« Les prisonniers sont les points de repère de notre lutte »

« Les prisonniers sont les points de repère de notre lutte »Une Journée du Prisonnier palestinien en plein génocide à Gaza

 

Soirée en soutien aux prisonniers palestiniens, organisé par Samidoun et Bruxelles Panthères, le 17 avril à Bruxelles

Soirée en soutien aux prisonniers palestiniens, organisée par Samidoun et Bruxelles Panthères, le 17 avril à Bruxelles

 

Benay Blend, 16 avril 2024

Début septembre 2021, six prisonniers palestiniens s’évadaient de la prison de Gilboa, un site de haute sécurité dans le nord d’Israël. Au cours des mois précédents, ils avaient creusé un tunnel qui débouchait à l’extérieur en passant sous les murs de la prison.

Alors que le Premier ministre Naftali Bennett qualifiait l’évasion d’« incident sérieux », le porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum, saluait les évadés en disant :

« Cette évasion prouve la bravoure de ces prisonniers, qui ont conquis leur liberté malgré l’extrême sévérité des mesures de sécurité. Leur action est héroïque et impressionnante ».

Quant au porte-parole du Fatah, Munir al-Jaghoub, il avait applaudi à l’évasion, expliquant que

« le rêve de liberté est partagé par tous les prisonniers (…) Ces six héros sont parvenus à briser le système ».

« Étant donné que tant les Palestiniens que notre libération sont criminalisés aussi bien dans la Palestine historique que dans la diaspora »,

explique le Mouvement palestinien de la Jeunesse, ce n’est pas une surprise si les Palestiniens considèrent nos prisonniers comme une « représentation d’une nation en captivité », un « point de repère » sur la voie de la libération.

Le 17 avril marque la Journée du Prisonnier palestinien, instaurée en 1974 par le Conseil national palestinien comme une journée destinée à honorer les milliers de prisonniers palestiniens détenus dans les prisons de l’occupation israélienne et à soutenir leur droit légitime à la liberté. Cette date a été choisie parce qu’elle commémore la libération du prisonnier Mahmoud Bakr Hijazi lors du premier échange de prisonniers entre les Palestiniens et Israël. Par conséquent, la Journée du Prisonnier palestinien considère tous ceux qui ont passé du temps en prison comme des « icônes de la résistance », qui représentent de la sorte tous les Palestiniens qui ont connu une occupation brutale au cours des 76 années écoulées.

Dans une interview réalisée par The New Arab, Charlotte Kates, la coordinatrice de Samidoun, a confirmé que

« les Palestiniens apprécient et honorent profondément les sacrifices terribles consentis par les prisonniers politiques pour la libération de leur terre. Chacune de leurs vies leur est précieuse. »

Et d’ajouter que les prisonniers palestiniens sont des dirigeants de la résistance qui ont été arrêtés parce qu’Israël comprend qu’ils sont une menace pour le système colonial de peuplement et que, de ce fait, il entend bien les isoler du monde.

« Dès les tout premiers jours du mouvement national de libération de la Palestine, l’emprisonnement a toujours été une arme utilisée par le colonisateur »,

a confirmé Charlotte Kates, et

« il a toujours constitué une source d’inspiration pour la résistance palestinienne. »

Elle explique également que les prisonniers, plus que de simples victimes du colonisateur, sont également

« des dirigeants, des organisateurs et des combattants. Ils s’organisent derrière les barreaux et transforment les prisons en ‘écoles révolutionnaires’ des opprimés ».

Du fait qu’ils sont « au centre même du mouvement de libération », leur droit à la liberté doit faire partie de la lutte de libération en même temps que l’isolement d’Israël.

L’ouvrage de Julie Norman, « Le mouvement des prisonniers palestiniens : Résistance et désobéissance » (2021) explique la façon dont les prisons israéliennes ont servi de « microcosmes » de l’occupation plus large, dans lesquels les prisonniers tentent de « reconquérir l’espace carcéral à des fins d’organisation et de résistance ».

Cette explication du rôle des prisonniers dans la lutte donne un aperçu de la raison pour laquelle la résistance confère aujourd’hui une telle importance à l’échange de prisonniers dans ses négociations. Étant donné les décennies de mainmise d’Israël sur Gaza, « il est parfaitement logique », écrit Iqbal Jassat, pour le Hamas

« non seulement de recourir à des moyens créatifs pour briser ce siège paralysant », c’est-à-dire à l’échange de prisonniers, « mais également de résister au génocide incrémentiel imposé par les occupants ».

Sahar Francis, directrice d’Addameer, l’organisation de défense des droits des prisonniers installée à Ramallah, explique que l’action collective à l’intérieur des prisons fait partie depuis longtemps de la vie des prisonniers palestiniens.

Dans une déclaration prophétique, Sahar Francis concluait que toute solution politique devrait inclure la libération de tous les prisonniers, puisqu’ils ont été emprisonnés sous l’occupation militaire illégale par Israël. En effet, le 15 mars, l’organisation de résistance palestinienne du Hamas a proposé un accord de cessez-le-feu qui devait comprendre la libération des captifs israéliens en échange d’entre 700 et 1 000 prisonniers palestiniens, dont 100 purgeaient des sentences à perpétuité.

À la date du 22 mars 2024, plus de 7 350 Palestiniens de Cisjordanie avaient été arrêtés par Israël depuis le 7 octobre 2023. À partir de cette date, les autorités carcérales israéliennes ont déchaîné « une violence sans précédent » contre les prisonniers, via, entre autres, des tabassages sévères, des humiliations et la privation de nourriture, de soins de santé et de petites commodités élémentaires, supprimant ainsi des acquis arrachés par les prisonniers dans les domaines de l’alimentation adéquate, des fournitures de toilette, du temps de promenade, des soins de santé, des visites familiales et de l’accès à des possessions personnelles.

