À Chicago, dans l’Illinois, un enfant palestinien de 6 ans, le petit Wadea Al-Fayoume, a été poignardé à mort par son propriétaire, et trois étudiants universitaires palestiniens ont été abattus alors qu’ils faisaient une promenade d’après-dîner de Thanksgiving à Burlington, dans le Vermont. L’une de ces victimes, Hisham Awartani, étudiant à la Brown University, est désormais paralysé. Et ce ne sont que deux exemples parmi bon nombre d’agressions commises contre des Palestiniens un peu partout dans le monde.
Ce projet d’élimination requiert donc (ou est peut-être conditionné par) une guerre contre toutes choses en vie : des animaux aux oliviers et aux humains – et il va sans dire que les Palestiniens sont en effet des êtres humains.
En attaquant les sites mêmes censés dispenser soins et traitements au beau milieu d’un génocide, le régime israélien a davantage transformé les soins de santé en une arme contre le peuple palestinien.
Malgré cette tentative, les Palestiniens restent bien décidés dans leur insistance à vouloir rester sur leur terre et à s’occuper de leurs semblables par tous les moyens disponibles.
De façon retentissante, ils ont demandé que soit mis un terme au blocus illégal et au siège, ainsi qu’à l’occupation et à l’élimination que soutient le projet colonial de peuplement sioniste.
Ils revendiquent la libération de tous les Palestiniens, du fleuve à la mer et dans le monde entier, de sorte qu’ils puissent se charger de leur santé, sur leur terre, et qu’ils puissent se mettre à rebâtir un système de soins de santé pour tous dans une Palestine libre.
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Danya Q. est une activiste de la santé publique et une chercheuse vivant aux EU et en Palestine.
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Publié le 4 février 2024 sur Truth Out
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine