Gaza : une fillette d’une famille déplacée contracte une hépatite A
On dit de l’hépatite A qu’elle se propage rapidement par les personnes déplacées de la bande de Gaza et ce, à cause du surpeuplement, de la pauvreté de l’hygiène et de l’eau contaminée, la seule à laquelle nous ayons accès.
Rasha Abou Jalal, 11 septembre 2024
Tout a changé dans nos vies quand ma fille de 12 ans, Saeda, s’est réveillée avec les yeux jaunes.
J’ai d’abord pensé que Saeda, l’aînée de mes cinq enfants, souffrait simplement d’un peu de fatigue en raison de la malnutrition et de la vie difficile que nous menons depuis des mois en tant que personnes déplacées vivant dans une tente.
Mais, après qu’elle s’est mise à se plaindre de graves douleurs à l’estomac, j’ai appelé un médecin, Hossam Abu Qamar, afin qu’il l’examine.
Le médecin, qui vit avec sa famille dans le même camp de réfugiés que nous, est venu très vite quand je lui ai dit que les yeux de ma fille étaient jaunes.
« Saeda doit être isolée immédiatement. Elle a une hépatite A »,
a déclaré le Dr Qamar après un examen rapide.
On dit de l’hépatite A qu’elle se propage rapidement par les personnes déplacées de la bande de Gaza et ce, à cause du surpeuplement, de la pauvreté de l’hygiène et de l’eau contaminée, la seule à laquelle nous ayons accès.
En août, d’après l’ONU, 40 000 cas de la maladie ont été diagnostiqués. Avant octobre dernier, il n’y avait que 85 cas à Gaza.
Le Dr Qamar nous a demandé de cesser de nourrir Saeda, à l’exception d’aliments à la saveur douce, tels miel, mélasse et raisins.
Il a également recommandé qu’elle se lave quotidiennement, dans son propre espace et à l’égard des autres.
« Saeda devrait rester isolée pendant trois semaines au moins. Nous ne voulons pas que d’autres personnes soient infectées »,
a ajouté le Dr Qamar.
Le sentiment d’être rejetée
Ma fille a déclaré qu’elle se sentait de plus en plus une paria parmi ses ami.e.s, dont la plupart sont des filles de son âge, lesquelles commençaient à se distancier d’elle.
Elle était désemparée et elle pleurait, et le fait que je ne pouvais la prendre dans mes bras ne soulageait en rien sa peine.
J’ai emmené Saeda dans un hôpital géré par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, afin d’obtenir l’un ou l’autre médicament pour ses douleurs à l’estomac.
L’hôpital était bondé, rempli de personnes déplacées malades. Pendant deux heures, nous avons attendu notre tour de voir un médecin.
Celui-ci a été d’accord avec le Dr Qamar pour dire que Saeda souffrait d’une hépatite et qu’elle devait être isolée. Malheureusement, a-t-il ajouté, l’hôpital n’avait plus de médicament contre la douleur à nous proposer.
Notre attente avait été vaine.
Dans notre tente, nous avons essayé d’appliquer les recommandations du médecin en vue d’isoler Saeda.
Son père a apporté un peu de bois et de nylon afin de lui construire une petite tente pour elle seule. J’ai déposé un matelas et un oreiller dans la tente et lui ai dit qu’elle allait devoir dormir et manger seule et qu’elle ne le ferait plus en compagnie de ses frères et sœurs.
Du fait que l’infection se transmet également via les selles, son père a creusé un trou dans le sol et l’a couvert d’un morceau de plastique avec un trou au milieu.
« Tu ne partageras plus les toilettes avec nous »,
lui ai-je dit, en essayant de me montrer positive.
« Ce sont tes toilettes privées. »
Mais Saeda s’est seulement remise à pleurer de plus belle.
Finalement, j’ai permis à mes autres enfants de rejoindre Saeda pour dessiner, pourvu qu’ils restent à deux pieds (60 cm) au moins d’elle. Parfois, ils chantent tous ensemble.
Saeda n’était pas la seule à se sentir isolée. Les amis ont fini par éviter de se mêler à chacun d’entre nous et de nous serrer la main.
Les femmes avec qui je faisais du pain m’évitaient, désormais. Maintenant, je dois faire mon pain toute seule.
L’eau et l’école
Le plus gros problème, c’était l’hygiène. Pour qu’elle puisse se laver quotidiennement, nous avions besoin d’eau.
Il y a très, très peu d’eau accessible à Gaza. Israël a coupé le distribution d’eau depuis l’extérieur de Gaza et à détruit les sites d’eau à l’intérieur de l’enclave. Les organisations internationales estiment qu’il y a eu une chute de 94 pour 100 de la fourniture d’eau au territoire.
Selon un rapport diffusé par le Bureau central de la Statistique, en Palestine, la moyenne de consommation par tête dans la bande de Gaza était de 84,6 litres d’eau par jour, avant la guerre. Elle est tombée entre 3 et 15 litres par jour, durant l’actuel génocide. En gros, c’est la quantité d’eau que les gens des pays nantis utilisent en tirant une fois la chasse de leurs toilettes.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande qu’afin de couvrir les besoins minimaux sur le plan de la santé et les besoins élémentaires de consommation d’eau et d’hygiène, chaque individu a besoin d’entre 50 et 100 litres d’eau par jour.
La maladie de Saeda signifiait que nous avions besoin, d’une façon ou d’une autre, de disposer de plus d’eau pour son hygiène personnelle.
Mais, du fait que la quantité d’eau pour les résidents du refuge où nous vivons est si limitée – à sept, en tout, nous devons nous partager environ 60 litres par jour pour couvrir tous nos besoins – de nombreuses personnes ont rejeté notre requête en vue d’accroître la quantité d’eau pour notre famille, parce que cela aurait réduit encore plus leur part personnelle.
Mon mari a trouvé que sa seule option consistait à obtenir un supplément d’eau auprès d’une ONG à environ un kilomètre et demi d’ici. C’est donc devenu sa promenade quotidienne.
Entre-temps, la maladie de Saeda a également affecté la scolarité improvisée des enfants dans le camp. Saeda et ses frères et sœurs recevaient des cours d’anglais et de mathématiques dans une tente aménagée en classe par plusieurs enseignants déplacés.
Mais ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient accepter Saeda tant qu’elle n’aurait pas été guérie de son hépatite. Ils ont appliqué cette tolérance zéro à ses frères et sœurs aussi, bien qu’ils n’aient pas été infectés.
Je comprenais tout cela. Mais, quand je me suis assise toute seule dans un coin, j’ai brusquement éclaté en sanglots. Nous luttons pied à pied pour en sortir mais, par moments, cette vie de déplacement et de désespoir dépasse tout ce que je puis supporter.
J’ai allumé la radio de mon téléphone mobile et j’ai entendu qu’on parlait d’une nouvelle tournée de négociations autour du cessez-le-feu. Je ne m’en suis pas trop souciée. N’était-ce pas, au moins, la dixième fois – façon de parler – que la guerre était sur le point de se terminer ?
Elle ne s’est pas terminée.
Je crains que nous ne soyons coincés ici à jamais.
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Rasha Abou Jalal est écrivaine et journaliste. Elle vit à Gaza et on peut la trouver sur Twitter / X : @rashaaboujalal1
Publié le 11 septembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine