Craig Mokhiber à propos de la mobilisation du monde en faveur des droits palestiniens
Craig Mokhiber, ancien haut fonctionnaire des Nations unies et avocat des droits humains : « La rengaine de la ‘solution à deux États’ est devenue une plaisanterie éculée dans les corridors de l’ONU, à la fois pour son extrême impossibilité dans les faits et pour son incapacité totale à tenir compte des droits inaliénables du peuple palestinien »
Maureen Clare Murphy, 25 février 2024
La semaine dernière, au Conseil de sécurité, les États-Unis ont fait valoir pour la troisième fois leur veto, prolongeant ainsi le génocide de Gaza. On s’en souviendra comme de l’une des pages les plus honteuses de l’histoire de l’organisation mondiale.
« C’est scandaleux », a déclaré cette semaine Craig Mokhiber, ancien haut fonctionnaire des Nations unies et avocat des droits humains, au cours d’une émission en direct de The Electronic Intifada. Vous pouvez écouter l’interview complète de Craig Mokhiber dans la vidéo en bas de l’article .
Craig Mokhiber a ajouté que « des milliers de personnes de plus sont mortes chaque fois » que les EU ont bloqué une résolution réclamant que soit mis un terme aux frappes aériennes incessantes d’Israël, aux exécutions sommaires, à la destruction des infrastructures civiles et à cette famine savamment orchestrée, entre autres crimes de guerre commis à Gaza.
Plus de 25 000 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 18 octobre, c’est-à-dire depuis la première fois que les EU ont utilisé leur veto pour bloquer un appel en faveur d’une trêve humanitaire aux hostilités.
Le veto de mardi « provoquera sans nul doute des souffrances pires encore », déclare l’Institut Lemkin pour la prévention des génocides,
« particulièrement si rien n’est fait pour empêcher une incursion terrestre israélienne dans ce qui constitue le dernier refuge des Palestiniens de Gaza ».
Plus d’un million de Palestiniens sont actuellement concentrés à Rafah, le long de la frontière sud de Gaza avec l’Égypte, après qu’Israël a émis des ordres d’évacuation dans de vastes portions du territoire et a transféré de force des civils d’une région à l’autre.
Le cabinet israélien de la guerre brandit la menace d’une importante offensive terrestre à Rafah, contre laquelle même l’administration Biden, pleinement complice dans le génocide de Gaza, met en garde en disant qu’elle constituerait « un désastre », ce qui n’empêche nullement les EU de transférer plus d’armes encore pour alimenter le massacre.
Le pire peut encore venir
Les rapports des médias et l’imagerie satellitaire concernant les travaux importants du côté égyptien de Rafah attisent les craintes de voir l’intensification des attaques israéliennes dans cette région – où est transférée la majeure partie de l’aide inadéquate qui entre à Gaza – se traduire par une nouvelle expulsion massive des Palestiniens de leur patrie.
Craig Mokhiber a déclaré que l’ampleur et le tempo des travaux de construction égyptiens indiquent qu’ils ne feraient pas simplement partie d’un plan d’urgence si une expulsion massive de ce type devait avoir lieu.
Alors que, publiquement, Le Caire s’oppose à la déportation des Palestiniens,
« on ne peut qu’imaginer la pression que le régime égyptien est amené à supporter afin de collaborer au nettoyage ethnique de Gaza ».
Craig Mokhiber a expliqué que les puissances occidentales,
« embarrassées et politiquement compromises par le manque absolu de toutes limitations de la part d’Israël dans cette offensive génocidaire »,
appliquent elles aussi des pressions diplomatiques sur Israël, et que celles-ci peuvent avoir retardé une intensification pire encore des massacres en cours à Rafah.
Mais ces efforts pourraient ne pas suffire pour réfréner Israël et le pire peut encore venir.
Pour Israël, terminer le boulot à Gaza
« signifie soit tuer tout le monde soit tuer suffisamment de monde et rendre les conditions les plus insupportables possibles de sorte que les survivants qui resteront ne pourront plus faire autrement que de se frayer un chemin au-delà de la frontière »,
a ajouté Craig Mokhiber.
« Et je pense qu’il y a tout lieu de croire que c’est ce qu’ils vont faire. »
Entre-temps, par un nouvel acte de complicité dans le génocide, les alliés d’Israël ont asséné ce qui pourrait être le coup de grâce pour l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, en gelant son financement suite à des allégations non prouvées disant qu’une poignée de membres de son personnel à Gaza étaient impliqués dans le raid du 7 octobre dirigé par le Hamas.
Philippe Lazzarini, le chef de l’UNRWA, a déclaré cette semaine à l’Assemblée générale de l’ONU que « l’agence avait atteint un point de rupture » et que sa capacité à remplir son mandat et à fournir des services de type gouvernemental à des millions de Palestriniens sans État « était désormais gravement menacée ».
Pourquoi Israël veut-il assister à la fin de l’UNRWA, sa disparition étant une caractéristique saillante du plan « du lendemain » du Premier ministre Benjamin Netanyahou ?
« Parce que l’UNRWA est dans le chemin de leur plan ethno-nationaliste pour Gaza ainsi que pour la Cisjordanie »,
estime Craig Mokhiber.
Le fait que les États occidentaux n’ont pas hésité à interrompre le financement après qu’Israël « a, pour l’essentiel, donné l’ordre » de le faire, devrait embarrasser très fortement les habitants de ces pays quant au fonctionnement de leurs propres gouvernements, a ajouté Craig Mokhiber.
Contester l’impunité israélienne
L’impunité d’Israël – et la complicité de ses puissants alliés – est contestée comme jamais auparavant et de façon potentiellement irréversible, très semblable à la façon dont l’Afrique du Sud était devenue un paria international dans les dernières années de domination de l’apartheid.
Israël a ignoré les mesures provisoires de la Cour internationale de justice lui ordonnant de mettre un terme à tous ses actes génocidaires. Entre-temps, le procureur principal de la Cour pénale, un tribunal différent, n’a rien fait pour empêcher le génocide de Gaza.
Mais la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice a déjà incité des États et des entreprises à rompre leurs liens avec les fabricants d’armes israéliens et à annuler les licences d’exportation d’armes vers Israël.
Et, alors que la cour ne dispose pas de mécanisme d’application, l’Assemblée générale pourrait éventuellement imposer des conséquences matérielles, a déclaré Craig Mokhiber. Celles-ci pourraient inclure la mise à l’écart d’Israël de certaines organisations internationales, la demande de non-reconnaissance des passeports israéliens et l’application de sanctions économiques et politiques.
Les États ont également une obligation individuelle et collective d’entreprendre des actions « là où il y a un génocide ou même une menace ou un risque de génocide », a-t-il ajouté.
Mais, selon lui, « le pouvoir réel se trouve au sein de la société civile ».
« Et si vous voyez un changement de ton, sans toutefois qu’il y ait passage à l’action, de la part d’un certain nombre de gouvernements occidentaux aujourd’hui »,
a déclaré Craig Mokhiber,
« c’est en raison de toutes les pressions de la société civile en faveur des mouvements, des protestations, des syndicats, et toutes ces sortes de choses qui ont (…) jeté l’opprobre sur les gouvernements à cause de leur participation au génocide. »
L’occupation israélienne en jugement
Dans une autre affaire que la plainte pour génocide introduite par l’Afrique du Sud, la Cour internationale de justice a tenu des audiences la semaine dernière pour se pencher sur
« les conséquences juridiques émanant des mesures et pratiques israéliennes en territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».
Cet examen avait été requis par l’Assemblée générale de l’ONU après qu’elle avait adopté à une forte majorité une résolution demandant à la cour d’émettre un avis consultatif sur deux questions :
« Quelles sont les conséquences juridiques qui découlent des actuelles violations par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation prolongée, de son peuplement et de son annexion du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris les mesures destinées à altérer la composition, le caractère et le statut démographiques de la Ville Sainte de Jérusalem, et de son adoption des lois et de mesures discriminatoires en rapport avec ce qui précède ? »
« Comment les mesures et pratiques d’Israël en rapport avec ce qui précède (…) affectent-elles le statut juridique de l’occupation, et quelles sont, pour tous les États et les Nations unies, les conséquences juridiques qui découlent de ce statut ? »
Plus de 50 pays et trois organisations s’adressent à la cour durant les audiences qui ont débuté cette semaine – un « nombre sans précédent » de participants pour une affaire de la Cour internationale, estime Human Rights Watch.
