La libération du directeur d’hôpital de Gaza met en lumière les tortures israéliennes
Lundi, Israël a libéré Muhammad Abu Salmiya, le directeur de l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza, en même temps que plusieurs dizaines d’autres détenus de Gaza, ce qui a provoqué une réaction violente en Israël et suscité des craintes pour la vie du docteur.
Maureen Clare Murphy, 3 juillet 2024
Entre-temps, les reportages des médias internationaux et les déclarations des hauts responsables israéliens suggèrent qu’Israël pourrait bientôt réduire l’intensité de ses opérations militaires à Gaza.
Mais, pour les Palestiniens qui ont enduré près de neuf mois de génocide, il n’y a pas eu de répit dans la violence israélienne qui a tué près de 38 000 personnes, avec des milliers d’autres portées manquantes et dont on peut craindre la mort aussi.
Cette semaine, en plein bombardement intense en de nombreux endroits de Gaza, Israël a ordonné le transfert forcé des Palestiniens de Khan Younis et de Rafah, dans le sud de Gaza, un transfert qui couvre environ un tiers du territoire de l’enclave côtière et qui affecte un quart de million de personnes.
L’ONU a déclaré qu’il s’agissait de l’ordre le plus important de ce genre depuis qu’Israël a exigé l’évacuation des Palestiniens du nord de Gaza en octobre. Depuis lors, c’est à de nombreuses reprises que la majorité de la population de Gaza a été déplacée de ses foyers.
L’Hôpital européen de Gaza, le plus important site médical du sud de Gaza, est situé dans la zone qu’Israël a ordonné d’évacuer, forçant les travailleurs médicaux de transférer les patients et les familles déplacées à quitter le campus de l’hôpital. Plus tard, Israël a nié avoir ordonné l’évacuation des patients et du personnel de l’hôpital.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré mardi que l’hôpital n’était plus opérationnel
« du fait qu’un très grand nombre de membres du personnel l’ont évacué »
et il a insisté sur la nécessité d’un transport en toute sécurité des personnes handicapées, âgées et malades.
« Tout le monde n’est pas prêt à partir et tout civil qui reste à l’arrière reste protégé par les lois internationales humanitaires »,
a ajouté la Croix-Rouge.
« La réalité, c’est qu’il n’y a aucun endroit sûr à Gaza. »
Environ 84 000 Palestiniens ont fui la partie est de la ville de Gaza ces derniers jours, après les attaques intenses de l’armée israélienne, dont les chars ont approché la route de Salah al-Din qui sert d’axe principal nord-sud dans l’enclave côtière.
Au milieu des combats qui font rage, l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a été coupée de l’accès à un centre de distribution d’aide dans le quartier d’al-Tuffah, à Gaza
Environ 84 000 Palestiniens ont fui la partie est de la ville de Gaza ces derniers jours, après les attaques intenses de l’armée israélienne, dont les chars ont approché la route de Salah al-Din qui sert d’axe principal nord-sud dans l’enclave côtière.
Au milieu des combats qui font rage, l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a été coupée de l’accès à un centre de distribution d’aide dans le quartier d’al-Tuffah, à Gaza
Le directeur d’hôpital, Dr Abu Salmiya, a été relâché
Le Dr Muhammad Abu Salmiya, directeur de l’hôpital al-Shifa, a été libéré lundi par Israël après avoir été arrêté en novembre alors qu’il tentait d’évacuer vers le sud de Gaza. Depuis, il était resté détenu sans la moindre accusation.
De retour à Gaza, le Dr Abu Salmiya a expliqué qu’il avait été déféré devant un juge à plusieurs reprises et que
« même là, ils n’avaient présenté aucune preuve ».
Il a également déclaré :
« Les Israéliens m’ont arrêté comme s’ils avaient capturé un gros poisson ; maintenant, il s’avère que tout était un mensonge et une illusion, et ils ont gonflé toute l’affaire. »
Le directeur de l’hôpital a déclaré :
« Les prisonniers sont confrontés quotidiennement à la violence physique et à la violence mentale ».
