Le tribunal ordonne la libération de l’intellectuelle féministe palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian
Vendredi, un tribunal israélien a ordonné la libération de Nadera Shalhoub-Kevorkian, une intellectuelle féministe palestinienne de grand renom, après son arrestation la veille à son domicile dans la Vieille Ville de Jérusalem.
Maureen Clare Murphy, 20 avril 2024
Mme Shalhoub-Kevorkian, professeure à la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, a été relâchée par le tribunal, « à condition d’assister à un interrogatoire et de signer une garantie financière », déclare Adalah, une organisation de défense des droits des Palestiniens en Israël.
Les autorités israéliennes, rapporte-t-on, ont accusé Mme Shalhoub-Kevorkian, une Palestinienne de Haïfa possédant la citoyenneté israélienne, d’incitation au terrorisme dans des commentaires qu’elle a émis lors d’une interview réalisée dans le podcast de Makdisi Street.
La police a prétendu que Mme Shalhoub-Kevorkian s’était engagée dans
« de graves incitations contre l’État d’Israël en se livrant à des déclarations contre le sionisme et en allant jusqu’à prétendre qu’Israël commettait un génocide dans la bande de Gaza ».
La police, qui dépend de l’autorité du ministre d’extrême droite de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a fait remarquer « l’influence significative » de Mme Shalhoub-Kevorkian et a déclaré qu’elle avait par ailleurs trouvé à son domicile des affiches « présentant les FDI comme une armée d’occupation ».
Au cours d’une brève audience, l’avocat de l’État a cité, comme exemples de la nature dangereuse de la professeure, ses descriptions du recours par Israël à la violence meurtrière contre les Palestiniens et de la rétention, toujours par Israël, des corps des Palestiniens abattus, lesquels ne sont restitués à leurs familles que dans un état de dégradation.
L’avocat de l’État a également éveillé les soupçons que Mme Shalhoub-Kevorkian ait des liens avec Defense for Children International – Palestine (DCI-P), une organisation palestinienne des droits humains qui jouit d’un grand respect et qui, en compagnie de plusieurs autres organisations du même genre engagées dans le soutien international, a été désignée comme « terroriste » par Israël.
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Au cours de l’arrestation, toujours selon Adalah, la police a confisqué
« le téléphone mobile de l’intellectuelle féministe, son ordinateur, des documents et des livres du poète palestinien Mahmoud Darwich ».
Après qu’un magistrat du tribunal a ordonné la libération de Mme Shalhoub-Kevorkian,
« ne voyant aucune justification aux allégations disant qu’elle constitue un danger et qu’elle devrait rester en détention »,
la décision a été confirmée par un tribunal de district qui a rejeté un appel de la police, a encore fait savoir Adalah.
La criminalisation des critiques envers le sionisme
Adalah a déclaré vendredi que
« les arguments de la police montrent clairement que l’arrestation de la professeure Shalhoub-Kevorkian est illégale, qu’elle cible ses recherches, son travail universitaire et ses opinions critiques à l’égard d’Israël lors des forums internationaux ».
Me Hassan Jabareen, l’avocat de la professeure, a déclaré que Mme Shalhoub-Kevorkian avait été interrogée sur les travaux universitaires qu’elle avait publiés.
Me Jabareen
« a dit que c’était la première fois qu’en Israël un universitaire était interrogé à propos de la publication d’un article universitaire et qu’il s’agissait en fait d’anciens articles que l’on enseignait depuis des années »
a rapporté Haaretz, le quotidien de Tel-Aviv.
La transcription de l’audience de la cour du magistrat, ce vendredi, révèle que Me Jabareen a également déclaré que c’était
« la première fois en vingt-cinq ans que la police israélienne comparaît devant un tribunal et propose comme l’un des motifs d’arrestation le fait que l’accusée critique sévèrement le sionisme ».
Et d’ajouter que
« c’est également la première fois que nous entendons, depuis la décision [de la Cour internationale de Justice] autour de la question de génocide, la police prétendre devant la cour même que les critiques en matière de génocide constituent des motifs d’arrestation ».
La peur et la violence
Au cours de l’interview de 90 minutes sur Makdisi Street publiée début mars et que l’on peut visionner ci-dessus, Mme Shalhoub-Kevorkian décrit l’atmosphère lourde de répression coloniale sévère qui étouffe les Palestiniens de Jérusalem, y compris dans le quartier arménien de la Vieille Ville où elle vit.
Vidéo : « Il y a tant d’amour en Palestine… »
Elle discute également de la façon dont des corps palestiniens ont été pulvérisés par milliers dans le même temps que le président américain Joe Biden répétait les mensonges à propos des bébés israéliens décapités – la propagande des atrocités utilisée pour fabriquer de toutes pièces un consentement à la violence israélienne à Gaza.
Elle fait reposer ses commentaires sur l’opposition à la violence contre les femmes et les enfants qu’elle exprime en défendant la cause de la Palestine.
« Comprenez-moi bien (…) je m’adressais à tous mes amis en disant ‘pas en mon nom‘ »,
explique Mme Shalhoub-Kevorkian à propos de sa réaction aux récits qui ont vu le jour lors des attaques du 7 octobre.
