La réponse de l’Europe à l’annexion de la Cisjordanie par Israël
Gideon Levy, 16 mai 2020
Les choses sont bien claires désormais pour les gens qui étaient embarrassés : Israël peut annexer la Cisjordanie autant qu’il le désire – l’Europe ne se mettra pas en travers de son chemin.
Tous ceux qui pensaient qu’ils pourraient insuffler de la crainte dans nos cœurs à propos de la réaction de l’Europe à l’annexion avaient oublié ce qu’est l’Europe, à quel point elle est paralysée, coincée, craintive, divisée et désarmée face à Israël.
À l’ancienne présidente de Meretz, Zehava Galon, qui avait tweeté après la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne vendredi : « Quiconque pense que l’annexion se passera tranquillement pour nous… », on peut rétorquer : Elle se passera en effet très tranquillement. Ne comptez pas sur l’Europe. Il n’y a personne ni rien sur qui ou quoi compter. L’Europe, comme toujours, sortira des déclarations, tiendra des consultations, convoquera des ambassadeurs – et restera sur la touche.
L’Europe classique est une Europe neutre, qui n’intervient contre aucune injustice commise par Israël. Nous n’attendons rien des États-Unis, et certainement pas sous la présidence de Donald Trump, comme nous n’avions rien à attendre de ses prédécesseurs non plus, à ce propos.
L’Europe de l’Est « non classique » soutient avec admiration toute violence commise par Israël. Le seul espoir réside dans le coin situé au nord-ouest de la carte, l’endroit que le Premier ministre Benyamin Netanyahou tend à montrer du doigt en disant : « C’est le seul endroit où nous avons un problème. » C’est le seul endroit où il y avait de l’espoir, pensions-nous naguère. C’est désormais une déception aussi.
Le résultat des délibérations de vendredi entre les ministres des Affaires étrangères est caractéristique de l’Europe classique sous son pire profil. « Configurer des projets associés », « tourner une nouvelle page » vis-à-vis du nouveau gouvernement israélien : les sanctions constituent « un problème complexe » et cela « ne veut pas dire que nous le ferons demain ». Aucune surprise, là !
Cinquante-trois années d’une occupation qui persiste sous votre silence, votre financement, vos armes, et le porte-parole des Affaires étrangères de l’UE raconte aux journalistes qui s’enquièrent des sanctions qu’il ne faut pas atteler la charrue avant les bœufs. Il est temps. Cinquante-trois années d’une occupation dont la légitimité n’est reconnue par aucune institution internationale au monde, et le haut responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, qui vient dire qu’il n’y a aucune comparaison avec l’occupation de la Crimée par la Russie.
Là, le territoire appartient à un État souverain. L’actuel ministre israélien de la propagande, Gilad Erdan, n’aurait pu mieux le dire. L’Europe est avec la droite israélienne. Quand on en arriva à l’occupation de la Crimée, en fait, l’Europe sut comment répondre en passant à l’action, et immédiatement, encore. Mais l’Europe est moins effrayée par la Russie que par Israël.
Quand il s’agit d’Israël, il existe d’autres règles, et une législation internationale différente, et une ligne de conduite différente aussi.
Il y a la crainte des États-Unis, d’une part, et la culpabilité à propos de l’Holocauste, d’autre part, en même temps que l’incroyable efficience et les efforts d’extorsion de la machine de propagande sioniste, plus forts que toute obligation vis-à-vis des lois internationales, que les obligations de l’Europe envers le sort des Palestiniens, et plus forts enfin que l’opinion publique européenne, qui est bien plus critique à l’égard d’Israël que n’importe quel gouvernement.
Le financement du programme d’éducation Erasmus+ ainsi que les programmes de recherche Horizon 2020, de l’Union européenne, sont désormais compromis. Voilà la réponse de l’Europe à l’annexion : Bloquer les projets communs de recherche, voilà qui empêchera l’occupation.
Ne faites pas rire Israël et ses colons. Au lieu d’imposer de véritables sanctions – par exemple, interdire en gros aux colons d’entrer en Europe et imposer des sanctions économiques –, l’UE menace Erasmus+. L’insistance de l’Europe en faveur d’une solution à deux États – alors que certains de ses dirigeants savent déjà et parfois même admettent dans des conversations à huis clos que c’est d’avance une cause perdue – fait le jeu de l’apartheid israélien qui sait également comment marmonner les termes « deux États », si au moins il y avait un partenaire, et qui ensuite construit des dizaines de milliers d’habitations de plus en Cisjordanie.
On peut naturellement prétendre que ce n’est pas le rôle de l’Europe que de faire régler la justice dans le monde ou de nettoyer ensuite après Israël. Mais, après tout, l’Union européenne a des prétentions plus élevées que de n’être qu’un marché commun. L’Europe, qui s’était tue et avait fermé les yeux dans le passé, remet ça une fois de plus. Sans doute convoquera-t-elle le probable futur ministre israélien des Affaires étrangères Gabi Ashkenazi, qui lui promettra qu’Israël va s’employer à mettre en place la solution à deux États. Quatre millions et demi de personnes continueront à étouffer sans droits et sans avenir, et Bruxelles continuera à s’administrer de petites tapes sur l’épaule et à se sentir bien dans sa peau – diable, après tout, elle a menacé d’annuler Erasmus+ !
Publié le 16 mai 2020 sur Haaretz sous le titre : Europe’s Disappointing Response to Israeli Annexation of the West Bank
Traduction : Jean-Marie Flémal
Gideon Levy, “le journaliste le plus haï d’Israël”, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz.
Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996.
Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009
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