Certains détenus sont d’ailleurs morts en cours d’interrogatoire.
Le Dr Abu Salmiya a ajouté que les autorités carcérales avaient agi par vengeance vis-à-vis des prisonniers,
« dont des membres du personnel médical ; certains l’ont même payé de leur vie, comme le Dr Iyad al-Rantisi et le Dr Adnan al-Bursh ».
Le Dr Iyad al-Rantisi, le chef de la section d’obstétrique et de gynécologie de l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, a été arrêté par les soldats israéliens le 11 novembre. On a fini par apprendre le mois dernier, suite à l’expiration d’une ordonnance de la censure israélienne, qu’il était mort pendant un interrogatoire, six jours après son arrestation.
Le Dr Adnan al-Bursh, le responsable de la section d’orthopédie de l’hôpital al-Shifa, a été arrêté à la mi-décembre par les forces israéliennes à l’hôpital Al-Awda, à Jabaliya, dans le nord de Gaza. Il est mort le 19 avril à la prison d’Ofer, en Cisjordanie.
Sa mort a été annoncée une première fois environ quinze jours plus tard quand un détenu libéré a dit que le Dr al-Bursh avait été torturé et tué. Plus tard, le Service carcéral israélien (IPS) a confirmé la date de son décès.
En décembre, à la suite de l’invasion de l’armée israélienne et de la prise de l’hôpital al-Shifa, des experts indépendants en droits humains travaillant pour l’ONU accusaient Israël de mener une « guerre inlassable » contre le système de santé de Gaza. En avril, les forces israéliennes se retiraient de l’hôpital al-Shifa, le laissant en ruine.
Avant l’attaque, Israël avait prétendu qu’il existait sous l’hôpital al-Shifa un vaste complexe souterrain géré par les combattants palestiniens. Israël avait même produit une animation sophistiquée du prétendu centre de commandement à de multiples niveaux et dont il prétendait qu’il s’agissait du « principal quartier général des activités terroristes du Hamas ».
Le siège d’al-Shifa n’ayant soulevé aucune protestation de la part de ses alliés, Israël n’allait plus s’embarrasser de prétextes aussi élaborés pour justifier ses attaques suivantes contre la plupart des hôpitaux restants de Gaza, mais allait les perpétrer ouvertement.
Les sites médicaux de Gaza ont été ciblés de façon répétée et des travailleurs médicaux, des patients et des membres de leur entourage ont été tués, blessés, arrêtés ou ont tout simplement disparu.
Le Dr Ghassan Abu Sitta, un chirurgien britannico-palestinien qui a travaillé à Gaza durant les premières semaines de l’offensive israélienne, a dit que le secteur de la santé était la cible prioritaire du génocide mené par Israël afin d’accélérer le nettoyage ethnique de l’enclave côtière.
Plus de 50 « spécialistes hautement qualifiés » font partie des quelque 500 travailleurs de la santé tués depuis octobre, estime Reuters, ce qui a coûté à Gaza « un réseau de savoir qui va exiger des années pour sa remise sur pied ». Au moins sept de ces spécialistes ont été tués dans les hôpitaux.
Israël a été incapable de fournir des preuves convaincantes afin d’étayer ses allégations selon lesquelles le Hamas se sert des sites médicaux comme de boucliers humains, ce que réfutent et le Hamas et les travailleurs médicaux.
Après son retour à Gaza, le Dr Abu Salmiya a exprimé le désir de retourner au travail et de reconstruire l’hôpital al-Shifa « tel qu’il était avant et même mieux ».
« Cet hôpital sera un modèle des soins de santé pour toute notre communauté en Palestine et dans la bande de Gaza »,
a-t-il dit.
« Dénué de fondement et inventé de toutes pièces »
L’Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med) a dit que la libération du Dr Abu Salmiya sans la moindre accusation
« prouve au-delà de tout doute raisonnable que le prétexte [de l’armée israélienne] pour attaquer et détruire l’hôpital al-Shifa était absolument dénué de fondement et inventé de toutes pièces ».
