L’interdiction pour « terrorisme » va-t-elle arrêter Palestine Action ?

Lundi, la ministre britannique de l’Intérieur, Yvette Cooper, a écrit au Parlement pour dire qu’elle avait l’intention d’interdire dès la semaine prochaine les militants de l’action directe de Palestine Action en tant qu’organisation « terroriste ».

 

Une manifestation de type « Nous sommes tous Palestine Action », ce lundi, à Londres.

Une manifestation de type « Nous sommes tous Palestine Action », ce lundi, à Londres. (Photo : Novapix)

 

Asa Winstanley, 28 juin 2025

 

Depuis des années, Israël et ses représentants influents au Royaume-Uni exercent des pressions sur le gouvernement britannique afin qu’il mette l’organisation hors la loi. Palestine Action fait principalement campagne contre Elbit Systems, un important fabricant d’armes israélien.

Le plan visant à proscrire l’organisation selon la Loi de 2000 sur le terrorisme a été accueilli par une tempête de protestations de la part d’organisations, de députés et de militants en faveur de la liberté civique.

Mais Cooper semble déterminée à aller de l’avant avec cette mesure draconienne, qui placerait Palestine Action sur la même liste que des organisations extrémistes violentes comme l’EI, al-Qaïda et National Action (une organisation néonazie).

Cooper, de même que le Premier ministre Keir Starmer, le ministre des Affaires étrangères David Lammy et la ministre des Finances Rachel Reeves, faisaient tous partie de la dernière liste publiquement accessible des Labour Friends of Israel (Amis travaillistes d’Israël).

L’organisation, de plus en plus secrète, a retiré la liste de son site internet un peu avant les élections générales de l’an dernier.

En tout, 13 des 25 ministres du cabinet du Royaume-Uni ont accepté de l’argent du bailleur de fonds du lobby pro-israélien Trevor Chinn ou d’organisations pro-israéliennes, s’il faut en croire le journaliste d’investigation John McEvoy.

L’interdiction pourrait aboutir à l’emprisonnement pendant 14 ans de toute personne « invitant à soutenir » Palestine Action.

Depuis de nombreuses années, l’État britannique élargit sa définition du « terrorisme », allant même jusqu’à ajouter, ces dernières années, les ailes politiques d’organisations palestiniennes et libanaises comme le Hamas et le Hezbollah à la liste des proscrits.

La démarche de Cooper a lieu après que, la semaine dernière, Palestine Action a pénétré à la RAF Brize Norton, une base aérienne britannique, et a aspergé de peinture un avion militaire. L’armée britannique a organisé des centaines de vols espions au-dessus de Gaza, contribuant ainsi au génocide qui y a débuté en octobre 2023.

Quatre arrestations ont eu lieu vendredi en rapport avec l’action.

« Bien que nous ne soyons pas interdits, l’État considère un peu de peinture rouge sur des avions de guerre comme un acte de terrorisme »

a déclaré Palestine Action. Les quatre accusés seront détenus pendant quelques jours en confinement solitaire sans accusation, ont-ils dit.

Trois des arrestations ont été opérées sur soupçon d’avoir commis, préparé ou encouragé des actes de terrorisme – même si Palestine Action n’est toujours pas une organisation interdite.

Palestine Action a expliqué dans une déclaration que

« le véritable crime ici n’est pas la peinture rouge aspergée sur ces avions de combat, mais bien les crimes de guerres qui ont été facilités par ces appareils. »

Lundi, à Londres, les participants à une manifestation d’urgence, « Nous sommes tous Palestine Action », auxquels je me suis adressé étaient très motivés, malgré l’extrême violence de la police.

L’activiste Max Geller a déclaré que l’action à la RAF Brize Norton avait tellement embarrassé le gouvernement britannique qu’il avait répondu en panique.

« Bien que la chose eût été copieusement étalée dans les pages du New York Times, pas un seul journal britannique ne s’était donné la peine de parler de la complicité britannique dans la guerre à Gaza jusqu’au moment où Palestine Action a entrepris son action vendredi dernier »,

a-t-il dit.

« Notre cascade avec le scooter et la bombe de peinture a forcé la nation tout entière à prendre conscience de cette vérité très horrible, à savoir que, depuis octobre 2023, les forces armées de notre nation participent à cette guerre génocidaire contre les Palestiniens. »

Il a ajouté que ce genre de travail continuerait :

« Le gouvernement peut tenter de réduire Palestine Action au silence, mais le son de la cloche de l’action directe ne peut être annulé. Personne ne reviendra à des tactiques inefficaces en période de génocide. Nous continuerons de voir des gens recourir à tous les moyens disponibles pour faire cesser ce génocide. »

lisa minerva luxx, une écrivaine et activiste politique [qui écrit son nom sans majuscule NdT], a déclaré que

« Palestine Action était devenu un état d’esprit, pour le public britannique. On ne peut pas interdire un mouvement populaire qui est une réponse à l’échec d’un gouvernement ».

Le ministère d’Yvette Cooper a informé The Times de Londres cette semaine qu’elle avait l’intention de proposer ce lundi déjà la législation au Parlement et que le vote à la Chambre des Communes était normalement prévu pour mercredi.

 

Un défi juridique

« Si la législation est adoptée, le Chambre des Lords aura le dernier mot le lendemain avant que l’ordonnance d’interdiction n’entre en vigueur le [vendredi] 4 juillet »,

rapportait le journal. La Chambre des Lords est la chambre haute, non élue, de la Grande-Bretagne.

La législation semble susceptible d’être adoptée à chaque vote, puisque le chef de l’opposition conservatrice exprime son soutien. À moins d’une rébellion inattendue et massive des députés travaillistes, le seul espoir de bloquer l’interdiction résiderait dans l’une ou l’autre sorte d’intervention juridique.

Mercredi, un porte-parole de Palestine Action a refusé de détailler les plans de l’organisation. Mais, cette semaine, celle-ci a lancé une campagne de levée de fonds légale afin de combattre l’interdiction.

En moins de 24 heures, cette campagne de financement a dépassé son objectif de financement, qui était de 137 000 USD. Au moment de rédiger le présent article, elle a déjà récolté plus de 243 000 USD.

Le gouvernement travailliste a été vertement critiqué par des groupes de défense des droits humains, qui prétendent que l’interdiction pour « terrorisme » est une mesure excessive.

« Amnesty International est extrêmement préoccupé par l’annonce de la ministre de l’Intérieur disant qu’elle a l’intention d’interdire Palestine Action en tant qu’organisation terroriste »,

a affirmé le groupe dans un communiqué.

« Le Royaume-Uni se sert d’une définition trop large du terrorisme et interdire une organisation de protestation par l’action directe comme Palestine Action risque d’être une ingérence illégale dans les droits fondamentaux de la liberté d’expression, d’association et de rassemblement pacifique. »

Entre-temps, Liberty, une importante organisation de défense des droits civils, a déclaré que l’interdiction proposée par Cooper constituait

« une escalade inquiétante dans la façon dont le gouvernement traite les groupes de protestation » et qu’elle était « embarrassée à propos de l’effet dissuasif que la chose aurait sur les milliers de personnes qui militent pour la Palestine et sur leur capacité à s’exprimer et à participer à des protestations ».

Les militants environnementaux de Greenpeace Grande-Bretagne ont dit dans The Guardian qu’une interdiction

« marquerait un tournant sombre pour notre démocratie et un nouveau creux pour un gouvernement déjà déterminé à éradiquer le droit de manifester ».

Les Quakers ont expliqué dans une déclaration que

« la proscription porte atteinte à notre liberté de religion ainsi qu’à la liberté de conscience et au droit de réunion dont jouissent tous les peuples, quelle que soit leur motivation dans l’action ».

Parmi les députés qui ont pris position contre l’interdiction figurent l’indépendant (et ancien dirigeant du Labour) Jeremy Corbyn, le député écologique Sian Berry et les députés travaillistes Richard Burgon et Diane Abbott.

Zarah Sultana, une députée indépendante, anciennement membre du Labour, a en fait posté :

« Nous sommes tous Palestine Action »

– une chose qui serait vraisemblablement illégale si on la répétait après que toute interdiction aurait été validée.

Entre-temps, le lobby pro-israélien est heureux.

« Nous saluons la décision d’interdire Palestine Action »,

a déclaré Phil Rosenberg, le président du Conseil des députés des Juifs britanniques. Le Conseil admet dans des documents internes avoir « d’étroites relations de travail avec l’ambassade d’Israël » et l’armée israélienne.

« C’est la décision adéquate et nous nous en félicitons vivement »,

a déclaré Labour Friends of Israel (Amis travaillistes d’Israël – LFI). LFI est un groupe de front pour l’ambassade d’Israël à Londres.

La Campaign Against Antisemitism (Campagne contre l’antisémitisme), un autre groupe entretenant des liens profonds avec Israël, a admis avoir exercé des pressions sur Cooper en faveur de l’interdiction.

« Nous sommes heureux que la ministre de l’Intérieur ait écouté nos représentants la semaine dernière »,

a-t-elle posté.

 

L’échec de la répression

Le gouvernement a abusé des lois antiterroristes contre Palestine Action pratiquement dès sa création, en 2020.

