Nuseirat : Des Palestiniens massacrés lors d’une opération de « sauvetage » acclamée par les Américains

Cette nouvelle horreur à Nuseirat vient deux jours après qu’Israël a bombardé une école de l’ONU dans le camp de réfugiés où des milliers de personnes déplacées s’étaient réfugiées. Ce bombardement a fait au moins 33 morts.

 

Dégâts dans le camp de réfugiés de Nuseirat après une attaque israélienne le 8 juin 2024.

Dégâts dans le camp de réfugiés de Nuseirat après une attaque israélienne le 8 juin 2024. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)


Maureen Clare Murphy
, 8 juin 2024

 

Samedi, alors que les Israéliens célébraient la libération de quatre otages par l’armée à Gaza, les Palestiniens pleuraient les centaines de personnes tuées en plein jour au cours de l’opération.

Des fonctionnaires palestiniens ont dit que, samedi, plus de 210 Palestiniens avaient été tués et 400 blessés dans le centre de Gaza, y compris dans la zone où l’armée israélienne prétend avoir libéré les quatre captifs qui se trouvaient dans deux blocs d’appartements séparés d’un quartier résidentiel du camp de réfugiés de Nuseirat.

Cette nouvelle horreur à Nuseirat vient deux jours après qu’Israël a bombardé une école de l’ONU dans le camp de réfugiés où des milliers de personnes déplacées s’étaient réfugiées. Ce bombardement a fait au moins 33 morts.

Le 5 juin, le ministère palestinien de la santé à Gaza avait enregistré plus de 36 500 décès et 83 000 blessés, depuis le 7 octobre.

Le nombre réel de victimes est bien plus élevé, en raison des milliers de personnes portées manquantes et qui sont restées sous les décombres. Un nombre inconnu de Palestiniens de Gaza sont morts dans une vague de mortalité parallèle due au fait qu’Israël a détruit les installations d’eau et d’assainissement dans tout le territoire, provoquant ainsi des maladies tout en engendrant une famine et en détruisant le système des soins de santé.

Dans le camp de réfugiés de Nuseirat,

« des paramédicaux gazaouis et des habitants ont dit que l’offensive avait tué des dizaines de personnes et laissé des corps mutilés d’hommes, de femmes et d’enfants disséminés autour d’une place de marché et d’une mosquée »,

a rapporté Reuters samedi.

Abu Obeida (pseudonyme), le porte-parole des Brigades Qassam, l’aile armée du Hamas, a déclaré que des captifs avaient été tués durant l’opération. Israël par contre n’a fait état d’aucun décès de captif durant le raid.

« En commettant ces massacres horribles, l’ennemi a été à même de libérer quelques-uns des prisonniers mais, en même temps, il a tué certains d’entre eux durant l’opération »,

a encore dit Abu Obeida.

« Cette opération va constituer un danger majeur pour les prisonniers de l’ennemi et elle aura un impact négatif sur leurs conditions et leurs vies »,

a-t-il ajouté.

 

Perfidie

Une prise de vue du raid indiquait que des soldats israéliens déguisés avaient infiltré le camp de réfugiés de Nuseirat en se déplaçant dans des camions civils.

Un témoin oculaire blessé a dit qu’il marchait dans la rue et qu’il avait vu ce qu’il avait pris pour un camion transportant de l’aide humanitaire, avant que des hommes armés n’en sortent et ne lui tirent dessus, le blessant à la poitrine et au bras.

« Le marché était plein de monde, mais de nombreuses personnes ont alors été abattues et un grand nombre, sans tête, gisaient au sol »,

a encore raconté le blessé à propos du raid.

Maintes fois, Israël a accusé le Hamas de se terrer parmi des civils afin de justifier le fait qu’il ciblait et détruisait à Gaza des infrastructures civiles, y compris des hôpitaux et, selon toute évidence, il a utilisé des camions déguisés sous forme d’aide humanitaire pour effectuer une opération qui a elle-même tué des dizaines de civils.