À l’époque de l’arrestation du Dr Abu Salmiya, Israël présumait qu’il avait permis au Hamas de se servir de l’hôpital à des fins de résistance armée.
Physicians for Human Rights – Israel (Médecins pour les droits humains – Israël) a déclaré mardi qu’Israël avait arrêté arbitrairement des Palestiniens à Gaza,
« y compris du personnel médical, pourtant sous protection des lois internationales ».
Ces travailleurs médicaux arrêtés
« ont été présentés comme prétendues preuves que le personnel médical d’al-Shifa était impliqué dans des activités militaires, perdant de ce fait le droit à une protection spéciale sur laquelle aurait pu compter l’hôpital ».
L’organisation a déclaré que la libération du Dr Abu Salmiya et son témoignage à propos de l’usage répandu de la torture et de l’humiliation, se traduisant parfois par la mort,
« met en exergue l’urgente nécessité de libérer tous les travailleurs médicaux et autres détenus qui ont été injustement arrêtés et incarcérés ».
Euro-Med a comparé l’expérience du Dr Abu Salmiya à celle de Mohammed El Halabi, un directeur de programme de l’ONG internationale World Vision (Vision mondiale), qui vivait à Gaza et qui avait été condamné en 2022, après une parodie de procès qui avait duré six longues années, sur des accusations fabriquées de toutes pièces d’avoir transféré des ressources vers le Hamas. Dans l’impossibilité d’obtenir un accord de plaidoyer, Israël avait recouru à la condamnation d’El Halabi sur base de preuves secrètes.
Israël a tenté de fabriquer des dossiers tout aussi faux contre d’autres importantes personnalités médicales de Gaza.
En décembre, Israël a diffusé une prétendue confession enregistrée sur vidéo et faite par Ahmed al-Kahlout, le directeur de l’hôpital Kamal Adwan qui avait été arrêté sur les lieux quelques jours plus tôt.
Israël a prétendu qu’Ahmed al-Kahlout avait reconnu qu’il était une personnalité importante de l’aile armée du Hamas et que le site médical était utilisé par l’organisation comme important centre de commandement.
Le ministère palestinien de la santé à Gaza avait déclaré à l’époque la déclaration supposée obtenue par la force constituait une « tentative désespérée et ridicule » d’Israël en vue de justifier ses crimes, et tout particulièrement ceux contre le secteur de la santé de Gaza. Dans cette tentative figuraient également les allégations fabriquées de toutes pièces concernant l’hôpital al-Shifa et son personnel.
La libération du directeur d’al-Shifa indique que l’une des affirmations propagandistes de la campagne militaire israélienne à Gaza s’est carrément effondrée.
« La libération du Dr Abu Salmiya montre qu’ils n’ont absolument rien contre lui ou contre al-Shifa »,
a fait savoir Euro-Med.
Au vu de la réaction violente suscitée en Israël par cette libération, Euro-Med y est allé de la mise en garde suivante :
« La vie du directeur de l’hôpital al-Shifa est particulièrement menacée »,
si l’armée israélienne devait l’arrêter de nouveau ou l’exécuter extrajudiciairement.
La libération du Dr Abu Salmiya a déclenché la fureur en Israël, où les chefs de l’opposition ont dit que le gouvernement avait échoué et que les ministres et les hauts responsables de la sécurité s’étaient envoyé mutuellement des reproches, d’après The Times of Israel.
L’appareil interne des renseignements israéliens, le Shin Bet, a déclaré que le Dr Abu Salmiya remplissait
« tous les critères concernant le niveau de danger perçu quand on le comparait à d’autres prisonniers »,
mais il a dit également que sa libération
« serait soumise à une enquête ».
La libération d’un individu nanti d’une telle personnalité n’a probablement pas eu lieu sans l’approbation du Shin Bet, et c’est un signe que ce dernier n’a trouvé aucun prétexte pour continuer de le garder en prison.
Il s’est avéré que Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a reproché en partie la libération du Dr Abu Salmiya à une décision de la cour suprême ordonnant le transfert de détenus de Sde Teiman, un camp de prisonniers dans le désert du Néguev où, depuis le 7 octobre, ont disparu des milliers de Palestiniens et où ils n’ont cessé de subir mauvais traitements et tortures.
Le Service carcéral israélien (IPS) a nié que le Dr Abu Salmiya ait été libéré en raison du surpeuplement des centres de détention et il a publié des prises de vue de la cellule de la prison de Nafha dans laquelle était détenu le directeur de l’hôpital. L’institution a ajouté que ce n’était pas elle qui décidait du choix des prisonniers qui allaient être libérés.
Le Dr Abu Salmiya a déclaré qu’il avait été détenu dans divers sites, au cours de ses sept mois d’incarcération.
La mission de Ben-Gvir
Mardi, Itamar Ben-Gvir, le ministre israélien de la sécurité nationale et le faiseur de roi de la coalition d’extrême droite de Netanyahou, a déclaré que l’un de ses buts prioritaires depuis qu’il assumait ce rôle était de durcir les conditions de détention des prisonniers palestiniens et il a accusé le Shin Bet de saper son agenda en prévenant que celui-ci allait aboutir à une explosion aux implications régionales.
Ben-Gvir a ajouté qu’après le 7 octobre, il avait été à même « finalement de mener à bien » sa mission via un certain nombre de mesures parmi lesquelles la limitation de l’accès des prisonniers aux douches et à la nourriture. Il a encore dit que sa proposition d’appliquer la peine de mort aux « terroristes » allait résoudre le problème de la surpopulation dans les centres de détention.
Les Palestiniens qui ont été arrêtés ces derniers mois ont décrit le recours systématique à la torture, dont le viol, dans les prisons israéliennes.
Khaled Mahajneh, un avocat palestinien qui a visité le camp de prisonniers de Sde Teiman, où Israël détient les personnes arrêtées à Gaza, a déclaré que les installations dans le désert étaient
« plus horribles qu’Abu Ghraib et Guantanamo »,
les prisons tristement célèbres où le personnel américain torturait et humiliait les détenus.
Mahajneh s’est entretenu avec Muhammad Arab, un journaliste emprisonné à Sde Teiman, qui était
« pratiquement méconnaissable après 100 jours »
dans la prison et était
« couvert de saleté et de fientes de pigeon »,
d’après +972 Magazine.
Le journaliste a témoigné que
« les détenus ont continuellement les yeux bandés et les mains entravées derrière le dos ; ils sont forcés de dormir penchés sur le sol et sans la moindre literie ».
Les prisonniers sont en mauvaise santé en raison d’un manque de nourriture et d’accès à des installations sanitaires. Arab a expliqué à Mahajneh qu’il avait vu des gardiens israéliens agresser sexuellement
« six prisonniers avec un bâton, sous le nez des autres détenus, et ce, après qu’ils avaient désobéi aux ordres de la prison ».
The New York Times et l’ONU ont fait état d’exemples de viol et d’autres abus sévères, à Sde Teiman.
Israël détient actuellement près de 10 000 Palestiniens, dont environ 3 400 sans accusation ni procès, suite à des ordonnances de détention administrative, et 1 400 qui sont détenus comme « combattants illégaux ».
« Ces chiffres ne comprennent pas les Palestiniens de Gaza qui ont été arrêtés par l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023 et dont le nombre reste inconnu »,
fait savoir le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Ronen Bar, le patron du Shin Bet, aurait déclaré dans une lettre récente adressée à Netanyahou et à d’autres hauts responsables israéliens que les centres de détention censés détenir 14 000 prisonniers en détenaient en fait 21 000 actuellement.
Le contenu de la lettre de Bar a été diffusé par la chaîne d’information israélienne Channel 12. L’homme mettait en garde contre le fait que la situation dans les prisons
« constitue un danger pour l’avenir de la sécurité du pays »,
puisqu’elle entraînerait une responsabilité pour Israël devant les tribunaux internationaux.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 3 juillet 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine