Les pétards mouillés de Mahmoud Abbas

3e à gauche sur la photo : Mahmoud Abbas

Réunion de l’OLP à Ramallah en 2016 – La « direction »palestinienne ne survit que grâce au bon vouloir de l’occupant israélien, et l’Autorité de Ramallah est son hochet pour jouer à la comédie du pouvoir – Photo : Archives

Par Ramzy Baroud

Cette fois, nous assure-t-on, les choses sont différentes et le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, est tout à fait sérieux quant à sa décision de libérer son équipe de tous les accords précédents signés avec Israël et les États-Unis. 

Mais cette fois-ci, ce n’est guère différent, et Abbas n’est pas sérieux.

« L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’État de Palestine se retirent … de tous les accords et arrangements avec les gouvernements américain et israélien … y compris ceux relatifs à la sécurité »,

a déclaré Abbas lors d’une réunion d’urgence de son équipe à Ramallah le 19 mai.

Sans surprise, aucune manifestation digne de ce nom n’a été signalée dans toute la Palestine occupée pour soutenir la dernière décision d’Abbas.

À part l’intervention de quelques loyalistes dans les médias contrôlés par l’AP, on pouvait croire qu’Abbas n’avait pas prononcé un seul mot, et encore moins annulé tous les accords qui ont justifié l’existence même de son Autorité depuis près de 30 ans.

La vérité évidente est qu’Abbas a cessé depuis longtemps de représenter quoi que ce soit pour les Palestiniens.

Mais pour Israël, il a toujours beaucoup compté, car son Autorité a servi de tampon sécuritaire supplémentaire entre les Palestiniens sous occupation et l’armée d’occupation. Grâce à la « coordination sécuritaire », Israël a pu en toute tranquillité fortifier son occupation.

Les Palestiniens ont depuis longtemps perdu toute confiance en Abbas, comme le prouvent les enquêtes d’opinion publique qui se sont succédé.

Cela n’a rien de soudain, mais c’est l’accumulation de décennies d’échecs et de déceptions. L’engagement d’Abbas envers les accords d’Oslo n’a absolument rien donné, si ce n’est la création d’un appareil répressif omniprésent et totalement corrompu dont la raison d’être est avant tout de « coordonner » l’assujettissement des Palestiniens avec leurs oppresseurs israéliens.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, Abbas et ses affiliés au sein du parti du Fatah ont été obsédés par leur inimitié, non pas envers Israël et les États-Unis, mais envers les propres rivaux palestiniens d’Abbas, au sein même du Fatah – Mohammed Dahlan, etc… et, dans une plus large mesure, avec le mouvement du Hamas à Gaza.

Israël est souvent dénoncé dans les nombreux discours d’Abbas à Ramallah et à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, mais malgré toute cette rhétorique, peu ou pas d’action n’a jamais suivi. En même temps, les soldats israéliens et les colons juifs ont continué à abuser systématiquement des Palestiniens, sans aucune limite.

Pas une seule fois les forces de sécurité d’Abbas (estimées à 80 000 membres), toujours plus nombreuses, n’ont bloqué le passage d’un seul bulldozer israélien qui démolissait une maison palestinienne ou déracinait une ancienne oliveraie en Cisjordanie.

Elles n’ont pas non plus empêché l’arrestation d’un seul militant contre l’occupation israélienne.

Souvent, elles ont procédé elles-mêmes à ces arrestations.

Alors même qu’Israël pilonnait massivement Gaza avec des bombes et du phosphore blanc, Abbas continuait d’aboyer des insultes à ses ennemis palestiniens.

Il condamnait la résistance armée de Gaza, mais sans jamais offrir aucune alternative à la version de la prétendue « résistance » qu’il défendait.

Mais si Abbas a réussi à survivre dans ces conditions humiliantes, pourquoi déciderait-il d’annuler les accords maintenant ?

Pour répondre à cette question, examinons d’abord le contexte politique de la décision d’Abbas.

