Au lieu de reconnaître la « Palestine », les pays devraient retirer leur reconnaissance à Israël

Lorsque les États membres de l’ONU reconnaissent un État palestinien fantasmatique, ils ne font que renforcer l’illégalité d’Israël en tant qu’État institutionnellement raciste.

 

Un drapeau palestinien, à gauche, aux côtés des drapeaux de l'UE et de l'Ukraine devant Leinster House à Dublin pour marquer la reconnaissance par l'Irlande d'un État palestinien, le 28 mai 2024 (Peter Murphy/AFP).

Un drapeau palestinien, à gauche, aux côtés des drapeaux de l’UE et de l’Ukraine devant Leinster House à Dublin pour marquer la reconnaissance par l’Irlande d’un État palestinien, le 28 mai 2024 (Peter Murphy/AFP).

 

Joseph Massad, 30 mai 2024.

Mardi, trois autres États européens ont officiellement reconnu un État palestinien non-existant. L’Irlande, l’Espagne et la Norvège sont les derniers à se joindre à plus de 140 autres membres des Nations Unies pour reconnaître cette entité fantôme.

L’Autorité palestinienne, créée en 1993 pour aider Israël à réprimer la résistance palestinienne à la colonisation et à l’occupation israéliennes, s’est félicitée de l’expansion de ce club improbable.

D’autres États européens comme la Belgique, Malte et la Slovénie ont également menacé d’emboîter le pas.

Les Israéliens, qui refusent aux Palestiniens le droit à un État depuis 1948, ont réagi avec colère à cette décision largement symbolique.

Cependant, comme je vais le montrer, la reconnaissance internationale d’un État palestinien fantôme a été l’une des principales façons par lesquelles les membres de l’ONU insistent, en violation des règlements de l’ONU, pour reconnaître le droit d’Israël à rester un État raciste et suprématiste juif.

 

Nier l’indépendance palestinienne

Peu de temps après l’occupation de la Palestine par les Britanniques à la fin de 1917, les Palestiniens ont exigé – et se sont vu refuser – leur indépendance. Mais ce n’est qu’en 1937 qu’une proposition refusant explicitement aux Palestiniens leur propre État fut avancée.

La Commission Peel britannique a recommandé la partition de la Palestine entre les colons juifs et le jeune État de Transjordanie d’alors.

Dirigée par Lord Robert Peel, la commission a en outre recommandé l’expulsion d’un quart de million de Palestiniens de la zone désignée comme État colonial juif et la confiscation pure et simple de leurs biens. Le reste de la Palestine et les Palestiniens seraient annexés à la Transjordanie.

Le rapport Peel a été abandonné en raison de l’indignation des Palestiniens et des pays arabes.

Ensuite, ce fut au tour de l’ONU, en 1947, de refuser aux Palestiniens l’indépendance dans toute la Palestine, du Jourdain à la mer Méditerranée. L’organisme international a rejeté le rapport minoritaire de son Comité spécial des Nations Unies sur la Palestine (UNSCOP). Il a adopté une résolution de partition visant à diviser le pays entre les colons juifs et les Palestiniens autochtones.

En 1946, la population de la Palestine s’élevait à un peu moins de deux millions d’habitants, soit 1.972.000 habitants. Les Palestiniens représentaient près de 70 pour cent de la population, soit 1.364.000 personnes, tandis que 608.000 colons juifs constituaient le reste.

La résolution 181 de l’AGNU, connue sous le nom de « Plan de partition », proposait deux États, dont chacun aurait eu une majorité palestinienne autochtone, tout comme Jérusalem, qui était censée relever de la juridiction de l’ONU.

Selon le plan, la population de l’État palestinien serait composée de 818.000 Arabes palestiniens et de moins de 10.000 colons juifs, soit un pour cent de la population totale. L’État juif proposé comprendrait 499.000 colons juifs et 509.000 Palestiniens, les Palestiniens représenteraient 54 pour cent de la population.

Ces chiffres ont conduit l’ONU à redessiner la carte et à retirer la ville peuplée de Jaffa, avec ses 71.000 Palestiniens, de l’État colonial juif proposé et à l’inclure comme enclave dans l’État palestinien.

