Le génocide à Gaza est aussi une catastrophe climatique et environnementale

L’offensive menée par Israël depuis octobre 2023 a rendu invivable le territoire densément peuplé de Gaza – à peine 40 km de long et 10 de large.

 

14 novembre 2024. Une petite Palestinienne récupère certains déchets dans l'espoir de les revendre dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza.

14 novembre 2024. Une petite Palestinienne récupère certains déchets dans l’espoir de les revendre dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza. (Photo : Yousef Zaanoun / ActiveStills)


Islam Elhabil
, 21 novembre 2024

Malgré le profond impact environnemental et les implications pour la stabilité du climat mondial, la destruction de l’environnement de Gaza, de ses écosystèmes et de ses systèmes de production alimentaire n’ont pas fait l’objet de la moindre action internationale.

Des experts indépendants ont défini l’écocide comme

« des actes illégaux ou gratuits commis en sachant qu’il y a une forte probabilité que ces mêmes actes occasionneront des dégâts sévères soit répandus soit à long terme à l’environnement ».

Dès le départ, Israël a été clair, à propos de son objectif : la destruction de Gaza.

Les attaques menées sans discrimination par Israël et son recours à des armes à effets étendus sont destinés à provoquer le plus de dégâts possible. Cela s’est traduit non seulement par de très nombreuses victimes civiles mais aussi par l’anéantissement d’écosystèmes entiers.

Israël a détruit ou endommagé les cinq sites de traitement des eaux usées de Gaza,

« contaminant les plages et les eaux côtières, les sols et, potentiellement, l’eau souterraine »,

selon une étude environnementale de l’ONU publiée en juin. Les eaux usées non traitées libérées dans la mer Méditerranée polluent l’environnement marin et les habitats côtiers. Elles nuiront vraisemblablement aussi à l’industrie de pêche de Gaza – le poisson étant une importante source d’alimentation et la pêche une vocation traditionnelle dans le territoire, où l’insécurité alimentaire et le chômage connaissent des taux dramatiquement élevés.

« La pollution marine peut porter atteinte à la nutrition et à la qualité des eaux, réduisant ainsi le développement des poissons et impactant de ce fait la production de poisson et les prises »,

estime l’ONU.

« La pollution peut également impacter la sécurité alimentaire, du fait que les poissons dans les zones côtières (les seules, actuellement, où les Palestiniens peuvent pêcher) peuvent être contaminés »,

ajoute l’ONU.

Les zones humides du Wadi Gaza, un refuge important, sur le plan international, pour les oiseaux migrateurs et autre faune, où la restauration écologique a été lancée avant octobre 2023, ont été endommagées par les opérations militaires et la pollution, lesquelles menacent leur biodiversité. On estime que, depuis juin, entre 25 et 50 pour 100 du Wadi Gaza a été détruit « en même temps que les services qu’il rend à l’écosystème », affirme l’ONU.

En outre, les ressources en eau douce, tels les puits et les réservoirs d’eau souterraine, ont été contaminées, ce qui affecte l’accès de la population à l’eau potable et nuit aux écosystèmes essentiels qui dépendent de ces ressources.

 

Des débris contaminés, des corps en décomposition

Les attaques israéliennes se sont traduites par une accumulation de plus de 42 millions de tonnes de débris dans tout le territoire de Gaza ; une grande partie de ces débris sont probablement contaminés par de l’amiante, par des munitions non explosées et autres polluants toxiques. Les restrictions sévères d’Israël sur l’importation de carburant et le manque d’équipements adéquats ont également empêché que l’on retrouve des milliers de corps en décomposition sous les décombres, ce qui exacerbe encore la crise humanitaire et environnementale.

L’effondrement des systèmes de gestion des déchets solides en raison des destructions israéliennes a également entraîné l’aménagement dans tout Gaza d’environ 225 sites de fortune d’élimination des déchets, dont certains s’étendent sur des centaines de mètres, comme l’a rapporté l’organisation hollandaise PAX en juillet dernier. L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a fait savoir en juin que plus de 330 000 tonnes de déchets solides s’étaient accumulés dans des zones habitées de Gaza – de quoi occuper plus de 150 terrains de football, s’il faut en croire PAX. Ces sites sont devenus des terrains fertiles pour les nuisibles, les rongeurs et les maladies parmi la population déplacée de Gaza.

Des images prises par satellite et analysées par la BBC montrent que plus de la moitié des installations d’eau et d’assainissement de Gaza ont été endommagées ou détruites. La plupart des sites de traitement des eaux usées et de désalinisation ont complètement cessé de fonctionner, ce qui a abouti à l’écoulement des eaux usées non traitées dans la mer, dans les rues et dans les camps qui hébergent des personnes déplacées à l’intérieur du territoire. Ceci pose une menace sévère de contamination des eaux souterraines, ce qui aggrave encore la crise des maladies d’origine hydrique, surtout parmi les populations vulnérables, dont les enfants, les femmes et les personnes souffrant de maladies chroniques.

Le secteur agricole lui aussi a été gravement ciblé.

Déjà en mars, près de la moitié des cultures arboricoles de Gaza – dont les oliveraies – avaient été détruites, de même que près d’un tiers des serres de Gaza, estime un rapport du Guardian s’appuyant sur des images prises par satellite. Quelque 90 pour 100 des serres du nord de Gaza « ont été détruites dans les premiers stades de l’offensive terrestre », a fait savoir l’organisation de recherche britannique Forensic Architecture.