« Je ne permettrai jamais à personne de toucher un bébé, de kidnapper un enfant, de violer une femme, ce n’est pas en mon nom et je n’accepterai jamais la chose en tant que Palestinienne, parce que, durant toute notre existence, nous avons lutté pour la dignité, pour la vie, pour la plénitude de l’être humain, et non pas le contraire »,
dit-elle.
Un peu plus loin dans l’interview, elle explique pourquoi, malgré les destructions infligées à Gaza, Israël n’est pas à ce point puissant et elle décrit les Israéliens qui ont un mouvement de recul de peur lorsqu’ils l’entendent parler arabe dans la rue.
« Ils devraient être effrayés »,
dit Mme Shalhoub-Kevorkian,
« parce que les criminels sont toujours effrayés. Ils ne peuvent me déposséder de ma terre, ils ne peuvent déplacer mon peuple, ils ne peuvent tuer sans éprouver de la crainte et c’est ainsi qu’il vaut mieux pour eux d’avoir peur. »
« C’est pourquoi ils ont peur, parce qu’ils ne peuvent nous regarder dans les yeux »,
ajoute-t-elle.
Ces commentaires, qui sont présentés par la police israélienne comme une incitation au terrorisme, établissent que la crainte des Israéliens provient des mauvais traitements qu’ils infligent aux Palestiniens, ce qui implique que les Israéliens n’obtiendront jamais la sécurité en violant les droits d’un autre peuple.
« Le pouvoir qu’ils détiennent est le pouvoir que le communauté mondiale leur donne »,
explique Mme Shalhoub-Kevorkian. Et d’ajouter qu’« un mouvement politique mondial » est nécessaire pour faire cesser « les criminels violents » qui sont à la tête d’Israël.
« Qu’on abolisse tout simplement le sionisme »,
dit-elle de l’idéologie d’État d’Israël qui active la violence génocidaire brisant les corps des Palestiniens à Gaza.
« Cela ne peut continuer (…). C’est criminel. Ce n’est qu’en abolissant le sionisme que nous pourrons continuer, c’est ce que je vois »,
ajoute-t-elle dans des commentaires également cités par la police israélienne.
Interrogée à propos d’un rapport de l’ONU sur la violence sexuelle le 7 octobre, Mme Shalhoub-Kevorkian déclare dans l’interview réalisée par Makdisi Street qu’elle le lit comme « quelque chose qui fait honte à l’État d’Israël », parce qu’il exploite les femmes à des fins politiques.
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Elle explique que la violence sexuelle contre les femmes « a toujours lieu en temps de guerre » et « ne devrait pas se produire ».
Elle déclare que la question est de savoir si Israël permet la collecte appropriée de preuves et elle fait remarquer l’absence du moindre témoignage de femmes disant qu’elles ont été violées le 7 octobre.
« S’il y a eu de la violence sexuelle, ce n’a pas été en mon nom, et si cela n’a pas eu lieu, honte à l’État qui utilise les corps et la sexualité des femmes pour promouvoir ses agendas politiques »,
dit encore Mme Shalhoub-Kevorkian.
Israël bloque les enquêteurs de l’ONU
Israël entrave les investigations d’une commission d’enquête de l’ONU autour des violations des droits de l’homme pendant les attaques du 7 octobre dirigées par le Hamas.
« En ce qui concerne le gouvernement d’Israël, nous avons non seulement assisté à une absence de coopération, mais aussi à une obstruction active de nos efforts en vue de recevoir des preuves de témoins israéliens et de victimes des événements qui ont eu lieu dans le sud d’Israël »,
a déclaré récemment Chris Sidoti, l’un des enquêteurs engagés par le Conseil des droits humains de l’ONU.
Il est typique d’Israël d’interdire aux experts de l’ONU et autres enquêteurs sur les droits humains l’accès au territoire qu’il contrôle. Mais, un peu plus tôt cette année, il a toutefois autorisé l’entrée en Israël de Pramila Patten, une haute fonctionnaire désignée par le secrétaire général de l’ONU, en vue d’une enquête sur des violences sexuelles supposées.
Cette enquête non officielle n’a présenté aucune preuve nouvelle de violence sexuelle systématique. Au lieu de cela, le rapport de Mme Patten déclare que son équipe
« a été incapable d’établir la prévalence de violence sexuelle et conclut que la magnitude, l’ampleur et l’attribution spécifique générales de ces violations requerraient une enquête tous azimuts ».
L’équipe de Mme Patten a été incapable de situer la moindre victime ou de s’entretenir avec la moindre survivante de violence sexuelle ou de viol et ce, malgré des appels et des promesses formelles de confidentialité.
Son rapport estime qu’il y a des « motifs raisonnables » de croire que des viols ont eu lieu le 7 octobre si on se base sur des informations « circonstancielles » qui, prétend Mme Patten, « peuvent être indicatives de certaines formes de violence sexuelle ».