Cette refonte a réduit le nombre de Palestiniens dans la colonie juive à 438.000, soit 46,7 pour cent de la population. Le corpus separatum de l’ONU à Jérusalem, située en dehors des deux États, comprenait 105.000 Palestiniens et 100.000 juifs.

 

Un acte illégal

Le plan de partage stipulait clairement que dans l’un ou l’autre État

« aucune discrimination d’aucune sorte ne sera faite entre les habitants sur la base de la race, de la religion, de la langue ou du sexe »

et que

« aucune expropriation de terres appartenant à un Arabe dans l’État juif (par un juif dans l’État arabe)… sera autorisée sauf pour des raisons d’utilité publique. Dans tous les cas d’expropriation, l’indemnisation intégrale fixée par la Cour suprême sera versée avant la dépossession. »

Au moment où la Déclaration de création de l’État d’Israël a été publiée, le 14 mai 1948, les forces sionistes avaient déjà expulsé environ 400.000 Palestiniens de leurs terres, et elles en expulseraient 360.000 autres dans les mois suivants.

Les sionistes ont compris que le meilleur moyen d’assurer la suprématie juive dans leur État n’était pas seulement d’expulser les Palestiniens et de confisquer leurs biens, mais aussi de conquérir les terres du projet d’État palestinien et de Jérusalem, d’expulser leur population et de confisquer leurs terres.

Le fait qu’il s’agisse d’une violation pure et simple du plan de partage a été reconnu par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) lorsqu’Israël a demandé à devenir membre en 1949.

L’AGNU a insisté sur le fait que pour approuver la candidature d’Israël, Israël devrait respecter ses résolutions, y compris le plan de partage et la résolution 194 de l’AGNU de décembre 1948, qui exigeait qu’Israël autorise le retour des Palestiniens qu’il a expulsés et restitue leurs biens, se retire de Jérusalem-Ouest internationalisée et déclare les frontières de son nouvel État.

Israël a donné l’assurance qu’il respecterait ces conditions après des négociations avec ses voisins, qui, selon lui, ne pourraient se poursuivre qu’après son adhésion à l’ONU. L’AGNU a finalement admis Israël comme membre le 11 mai 1949 par 37 voix contre 12, adoptant la résolution 273 de l’AGNU. Malgré la résolution stipulant qu’Israël doit respecter les résolutions 181 et 194, il ne l’a pas encore fait.

A l’époque, neuf pays, dont le Royaume-Uni, s’étaient abstenus.

Peu de temps après que l’ONU a reconnu Israël, le Premier ministre israélien David Ben Gourion a annexé unilatéralement Jérusalem-Ouest le 5 décembre 1949 et a déclaré qu’Israël n’était plus lié par la résolution 181 car elle concernait à la fois les territoires palestiniens qu’il avait conquis et le contrôle de l’ONU sur Jérusalem-Ouest.

L’Assemblée générale des Nations Unies a publié la résolution 303 quatre jours plus tard, déclarant que Jérusalem serait placée sous un régime international permanent. Cela n’a jamais été le cas. Israël a également commencé à légiférer des lois racistes et suprématistes juives à partir de juillet 1950 avec sa « loi du retour » qui s’appliquait aux Juifs partout dans le monde, mais pas aux Palestiniens expulsés par Israël. De telles lois se sont multipliées aujourd’hui à hauteur de plus de 65.

Tout cela pour dire que la création même d’Israël reste un acte illégal et en violation des résolutions mêmes de l’ONU qui proposaient sa création. Pourtant, l’une des nombreuses ironies les plus répandues du discours dominant occidental sur Israël et les Palestiniens est que le déni israélien et occidental du droit des Palestiniens à leur propre État est accepté comme une position politique légitime, alors que le fait de nier le « droit d’exister » d’Israël en tant qu’Etat juif suprémaciste raciste est condamné comme « génocidaire » ou « antisémite ».

En 1988, l’OLP a implicitement reconnu le droit d’Israël à exister en tant qu’État suprémaciste juif lorsque son parlement en exil a déclaré « l’indépendance » d’un État palestinien en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Et elle le fera explicitement lorsqu’elle signera les accords d’Oslo cinq ans plus tard.