Cette organisation, dont le siège se trouve à New York, explique
« que l’importante participation aux audiences et les nombreuses soumissions écrites reflètent l’élan international croissant en vue d’aborder l’incapacité, des décennies durant, de faire respecter les lois internationales »
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
« Israël est déjà en procès pour génocide », a déclaré Craig Mokhiber.
« Maintenant, il est de nouveau en procès devant la Cour internationale mais, cette fois, et c’est très important, l’occupation elle-même est en jugement et le soutien apporté à cette occupation par d’autres États est en jugement aussi. »
Les soumissions écrites et les interventions orales dans l’affaire démontrent que « tout le projet idéologique d’Israël est également en jugement jusqu’à un certain point », estime encore Craig Mokhiber.
Également en jugement,
« il y a le paradigme d’Oslo, ou la ruse d’Oslo (…) parce que ç’a été le cadre dominant pour traiter de la question de la Palestine durant plus de 30 ans et il a mis sur la touche et contourné les lois internationales en faveur de négociations entre occupants et occupés ».
L’aile politique de l’ONU – qui a joué un rôle historique dans le refus aux Palestiniens du droit à l’autodétermination en proposant une partition de leur pays à l’encontre des souhaits de la population autochtone – continue de maintenir en vigueur la ruse d’Oslo en insistant sur une solution à deux États négociée entre deux parties intrinsèquement inégales, plutôt que l’appliquer les lois internationales.
Dans sa lettre de démission adressée en octobre dernier au haut- commissaire de l’ONU pour les droits humains, Craig Mokhiber déclarait que
« la rengaine de la ‘solution à deux États’ est devenue une plaisanterie éculée dans les corridors de l’ONU, à la fois pour son extrême impossibilité dans les faits et pour son incapacité totale à tenir compte des droits inaliénables du peuple palestinien ».
Mais ce cadre a été de plus en plus contesté, ces dernières années, du fait que d’importantes organisations internationales des droits humains ont réclamé une approche centrée sur les lois internationales plutôt qu’un « processus de paix » qui s’est contenté de favoriser une culture de l’impunité et a permis à Israël d’accélérer sa colonisation de la terre palestinienne.
Depuis des années, les organisations palestiniennes des droits humains insistent auprès des États
« pour qu’ils s’en prennent aux causes profondes du colonialisme de peuplement d’Israël et de l’apartheid imposé au peuple palestinien dans son ensemble »,
a déclaré Al-Haq (dont le siège se trouve à Ramallah) juste avant le vote de l’Assemblée générale afin de demander un avis consultatif.
Ces causes fondamentales –
« la dépossession, le colonialisme de peuplement, le suprémacisme juif, le racisme, la discrimination raciale, l’apartheid »,
selon les mots de Craig Mokhiber – ont été abordés dans le témoignage auditionné par la cour la semaine dernière.
Les déclarations faites par la Palestine et l’Afrique du Sud sont « quasiment une amorce parfaite de la cause juridique et morale de la Palestine », a-t-il ajouté. On peut découvrir ci-dessous les déclarations orales émises par ces pays :
« En matière de droit, le peuple palestinien a des droits humains », a déclaré Craig Mokhiber.
Alors que la cour délibère, les gens doivent entreprendre des actions visant à mettre un terme au génocide de Gaza et au soutien de leurs gouvernements au système israélien d’oppression dans son ensemble.
« Nous devons exiger des comptes auprès des perpétrateurs, y compris ceux qui sont complices, nous devons exiger des réparations pour les victimes et pour les survivants »,
a poursuivi Craig Mokhiber.
« Et cela ne peut venir que de nous »,
a-t-il conclu.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 25 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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