L’équipe de Mme Patten a vu « des informations claires et convaincantes de ce que certaines otages emmenées à Gaza ont été soumises à diverses formes de violence sexuelle typiques d’un conflit », prétend son rapport, mais elle ne développe pas davantage ces informations.
La violence sexuelle à l’encontre des Palestiniens
Entre-temps, les Palestiniens de Gaza ont décrit les violences sexuelles qu’ils ont endurées lors de leur détention en Israël ces derniers mois.
En février, des experts de l’ONU ont déclaré qu’ils avaient reçu des allégations crédibles disant que des femmes et des filles palestiniennes détenues par les forces israéliennes à Gaza avaient été
« soumises à diverses formes d’agression sexuelle, comme le fait d’être déshabillées complètement et fouillées par des officiers mâles de l’armée israélienne ».
« Au moins deux détenues palestiniennes ont été violées, dit-on, alors que d’autres ont été menacées de viol et de violence sexuelle »,
ont déclaré les experts.
Des hommes palestiniens détenus à Gaza ont eux aussi été soumis à des violences sexuelles et à des tortures.
Des témoignages collectés par l’UNRWA auprès de détenus libérés, et d’autres publiés dans des médias, indiquent que cette violence est généralisée et systématique.
Lors de l’interview réalisée par Makdisi Street, Mme Shalhoub-Kevorkian et son hôte discutent de l’omniprésence de la violence de genre infligée aux Palestiniennes lors de l’invasion terrestre de Gaza par Israël – sans oublier le spectacle en public d’hommes arrêtés dépouillés de leurs vêtements et de soldats israéliens qui se filment alors qu’ils sont en train de jouer avec de la lingerie de femmes palestiniennes.
L’arrestation de l’intellectuelle féministe en raison de cette interview constitue une grave escalade. Mme Shalhoub-Kevorkian a été soumise à un harcèlement pendant des mois après qu’elle avait signé un appel en faveur d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza, appel publié fin octobre par des chercheurs sur l’enfance et des étudiants.
L’Université hébraïque a suspendu la professeure peu après l’interview de Makdisi Street, avant de la réintégrer dans ses fonctions, une fois qu’elle s’est retrouvée sous le feu des critiques internationales.
L’université a condamné les commentaires de Mme Shalhoub-Kevorkian aussi bien que son arrestation, en disant :
« Il n’y a pas lieu d’arrêter une personne pour des remarques de ce genre, aussi exaspérantes soient-elles. »
Ussama Makdisi, l’un des trois frères qui accueillent le podcast Makdisi Street centré sur la Palestine, a déclaré que
« l’arrestation et la persécution de la brillante intellectuelle Nadera Shalhoub-Kevorkian est un témoignage de sa force et de la crainte éprouvée par les colonialistes sionistes à l’égard de quelqu’un qui s’engage sur le plan intellectuel et éthique à dénoncer la nature de leur projet ».
Le rôle de l’Université hébraïque
Par le biais de leur compte podcast sur X, les frères Makdisi, qui sont tous trois universitaires, ont déclaré qu’ils considéraient l’arrestation de Mme Shalhoub-Kevorkian comme
« une tentative de réduire au silence les critiques à l’égard de la violence étatique d’Israël dans le contexte d’une société profondément imprégnée d’incitation et de discours génocidaires ».
Ils ont ajouté qu’ils
« considéraient l’Université hébraïque de Jérusalem comme responsable de l’arrestation et de la détention de la professeure Shalhoub-Kevorkian en raison de la répression constante et publique qu’elle exerce à l’encontre de sa liberté académique, laquelle répression a débouché direction sur l’arrestation de ce jour ».
L’universitaire israélien Neve Gordon, écrivant au nom du comité en faveur de la liberté académique, dépendant de la Société britannique des études moyen-orientales, a expliqué au président et au recteur de l’Université hébraïque qu’une lettre qu’ils avaient adressée à Mme Shalhoub-Kevorkian fin octobre avait « la capacité d’inciter à la violence tant verbale que physique contre » la professeure.
Neve Gordon a déclaré que la diffusion très répandue de la lettre des dirigeants de l’Université hébraïque
« a potentiellement mis en danger le bien-être mental et physique de la professeure Shalhoub-Kevorkian et contrevient à votre devoir et sollicitude à son égard ».
La lettre des autorités de l’Université hébraïque proteste contre le soutien de Mme Shalhoub-Kevorkian à l’appel au cessez-le-feu et elle insiste pour qu’elle démissionne de son poste universitaire.
L’universitaire palestinien Nimer Sultany a également blâmé l’Université hébraïque pour l’arrestation de Mme Shalhoub-Kevorkian.
« Ils ont incité la foule contre leur propre employée et ce, à deux reprises depuis octobre, la suspendant brièvement de son travail, en raison de son discours contre la guerre et de leur propre soutien fanatique au génocide »,
a déclaré M. Sultany.
Il a encouragé l’engagement avec le travail universitaire approfondi de la professeure Shalhoub-Kevorkian comme moyen de témoigner sa solidarité à cette intellectuelle féministe.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 20 avril 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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