Alors que tous les regards sont concentrés sur Gaza, Israël tire parti de cette situation pour intensifier ses abus en tous genres à l’égard des prisonniers. Fin février, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) accusait l’entité sioniste d’affamer délibérément des prisonniers. Elle faisait également remarquer que les autorités empêchent les Palestiniens d’obtenir d’autres articles concernant leur santé, dont des médicaments, des vêtements et des couvertures.

L’intensification de la violence d’Israël à l’égard des prisonniers est une réplique de son agression plus ample contre le peuple palestinien, sa terre et ses biens, et du génocide en cours à Gaza. Depuis longtemps, les prisons israéliennes sont emblématiques du régime d’apartheid d’Israël et de son système juridique inique. En tant que tel, ce régime est également perçu comme le berceau de la résistance.

Charlotte Kates l’a fait remarquer :

« Chaque jour, ces prisonniers exposent leurs corps sur les lignes de font de la résistance en affrontant directement leurs geôliers israéliens et le système carcéral colonial »

via des grèves de la faim, des classes d’éducation et toute une organisation politique dans le but d’arracher des droits élémentaires. De derrière les barreaux, ils continuent à exercer leur direction dans la lutte palestinienne ainsi que dans l’ensemble du mouvement international élargi. »

Selon un témoignage anonyme,

« ils nous tuent alors que nous sommes en vie, ils essaient de nous défaire de toute notre foi humaniste et nationaliste et de toutes nos qualités ».

Malgré les efforts en vue de briser leur résistance, les prisons sont devenues comme des

« cellules souterraines » où les détenus restent engagés dans la libération, en un désir qui « contrôle la totalité du mouvement des prisonniers ».

D’après leur description émanant d’une autre source anonyme, les prisonniers « restent fermes » face aux niveaux de violence sans précédent et ce, en partie, parce qu’ils « imaginent l’approche de leur libération ». Refusant d’être isolés de la lutte plus large, ces combattants de la liberté comprennent que personne ne peut entraver leur capacité à penser librement malgré les conditions épouvantables qu’ils subissent.

« Loin de briser nos esprits, la prison nous a rendus plus décidés encore à poursuivre ce combat jusqu’à la victoire »,

écrivait Mandela au cours de ses années de prison. Dans sa préface à « Ces chaînes seront brisées : Récits palestiniens de lutte et de désobéissance dans les prisons israéliennes » (compilé par Ramzy Baroud en 2020), Khalida Jarrar répète cette idée. Selon elle, la prison est davantage que ses murs ; c’est plutôt une « position morale qui doit être assurée quotidiennement » et qu’on ne peut jamais laisser en souffrance (p. xvii).

Comme le fait remarquer l’écrivaine Rana Shubair, là où il y a des pays stables, l’emprisonnement a typiquement lieu quand un crime tel vol, homicide ou viol est commis. Bien qu’il y ait des exceptions, c’est habituellement le cas. Il n’en va pas de même sous l’occupation israélienne, où les Palestiniens sont arrêtés parce qu’ils exercent leur droit légal à résister à cette même occupation, y compris leur affiliation à une organisation qui appelle à la résistance.

Néanmoins, quand les prisonniers palestiniens sont relâchés, les gens ne les évitent pas, comme en Occident ; en lieu et place, ils sont honorés et accueillis en tant que héros une fois qu’ils retournent dans leur communauté ou leur famille. La veille d’une autre Journée du Prisonnier, Rana Shubair écrivait :

« Restez assuré de ce que le peuple de Palestine est unanime à vous soutenir, parce que c’est une question qui concerne toute la nation. Rien ne peut compenser votre absence et nous n’aurons de cesse que vous ne soyez de nouveau réuni à tous ceux qui vous sont chers. »

Le 7 avril 2024, le prisonnier palestinien Walid Daqqah mourait de négligence médicale après avoir passé près de quarante ans dans les prisons israéliennes. Révolutionnaire, écrivain et membre de haut rang du Front populaire pour la libération de la Palestine, Daqqah s’est tout le temps vu refuser les visites de sa famille, avant tout de sa femme et de sa fille Milad, née de sperme sorti clandestinement de la prison.

Dans sa déclaration, le Djihad islamique palestinien disait que le martyre de Daqqah faisait de lui « une incarnation vivante » de la souffrance vécue par les prisonniers palestiniens. Depuis le 7 octobre, il y a eu quinze martyrs parmi les plus de 8 000 Palestiniens actuellement détenus dans les geôles israéliennes.

Rappelant ses pires expériences à Robben Island, Nelson Mandela disait :

« Nous puisions notre force dans le fait de savoir que nous faisions partie d’une humanité plus large que celle que pouvaient revendiquer nos geôliers. »

En cette Journée du Prisonnier de 2024, les mots de Mandela peuvent s’étendre à Walid Daqqah, qui écrivait :

« L’amour est ma seule victoire sur mon geôlier »

(cité sur Resistance News Network), en parlant des sentiments qu’il éprouvait pour sa femme et pour sa fille, ainsi que pour la cause palestinienne.

Il avait écrit à sa fille Milad :

« Tu es la plus belle évasion (…) mon message adressé à l’avenir. »

Dans cette déclaration, Daqqah illustre qu’il n’est pas seulement une victime de négligence médicale mais aussi un combattant qui apprécie grandement toutes les formes de résistance à l’État.

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Publié le 16 avril 2024 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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