En février 2015, Abbas avait déjà menacé de rompre la collusion répressive avec Israël en réponse à la décision israélienne de retenir des millions de dollars de recettes fiscales palestiniennes, que Tel-Aviv obtient au nom de l’AP.

Des menaces similaires ont été faites en juillet 2017, cette fois en réponse aux mesures illégales prises par Israël autour des lieux saints musulmans de Jérusalem occupée.

Puis à nouveau en septembre 2018, lorsque les États-Unis ont reconnu unilatéralement Jérusalem comme capitale d’Israël.

Et encore une fois, en juillet 2019, lorsque Israël a démoli des maisons palestiniennes à Jérusalem-Est occupée.

Le dernier épisode, la menace d’Abbas de dissoudre l’AP, était une réponse à l’annonce américaine du « Contrat du siècle » .

Ce ne sont là que les quelques menaces notables qui ont pu faire l’objet d’une couverture médiatique. En réalité, Abbas a mené sa « guerre » contre Israël sous la forme de menaces sans fin qui ont toujours suscité en retour le mépris d’Israël.

La différence, cette fois, est que Abbas n’a jamais connu un tel degré d’abandon et de vulnérabilité politique.

Abandonné par les Américains et désavoué par les Israéliens, la crédibilité d’Abbas est au plus bas. Plus important encore, le peuple palestinien a depuis longtemps abandonné toute illusion que le chemin de la libération passerait par le bureau d’Abbas à Ramallah.

Submergé par de nombreux obstacles, Abbas a décidé de mener ce qui sera très probablement son dernier acte politique. Ce qui se passera ensuite importe peu, car à ce stade, le leader palestinien de 84 ans n’a plus rien à perdre.

L’annulation de l’engagement palestinien envers les accords devrait se traduire par peu de choses sur le terrain, étant donné qu’Israël et les États-Unis ont déjà et depuis longtemps ôté toute signification à ces accords.

Les accords d’Oslo étaient censés avoir de la pertinence jusqu’à un certain point, jusqu’en 1999, lorsque les négociations sur le statut final devaient être la dernière étape avant la création d’un État palestinien indépendant.

La question de Jérusalem, tout comme les droits des réfugiés palestiniens, devait être résolue à ce moment-là, et non pas être complètement « retirée de la table » des négociations deux décennies plus tard. Aucun échange territorial – et encore moins aucune annexion – ne devait être autorisé sans un accord bilatéral entre les deux parties.

Seuls deux éléments de ces accords ont survécu aux nombreuses violations commises par Israël : la « coordination de la sécurité » et l’ « argent des donateurs », qui ont permis à l’AP et à son armée pléthorique – mais inutile – de continuer à fonctionner.

Maintenant que les États-Unis ont supprimé tous les fonds destinés à l’Autorité d’Abbas et que le nouveau gouvernement d’unité nationale israélien a décidé, en principe, d’annexer une grande partie de la Cisjordanie, Abbas se retrouve les mains totalement vides.

En annulant tous les accords, Abbas et ses partisans espèrent que la sonnette d’alarme sera tirée à Washington et à Tel-Aviv, d’autant plus que l’arrêt de la « coordination de la sécurité » pourrait s’avérer coûteux pour la sécurité des colons juifs d’Israël.

Si Abbas était, en effet, sérieux dans son annonce, il aurait inclus dans son discours une proposition claire pour un nouveau programme politique palestinien fondé sur l’unité des Palestiniens. Mais une véritable stratégie palestinienne n’a jamais été dans les vues du dirigeant de l’AP.

Ce que Mahmoud Abbas espère réaliser, avec ses dernières mises en scène, c’est l’établissement d’un nouveau jeu politique basé sur l’ambiguïté politique, afin qu’il ne soit pas entièrement abandonné par ses partisans occidentaux, ou finalement rejeté comme collaborateur par son propre peuple.


Publié le 27 mai 2020 sur  RamzyBaroud.net
Traduction : Chronique de Palestine

Ramzy Baroud Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

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