Au cours de sa première année d’existence, ses cofondateurs Huda Ammori et Richard Barnard ont été appréhendés et interrogés en vertu de l’annexe 7 de la Loi de 2000 sur le terrorisme, alors qu’ils franchissaient la frontière du Royaume-Uni. Ensuite, au printemps 2021, en arrêtant des militants de Palestine Action, la police les a menacés de les accuser de délits « terroristes » dans le futur.

Rien de tout cela n’est parvenu à intimider l’organisation au point de cesser ses activités. La première affaire de Palestine Action à passer en justice en décembre 2021 s’est soldée par une défaite totale pour Elbit. Le procès des « dommages criminels » s’est effectivement mué en un procès à propos des crimes de guerre israéliens. Trois activistes qui avaient dégradé l’usine UAV Engines, une filiale d’Elbit, à Shenstone, près de Birmingham dans les Midlands anglais, avaient été acquittés.

Leurs avocats avaient prétendu avec succès que, si les trois activistes avaient en effet occasionné des dommages à l’usine, il ne s’agissait pas de dommages criminels, mais plutôt d’une action proportionnée dans le but d’empêcher que des crimes soient commis en Palestine.

D’autres affaires avaient suivi en gros la même direction et bien d’autres accusations de dommages criminels avaient été abandonnées avant d’arriver devant les tribunaux. La police et le ministère public n’avaient guère d’espoir de voir des jurys et des magistrats se ranger du côté d’une firme d’armement israélienne.

 

Des victoires durables

En janvier 2022, après une longue campagne de bris de vitres et autres dommages occasionnés par Palestine Action, Elbit avait vendu Ferranti, son usine de composants située à Oldham, près de Manchester, dans le nord de l’Angleterre.

Elbit avait prétendu à l’époque que la vente était simplement une

« réorganisation » censée contribuer à « consolider sa position sur le marché ».

Mais, à peine quelques mois plus tard, un procureur du gouvernement admettait que c’était Palestine Action qui avait « forcé la fermeture » de l’usine.

Depuis lors, les campagnes de Palestine Action ont abouti à la fermeture effective de deux autres sites d’Elbit au Royaume-Uni. La Grande-Bretagne a également mis au rebut sa flotte de drones « Watchkeeper » (qui étaient communément développés par Elbit et une société française), ce qui avait compromis l’avenir du site d’Elbit à Leicester.

Elbit possède encore huit sites, au Royaume-Uni. On pouvait penser que ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’ils soient eux aussi forcés de fermer.

Et c’est donc ainsi que le gouvernement a pris des mesures sévères.

Nombre de juges se sont mis à refuser les systèmes de défense fondés sur la proportionnalité et les accusés ont donc été empêchés d’expliquer aux jurés pourquoi ils avaient entrepris les actions auxquelles ils s’étaient livrés.

Puis, en août dernier, l’État s’est mis à prendre les lois antiterroristes très au sérieux, avec l’arrestation et la détention des 18 de Filton.

Six activistes ont complètement détruit un fourgon de prison modifié dans le site de fabrication d’Elbit à Filton, Bristol. Ils ont démantelé des armes israéliennes, parmi lesquelles des drones quadricoptères dont le groupe dit qu’ils sont du même modèle que ceux utilisés par l’armée israélienne pour cibler et tuer des civils palestiniens durant le génocide de Gaza.

Cette action aurait infligé à Elbit des dégâts pour plus de 1,3 million de USD.

Dans les mois qui ont suivi cette action réussie, 18 activistes en tout ont été arrêtés par des hommes armés de la police antiterroriste, et ce, dans diverses parties du pays. Tous ont été incarcérés sans accusation. Ils ont été interrogés à maintes reprises en vertu de la Loi antiterroriste et enfermés durant des périodes plus longues que la chose n’est permise sans que soit invoqué le mot magique : « terroriste ».

Tous ont pourtant été accusés en fin de compte de délits non terroristes – ce qui prouve qu’il s’agit clairement d’un abus de pouvoir de la police que d’avoir initialement arrêté les 18 personnes en question en utilisant les pouvoirs supplémentaires accordés par la Loi sur le terrorisme.

 

La loi des droits humains

Une contestation judiciaire de l’interdiction semble certaine, surtout depuis que Palestine Action a récolté tant d’argent pour ce faire. Dans le texte qui accompagne la campagne légale de financement, Palestine Action dit qu’il a chargé l’avocate Gareth Pierce, du célèbre bureau d’avocat.e.s Birnberg Peirce Solicitors [Un cabinet juridique établi de longue date et qui défend les droits et les libertés civiles – NdT], de s’opposer à la procédure de proscription.