Depuis la déclaration de l’OLP en 1988, l’État palestinien fantôme a commencé à gagner la reconnaissance des membres de l’ONU, comme ce fut le cas la semaine dernière.

Mais cet État ne s’est jamais concrétisé et un consensus international s’est dégagé reconnaissant Israël comme un État d’apartheid raciste depuis 1948 – comme l’attestent Amnesty International et Human Rights Watch, entre autres.

Compte tenu des accusations constantes du camp pro-israélien, la question qui se pose en matière de reconnaissance étatique des juifs israéliens et des Palestiniens est de savoir quelle position soutient en fait le racisme et laquelle défend l’antiracisme ?

 

Retrait de la reconnaissance

Depuis 1948, Israël refuse de reconnaître le droit du peuple palestinien à son propre État et a fait tout son possible pour empêcher sa création.

C’est en effet une position que les dirigeants israéliens continuent de défendre. Benjamin Netanyahu ne se lasse pas de répéter son rejet de la création d’un État palestinien, tout comme son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a affirmé qu’un tel État ne serait jamais autorisé à exister maintenant ou sous un futur gouvernement israélien.

Je n’ai encore vu aucun responsable occidental ou la presse occidentale qualifier de génocidaire ou de raciste un tel déni du droit du peuple palestinien à exister dans son propre État.

Israël, en revanche, a été créé sur les terres du peuple palestinien en 1948, que ce soit sur le territoire qui lui a été accordé par l’Assemblée générale dans le plan de partage de novembre 1947 ou sur la moitié du territoire accordé à l’État palestinien qu’il occupait entre mai et décembre 1948.

Pourtant, les Palestiniens qui rejettent le droit à l’existence d’Israël en tant qu’État suprémaciste juif gouvernant avec une batterie de lois racistes et exigent qu’un État démocratique décolonisé, du fleuve à la mer, soit établi à sa place, sont immédiatement accusés de prôner un « génocide » contre le peuple juif.

Pendant ce temps, les seuls peuples victimes du génocide en Palestine sont les Palestiniens.

Dans cette veine, il faut noter que le bien nommé Gallant a reçu son prénom, « Yoav », de ses parents colons polonais après « l’opération Yoav » de l’armée israélienne dans le sud de la Palestine, dans laquelle son père a combattu lors de la conquête sioniste de 1948.

Au cours de cette opération, les Israéliens ont occupé les terres du futur État palestinien. Ils ont commis l’horrible massacre d’al-Dawayima au cours duquel plus de 200 civils palestiniens, dont des femmes et des enfants, ont été massacrés.

L’insistance de Gallant aujourd’hui à nier le droit des Palestiniens à un État est cohérente avec son soutien à l’occupation de leurs terres par Israël en 1948 au cours d’opérations militaires que son propre nom perpétue.

Les États-Unis et leurs alliés européens ont toujours insisté sur le fait que le droit d’Israël à être un État suprémaciste juif n’est soumis à aucune négociation entre Israéliens et Palestiniens, qui devraient uniquement négocier la possibilité d’un État palestinien sur un territoire tronqué.

Par conséquent, les racistes purs et durs sont ceux qui reconnaissent le droit d’Israël à exister en tant qu’État suprémaciste juif, et insistent sur le fait que cet État illégal devrait continuer à bénéficier du nettoyage ethnique du peuple palestinien à partir de 1948 et être autorisé à entretenir sa batterie de lois et institutions racistes.

Les antiracistes sont, en fait, ceux qui soutiennent le démantèlement des structures et des lois racistes d’Israël et prônent un État décolonisé, du fleuve à la mer, dans lequel tous ceux qui y vivraient seraient égaux devant la loi et ne bénéficieraient d’aucun privilège racial, ethnique ou religieux.

Lorsque les États membres de l’ONU reconnaissent un État palestinien fantasmatique, ils ne font que renforcer l’illégalité d’Israël en tant qu’État institutionnellement raciste. Ce qu’ils doivent faire, c’est non pas reconnaître un État palestinien, mais retirer leur reconnaissance d’Israël. C’est la seule façon d’aboutir à un résultat antiraciste et démocratique décolonisé.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian et  Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

 

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Publié le 30 mai 2024 sur Middle East Eye
Traduction : ISM France / MR

 

 

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