Simuler le statut de civils et de non-combattants, comme l’ont fait les forces israéliennes – et c’est loin d’être la première fois – peut constituer le crime de guerre de perfidie, d’après les lois internationales humanitaires.

Donnant elle aussi lieu à des soupçons de perfidie, il s’avère que la jetée flottante temporaire construite par l’armée américaine a été utilisée dans le raid de Nuseirat.

Le plan d’une jetée américaine sur le littoral de Gaza avait été révélé lors d’une annonce surprise du président Joe Biden dans son discours sur l’état de l’Union, début mars, et avait été conçu dans un effort en vue d’accroître l’aide humanitaire dans le territoire assiégé, malgré sa capacité limitée, en comparaison avec les passages terrestres déjà établis.

La jetée a accueilli sa première livraison le 17 mai et n’a fonctionné qu’à capacité réduite, de temps à autre, pendant quelques jours, avant qu’une tempête n’endommage nombre de ses éléments modulaires environ une semaine plus tard.

Cette jetée controversée fait partie d’un corridor tracé par l’armée israélienne à travers la partie centrale de la bande de Gaza, au sud de la ville de Gaza, et il sépare effectivement le nord du sud de Gaza tout en permettant à l’armée israélienne de mener plus facilement des raids dans le centre de l’enclave.

Le département américain de la Défense a déclaré vendredi que des réparations à la jetée avaient été effectuées avec l’aide de l’armée israélienne, ce qui avait soulevé la question de savoir si l’opération de Nuseirat allait être reportée jusqu’au moment de la remise en état de la jetée.

 

Le rôle des Américains

Barak Ravid, l’auteur d’Axios qui reçoit fréquemment des informations de l’armée et de l’appareil des renseignements d’Israël, a rapporté que l’opération de Nuseirat

« était censée avoir eu lieu il y a quelques semaines mais qu’elle avait été reportée pour des raisons opérationnelles »,

et il citait sans les nommer des personnages officiels israéliens.

Le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a dit que des centaines de soldats étaient impliqués dans l’opération de Nuseirat et qu’un officier de police avait été grièvement blessé au cours du raid; l’homme, a-t-on appris plus tard, était décédé à la suite de ses blessures.

Citant sans le nommer un fonctionnaire américain, Axios a révélé que

« la cellule ‘otages’ des EU en Israël avait soutenu l’effort en vue de délivrer les quatre otages

La Maison-Blanche a diffusé une déclaration du conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, dans lequel il disait que Washington

« soutenait tous les efforts en vue d’assurer la libération des otages toujours détenus par le Hamas, y compris des citoyens américains ».

« Ceci comprend les négociations toujours en cours ou d’autres moyens encore »,

a ajouté Sullivan.

La déclaration de Sullivan concernant « l’opération menée à bien » félicite « le travail des services de sécurité israéliens qui ont dirigé cette opération audacieuse », mais il ne dit rien des dizaines de Palestiniens qui ont été tués.

Le déclaration de la Maison-Blanche n’était que l’une parmi tant d’autres formulées par les dirigeants occidentaux célébrant le sauvetage des quatre captifs israéliens sans la moindre mention des Palestiniens tués au cours de l’opération.

Le Hamas a condamné ce qu’il a appelé un « horrible massacre de civils innocents » dans le camp de Nuseirat et dans d’autres endroits de la partie centrale de Gaza, et il a également fustigé l’implication américaine dans cette action.

Dans une déclaration publiée sur sa chaîne Telegram, le Hamas a déclaré que « cela prouve une fois de plus la complicité de l’administration américaine » dans les crimes de guerre contre Gaza.

 

« Journée d’apocalypse » dans le centre de Gaza

Les Palestiniens résidant dans les zones du centre de Gaza attaquées samedi ont qualifié d’« apocalyptiques » des scènes semblant sorties d’un film d’horreur, avec des quadricoptères qui tiraient sur des civils à Deir al-Balah dans le même temps qu’Israël larguait ses bombes du ciel.