Peirce est un nom légendaire de la législation britannique des droits humains. Elle a représenté des clients comme les « Six de Birmingham », la famille de Jean Charles de Menezes ou encore Julian Assange.

Selon un reportage publié cette semaine dans Jewish News, un site d’information anti-palestinien, « la réticence du gouvernement » jusqu’à présent « à aller de l’avant avec l’interdiction était due, dit-on, à l’inquiétude de voir un réexamen judiciaire infirmer » cette interdiction.

Mais, si l’interdiction va de l’avant cette semaine, l’infirmer via une telle contestation judiciaire pourrait requérir beaucoup de temps, puisque l’affaire serait probablement transmise à la Cour suprême.

Que se passera-t-il entre-temps ?

L’avocat international et expert en droit pénal Tayab Ali, du cabinet juridique Bindmans, a expliqué à The Electronic Intifada que,

« le jour où l’organisation sera interdite, elle sera considérée comme n’existant plus ».

Mais, après une proscription, a expliqué le partenaire de Bindmans,

« toute affiliation est censée disparaître » et « nul n’est membre de Palestine Action, sauf s’il a participé à une activité de Palestine Action ou s’il se déclare membre de Palestine Action après avoir participé à cette activité ».

Au cours des cinq années durant lesquelles Palestine Action a opéré, elle n’a jamais eu de liste formelle d’adhérents et a été composée au lieu de cela de ce qu’elle appelle des « cellules autonomes » censées lui garantir sa sécurité.

Mais Ali dit qu’en vertu de la loi, « il s’agit d’affiliation dans le sens que vous vous livrez à ses activités ».

Ali a également expliqué qu’il est très probable qu’une interdiction déboucherait sur des arrestations massives d’activistes en vue de Palestine Action de même qu’un nombre accru d’arrestations concernant l’Annexe 7 aux aéroports.

L’interdiction est une façon pour le gouvernement de « court-circuiter » toute nécessité de prouver réellement le « terrorisme » par des preuves tangibles.

« Depuis l’an 2000, nous appelons cela court-circuiter les preuves (…) Automatiquement, après cela, ils seront considérés comme des terroristes. C’est vraiment effrayant. »

Mais il reste à voir si une interdiction parviendrait à réellement arrêter Palestine Action et ses partisans.

La célèbre romancière et scénariste irlandaise Sally Rooney a écrit la semaine dernière dans The Guardian :

« Je dirai seulement que j’admire et soutiens Palestine Action de tout cœur – et je continuerai de le faire, que cela devienne un délit terroriste ou pas. »

Rooney est irlandaise et vit en Irlande. Mais le gouvernement britannique déciderait-il de faire un exemple avec elle si elle débarquait au Royaume-Uni ?

Andrea Needham, une vétérane de l’activisme anti-guerre, a expliqué à LBC radio que l’interdiction serait

« inapplicable en raison des milliers de personnes – dont elle-même – qui continueront de soutenir Palestine Action »,

a fait savoir la radio.

Needham et trois autres femmes – connues sous le surnom « les Quatre de Ploughshares » – s’étaient introduites dans un site militaire en 1996 et avaient endommagé un avion de combat BAE Hawk à coups de marteau pour l’empêcher d’être exporté et vendu à l’armée indonésienne, qui était en train de perpétrer un génocide dans l’est de l’île de Timor occupée.

Needham avait été défendue par Keir Starmer – aujourd’hui Premier ministre – alors qu’il travaillait comme avocat.

Un jury avait déclaré le groupe non coupable de dommages criminels après avoir prétendu avec succès que les quatre femmes avaient tenté d’empêcher des actes génocidaires.

Needham a déclaré à LBC que « Starmer est absolument dépourvu de sens moral » et qu’il ne devrait pas qualifier Palestine Action d’organisation terroriste.

« Je pense que toutes les considérations de droits humains sont passées par la fenêtre, durant sa trajectoire »,

a-t-elle dit.

« Nous aurions peut-être encouru quelques années de prison pour dommages criminels (…) Cela aura cet horrible effet glaçant sur la liberté d’expression parce que, potentiellement, on pourrait passer 14 ans en prison uniquement pour avoir exprimé son soutien à une organisation interdite. »

Palestine Action va-t-elle être interdite ? Si elle l’est, ses membres s’en iront-ils sans rien dire ou continueront-ils d’entreprendre des actions directes contre les extensions de la machine de guerre israélienne au Royaume-Uni ?

L’avenir nous le dira.

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Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienne) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org

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Publié le 28 juin 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction :  Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

Vidéo « Terrorisme ? »

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