Une étude réalisée par Samer Abdelnour et Nicholas Roy estime qu’on peut s’attendre à environ 80 000 tonnes de rejet de carbone durant le processus d’enlèvement des décombres à Gaza. Cela prendrait à 3,3 millions d’arbres une année entière pour absorber cette quantité de dioxyde de carbone, si on se base sur la capacité d’absorption moyenne d’un seul arbre mature, qui est d’environ 24 kg de dioxyde de carbone (autrement dit 0,024 tonne) par an.

Cela, en sus des émissions de carbone provenant du flot continu des armes lourdes des États-Unis vers Israël au cours de toute une année d’écocide. Une autre étude estime avec prudence que

« le coût climatique des 60 premiers jours de la réponse militaire d’Israël équivalait à brûler au moins 150 000 tonnes de charbon ».

C’est ce que rapportait The Guardian – près de la moitié de ces émissions de dioxyde de carbone résultaient des acheminements de marchandises des EU vers Israël.

Une étude de 2022 évaluant les émissions militaires mondiales a découvert que celles-ci représentaient près de 5,5 pour 100 du total des émissions annuelles de dioxyde de carbone.

« Si les armées mondiales étaient un pays, elles auraient la quatrième empreinte du monde en importance, plus large même que celle de toute la Russie »,

affirme l’étude.

« Seuls la Chine, les États-Unis et l’Inde ont des empreintes carbone plus larges. »

Les émissions de carbone associées au génocide israélien à Gaza contribuent au changement climatique, aux phénomènes météorologiques extrêmes, à la montée ds eaux des océans et aux effets nuisibles sur les écosystèmes mondiaux et la santé humaine, y compris la pollution atmosphérique, les affections respiratoires et les perturbations de l’approvisionnement en nourriture et en eau.

Malgré les mises en garde constantes à propos de l’urgence climatique, il y a eu très peu de couverture des conséquences environnementales catastrophiques et à long terme de l’actuel génocide d’Israël à Gaza ou des autres guerres qui sévissent dans le monde.

Israël a augmenté le budget de son ministère de la Protection de l’environnement afin de financer des projets visant à réduire l’impact environnemental sur lui-même, alors qu’il inflige d’immenses dégâts à Gaza et dans la région au sens plus large.

 

Des mots contre des actes

Il y a un gouffre béant entre la rhétorique environnementale mondiale et l’extrême incapacité à aborder les nuisances environnementales des conflits militaires et à obliger les contrevenants belligérants à rendre des comptes.

Nous ne pouvons prétendre que l’on réalise des progrès vers la durabilité via les réunions annuelles, les mouvements climatiques et les efforts de paix mondiale tant que des violations flagrantes des lois de l’environnement ont lieu sans susciter les moindres répercussions.

Des cadres mondiaux abordant les défis auxquels l’humanité est confrontée doivent faire en sorte que la loi s’applique à tout le monde sans exception. C’est la seule manière dont les sociétés pourront aborder avec sérieux les problèmes environnementaux critiques, tels les microplastiques, la pollution de l’eau et des sols et, plus grave encore, l’impact dévastateur de la guerre sur l’environnement.

Les actions de l’armée israélienne à Gaza ont très probablement enfreint plusieurs traités environnementaux internationaux juridiquement contraignants, dont l’Accord de Paris, la Convention sur la diversité biologique et le Plan d’action pour la Méditerranée dépendant de la Convention de Barcelone.

Le recours à l’artillerie lourde et aux explosifs dans des zones densément peuplées libère des gaz de serre et des toxines, sapant ainsi les objectifs de réduction des émissions tels que définis dans l’Accord de Paris. La destruction des terres agricoles, des zones humides et des zones marines nuit à la biodiversité et va à l’encontre de l’objectif de la Convention sur la diversité biologique qui est de protéger les écosystèmes.

Le bombardement des sites de traitement des eaux usées de Gaza – ce qui fait que les eaux usées non traitées s’écoulent dans la Méditerranée, polluant ainsi les environnements marins – enfreint l’engagement de la Convention de Barcelone à protéger les eaux méditerranéennes.

En outre, les débris et contaminants dangereux, dont l’amiante et les munitions non explosées, restent non gérés – ce qui enfreint les principes de la Convention de Bâle concernant l’élimination des déchets.

Cette convention, ratifiée par Israël, inclut une exemption de responsabilisation des parties dans le cas d’un conflit armé. Alors que cette disposition concerne des circonstances incontrôlables, elle peut également entraver la responsabilisation de la gestion des déchets dangereux dans les zones de conflit. Des cadres supplémentaires ou des révisions sont nécessaires pour aborder les défis environnementaux uniques posés par un conflit armé – ce qui est tout simplement évident à Gaza.

Israël a impudemment violé les principes fondamentaux du droit international humanitaire, connu également comme lois de la guerre, et cela n’a suscité que très peu de conséquences. Et il a également bafoué de façon flagrante ses obligations légales environnementales, avec des conséquences sévères à la fois pour les écosystèmes locaux et régionaux et pour les efforts mondiaux en vue de freiner le changement climatique.

Le génocide en cours à Gaza exemplifie l’extrême incapacité des institutions mondiales et le mensonge de l’ordre fondé sur des règles. L’actuel écocide, au beau milieu du silence international, a affaibli la crédibilité des organisations environnementales mondiales, mettant en évidence leur incapacité persistante à faire appliquer les lois internationales et à mettre un terme à la destruction écologique.

Si l’humanité n’est pas en mesure de relever ces défis dans la minuscule enclave qu’est Gaza, quel espoir y a-t-il pour la planète dans son ensemble ?

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Islam Elhabil est un Palestinien de Gaza ; spécialiste des microplastiques, il vit en Malaisie où il travaille comme chercheur et ingénieur spécialisé dans les solutions d’ingénierie aux problèmes environnementaux urgents de la planète.

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Publié le 21 novembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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