Une vidéo filmée au camp de réfugiés de Nuseirat montre des missiles israéliens frappant un quartier résidentiel.

Une autre vidéo montre une douzaine environ de morts et de blessés gisant dans une rue du camp de réfugiés de Nuseirat et, sur d’autres vidéos, on peut voir des gens grièvement blessés qui se présentent dans des établissements médicaux surpeuplés.

Une autre vidéo encore montre un homme tenant par la main un garçonnet avec une vilaine blessure à la tête. Tous deux se tiennent debout parmi des corps recouverts d’un linceul à l’extérieur d’un hôpital. Quand, brusquement, l’enfant commence à s’agiter, l’homme surpris le prend dans ses bras et court vers l’entrée de l’hôpital.

Sur certaines vidéos et photos, on découvre un autre garçonnet tué alors qu’il a encore en bouche des aliments de son dernier repas, ainsi qu’un homme tué alors qu’il cuisait de la nourriture sur un réchaud.

L’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, l’un des rares encore opérationnels à Gaza, a été débordé de victimes de Nuseirat et, samedi, il ne fonctionnait plus qu’avec un seul générateur alors que les bombardements incessants d’Israël continuaient de compromettre sa capacité à fournir des soins médicaux nécessaires de toute urgence.

La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) a dit qu’elle transportait des blessés depuis les hôpitaux du centre de l’enclave jusqu’à un hôpital de campagne, et ce, en raison de la menace des bombes israéliennes.

 

Des captifs libérés « en bonne santé »

Les quatre captifs récupérés – Noa Argamani, 25, ans Almog Meir Jan, 21 ans, Andrey Kozlov, 27 ans, et Shlomi Ziv, 40 ans – avaient tous été capturés au festival de musique Supernova, lors du raid du Hamas, le 7 octobre de l’an dernier.

Pendant sa captivité, le Hamas a diffusé deux vidéos montrant des signes de vie de la part d’Argamani. La vidéo la plus récente, publiée le 31 mai, fait entendre la voix de la jeune femme implorant les Israéliens de mettre la pression sur le cabinet de guerre de Netanyahou, et s’inquiétant de ce que « le temps presse de plus en plus ».

Les quatre anciens captifs « ont été emmenés à l’hôpital pour des contrôles médicaux et ils étaient en bonne santé », a rapporté Reuters, citant l’armée israélienne.

Ceci contraste fortement avec les Palestiniens de Gaza qui ont été arrêtés et détenus arbitrairement par Israël ces derniers mois et ont été relâchés avec des membres amputés de fraîche date – sans la moindre anesthésie – et le corps couvert de marques de torture.

Quelque 250 personnes ont été capturées en Israël le 7 octobre et emmenées à Gaza. Plus de cent ont été relâchées par le Hamas en novembre, dans le cadre d’un échange de prisonniers.

En février, deux Israélo-Argentins avaient été libérés par les forces israéliennes à Rafah, dans le sud de Gaza.

Environ 75 Palestiniens avaient été tués dans cette opération lorsque, pour créer une diversion par rapport au raid militaire, Israël avait pilonné Rafah, où des personnes déplacées d’autres zones de Gaza cherchaient refuge.

Un soldat israélien capturé avait également été libéré par l’armée fin octobre, paraît-il.

Avec la libération des quatre captifs ce samedi, c’est un total de sept Israéliens et ressortissants étrangers détenus à Gaza depuis le 7 octobre qui ont été libérés par l’armée israélienne. Ils sont bien plus nombreux à avoir recouvré la liberté via un accord négocié avec le Hamas.

Bien des familles des captifs restés à Gaza pressent instamment le gouvernement israélien à garantir un nouvel arrangement en vue d’un échange.

Des 116 captifs que l’on estime encore détenus à Gaza, les autorités israéliennes ont déclaré qu’environ un tiers étaient morts, mais sans avouer que la cause la plus probable de leur décès résidait dans les bombardements israéliens.

L’analyste Tariq Kenney-Shawa a déclaré que les vies des enfants tués à Nuseirat samedi auraient pu être épargnées.

« Israël aurait pu accepter un cessez-le-feu permanent et un échange d’otages à tout moment »

au cours des huit mois écoulés, a expliqué Kenney-Shawa,

« mais les Palestiniens morts restent leur principal objectif ».

 

Certains observateurs ont dit que l’opération de sauvetage de samedi allait mettre en danger les captifs qui restent à Gaza, puisque le gouvernement de Netanyahou a signalé qu’Israël ne s’engagerait pas dans un autre échange de prisonniers et qu’il ne se chargerait de la libération des captifs que par la force.

« Pour le Hamas, cette approche signifie que les captifs se muent en une perte sèche : il convient de leur accorder d’importantes ressources pour les garder mais sans le moindre avantage potentiel »,

estime l’écrivain israélien Alon Mizrahi.

« Ils le savent, maintenant, comme tout le monde, d’ailleurs, que le but de l’opération israélienne est d’exterminer et de nettoyer ethniquement la totalité de la population de Gaza »,

avant de faire pareil avec les Palestiniens d’Israël et de Cisjordanie.

 

La proposition « israélienne » de Biden

Le département d’État américain a annoncé vendredi qu’Antony Blinken, le premier diplomate de Washington, allait retourner dans la région les prochains jours afin d’encourager Israël et le Hamas à accepter un cessez-le-feu en trois phases et une proposition d’échange de prisonniers émise la semaine dernière par le président américain Joe Biden.

Les EU ont également diffusé un projet de résolution soutenant la proposition de Biden au Conseil de sécurité de l’ONU, où les EU se sont opposés à de multiples résolutions exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Biden a présenté cette proposition comme s’il s’agissait d’une initiative israélienne, et ce, uniquement pour que cette supposition soit aussitôt réduite à néant par Netanyahou.

 

Vidéo EI : Pouvons-nous donner du sens à la proposition « israélienne » de cessez-le-feu de Biden ?

 

Le Hamas n’a pas donné son accord au plan souligné par Biden et il a dit qu’il fallait des garanties claires que le marché se traduirait par la fin définitive de la guerre à Gaza et par un retrait total des troupes israéliennes du territoire.

Sami Abu Zuhri, un haut responsable du Hamas, a expliqué à Reuters que, tandis que l’organisation accueillait favorablement les « idées de Biden », le projet de résolution circulait au Conseil de sécurité « ne mentionnait aucunement la cessation de l’agression ni le retrait ».

Reuters a paraphrasé Abu Zuhri en lui faisant dire que

« le Hamas était engagé vis-à-vis de sa proposition du 5 mai, qui s’appuyait sur la fin des combats et sur un retrait israélien, sur un accord d’échange et sur une levée du blocus contre l’enclave »,

des exigences maintenues constamment par l’organisation tout au long des derniers mois écoulés.

Entre-temps, samedi, le dirigeant de l’opposition israélienne, Benny Gantz, a reporté l’annonce anticipée de sa démission du cabinet de guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Gantz a accordé à Netanyahu un dernier délai le 8 juin pour faire connaître une stratégie « du lendemain » pour Gaza, où Netanyahou veut absolument mettre la pression jusqu’à la « victoire totale » – un but critiqué comme étant « non identifié » (peut-être a-t-il voulu dire « non défini ») par Biden lors de l’annonce de sa proposition la semaine dernière.

Dans une interview publiée mardi par le magazine Time, Biden a dit qu’il y avait « toutes les raisons pour les gens » de tirer la conclusion que Netanyahou prolongeait la guerre afin de satisfaire ses buts personnels.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 8 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Jon Elmer a contribué à définir le contexte autour de la jetée américaine.

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