Les munitions israéliennes tuent longtemps après l’impact initial

 

Les munitions israéliennes tuent longtemps après l'impact initial. Photo : Des Palestiniens inspectent les décombres d'une école détruite par une frappe israélienne à Deir al-Balah, dans la partie centrale de la bande de Gaza. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

27 juillet 2024. Des Palestiniens inspectent les décombres d’une école détruite par une frappe israélienne à Deir al-Balah, dans la partie centrale de la bande de Gaza. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Nada Hamdouna, 1er août 2024

 

En mars 2024, quand l’armée israélienne s’est retirée d’al-Amoudi, dans le nord-ouest de Gaza, mes proches et moi y sommes retournés pour voir si notre maison était toujours debout.

Le choc a été immense quand nous avons découvert que la maison avait été bombardée et que tout avait été incendié. Nous nous sommes assis pour digérer notre perte et, après avoir repris nos esprits, nous avons cherché à l’intérieur de qui restait de la maison.

Après trois jours de fouilles, j’ai retrouvé un cadeau précieux que m’avait donné ma grand-mère avant de mourir : une bouteille de parfum. C’était surprenant de retrouver cela et j’ai pensé que j’allais pouvoir retrouver d’autres choses encore.

Ensuite, il y a eu une explosion dans la maison. Tout ce dont je me souviens, c’est de la poussière et de la fumée qui avaient envahi complètement les ruines de notre maison. J’étais désorientée et je ne savais pas ce qui se passait. Ma main saignait.

Mes proches et moi-même, nous nous sommes appelés mutuellement. Quand, finalement, nous nous sommes tous retrouvés, nous étions tous en état de choc.

Nous avons retrouvé mon cousin Issa qui gisait au sol, le corps moucheté de petits trous et les yeux qui ne se trouvaient plus où ils étaient censés être.

Il n’y avait ni taxi ni voiture pour nous emmener à l’hôpital et, depuis que les réseaux de GSM étaient morts, nous ne pouvions appeler une ambulance. Mon père a porté Issa en courant sur 1,5 kilomètre environ avant d’arriver à l’hôpital.

Mais quand il est arrivé, Issa était mort. Il n’avait que 15 ans.

Nous croyons que c’est une munition non explosée qui l’a tué.

Nous l’avons emmené au cimetière pour l’enterrer et nous avons récité des versets du Coran. Mais mes frères ne parvenaient pas à dire au revoir à Issa. Ils ne pouvaient accepter sa mort.

J’ai survécu physiquement à l’explosion, mais je ne pense pas que ce soit le cas psychologiquement.

Chaque jour, je sens le poids du chagrin, des larmes et de la peine. La vie ressemble à un cauchemar qui ne finira pas, rempli d’une douleur que l’on ne peut effacer.

Qui nous ramènera nos êtres bien-aimés et nos propres vies ? Je prie pour avoir de la patience et de la force.

 

Les premières pertes

Je me souviens du moment où il a semblé que la douleur de cette guerre génocidaire ait débuté pour ma famille et moi-même.

Nous étions chez ma grand-mère à Gaza même. C’était à la mi-octobre 2023 et les jours n’étaient pas paisibles du tout, avec les bombes et les missiles israéliens lancés jour et nuit.

Le téléphone de mon père a sonné et c’était un appel d’un travailleur appelé Iyad, que mon père avait employé dans un atelier de couture.

Iyad avait désespérément besoin d’argent pour qu’on puisse opérer son fils à l’étranger. La seule personne à qui il pouvait en demander était mon père.

Bien que mon père n’ait pas eu le montant complet dont Iyad avait besoin, il lui a donné tout ce qu’il pouvait.

Mais, cinq jours après avoir donné l’argent à Iyad, sa femme a appelé mon père pour dire que son mari avait disparu. Sa femme était complètement perdu et ne savait pas où il était.

Après toute une semaine passée à tenter d’en savoir plus sur les allées et venues d’Iyad, mon père a reçu un appel d’un numéro inconnu. La personne a déclaré qu’elle avait découvert le corps d’un homme dans une rue de Gaza. Il avait été tué par une attaque.

La personne a dit que les traits de l’homme étaient méconnaissables, mais qu’elle avait trouvé son téléphone et ses papiers d’identité. Puisque le dernier numéro contacté avait été celui de mon père, elle l’avait contacté.

Mon père est allé chercher le corps et en informer la famille. L’argent que mon père lui avait prêté était toujours dans son portefeuille.

Le fils avait toujours la possibilité de subir son opération à l’étranger, mais sa joie a sans doute tourné court depuis la mort de son père.

J’ai toujours l’espoir
À Gaza, nous nous demandons tous si la vie reprendra un jour son cours « normal ». Nous voulons revoir les êtres qui nous sont chers, récupérer nos maisons et nos emplois. Mais tant de choses ont été enterrées sous les décombres et sont désormais introuvables.

J’avais rêvé de devenir traductrice, de maîtriser plusieurs langues et de voyager pour découvrir de nouvelles cultures. Aujourd’hui, je ne rêve plus que de survivre.

Deux semaines avant qu’Israël ne lance sa guerre contre Gaza, je m’étais inscrite à un programme de maîtrise en relations internationales et en sciences diplomatiques. Je voulais comprendre la politique étrangère et l’histoire derrière les puissances mondiales.

Mais, avec l’escalade de la violence, cette passion s’est éteinte. Il m’est apparu clairement à quel point Gaza pouvait être insignifiant comparé au monde. Nos vies sont si bon marché.

Je crois que la guerre finira bien un jour ou l’autre, même si nos existences ne reviendront jamais à la normale. Au moins, nous reverrons nos êtres bien-aimés, du moins ceux d’entre nous qui auront survécu.

Je n’ai pas perdu la foi en des lendemains meilleurs. Malgré les ténèbres d’aujourd’hui, j’ai toujours de la lumière dans mon cœur.

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Nada Hamdouna est une écrivaine à Gaza

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Publié le 1er août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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