Le gouvernement hollandais suspend le financement d’une organisation palestinienne

Les lobbyistes israéliens forcent le gouvernement hollandais à suspendre le financement d’une organisation de fermiers

Adri Nieuwhof, 18 août 2020

Souvent, les fermiers palestiniens trouvent difficilement accès, voire pas du tout, à leurs terres, en raison de l’empiètement et de l’expansion incessante des colonies illégales. (Photo : Shadi Jarar’ah APA images)

Souvent, les fermiers palestiniens trouvent difficilement accès, voire pas du tout, à leurs terres, en raison de l’empiètement et de l’expansion incessante des colonies illégales. (Photo : Shadi Jarar’ah APA images)

Des groupes de pression pro-israéliens ont fait campagne pour saper une importante organisation palestinienne de développement agricole en l’accusant de « financer le terrorisme ».

Lawyers for Israel (Avocats pour Israël – Royaume-Uni – UKLFI) et le groupe de pression hollandais pro-israélien Center for Information and Documentation Israel (CIDI), ont tous deux demandé au gouvernement hollandais de mettre un terme au financement de l’Union (syndicat) des Comités du travail agricole (UAWC).

Le 9 juillet, Sigrid Kaag, la ministre hollandaise du commerce international et du développement, a cédé aux pressions et a suspendu le financement de l’UAWC en attente des résultats d’un examen externe.

Des pressions sur le gouvernement hollandais

En mai de l’an dernier, l’UKLFI a adressé une lettre au représentant hollandais à Ramallah avec des informations concernant les liens supposés de l’UAWC avec le Front populaire pour la libération de la Palestine, le FPLP.

L’UKLFI a répété ces accusations dans une lettre adressée à la ministre Kaag en juin dernier, citant l’ONG Monitor en tant que sa principale source d’information.   

L’ONG Monitor entretient des liens étroits avec l’establishment politique et militaire israélien.

Le CIDI s’est joint à l’attaque de l’UKLFI contre l’UAWC en portant la question à l’attention des députés. Il en est résulté que l’aile droitière et nationaliste du parti PVV et les partis chrétiens SGP et CU ont demandé à la ministre si elle était disposée à mettre un terme au financement de l’UAWC par les Pays-Bas.

L’UAWC a été créée en 1986 afin de soutenir les fermiers palestiniens en Cisjordanie occupée et à Gaza, qui souffrent de la politique israélienne du vol de la terre et de l’eau.

Le syndicat se décrit comme indépendant, sans la moindre affiliation politique ou religieuse à quelque parti ou organisation politique que ce soit.

Il a été créé afin d’aider les fermiers palestiniens à revendiquer et réhabiliter leurs terres, en partie pour soutenir les fermiers mêmes et en partie pour empêcher la confiscation des terres par Israël en vue de l’expansion des colonies.  

L’UAWC développe aussi des projets en vue de cultiver la terre et de préserver une infrastructure de voies agricoles et de ressources en eau. Elle soutient des projets dans les secteurs de la pêche et de l’élevage de bétail.

Depuis 2013, les Pays-Bas financent l’UAWC. Toutes les donations sont soumises à un rapport strict et à un système de contrôle et d’évaluation.

Arrestation de membres du personnel de l’UAWC

Le 25 septembre dernier, les forces israéliennes ont arrêté Samer Arbeed, un employé du syndicat.

L’arrestation d’Arbeed était liée à une explosion à proximité de la colonie juive de Dolev, explosion qui avait tué l’adolescente israélienne Rina Shnerb et blessé son frère et son père.

Les enquêteurs de l’agence de renseignement interne d’Israël, le Shin bet, « ont recouru à des moyens exceptionnels pour interroger » Arbeed, en suivant la procédure sur les « bombes à retardement ». Après deux jours d’interrogatoire, Arbeed a été admis à l’hôpital dans un état critique.

Le 3 octobre, l’UAWC a informé le ministère hollandais qu’un de ses employés avait été arrêté sous le soupçon d’implication dans l’attentat de Dolev. Un deuxième employé avait été arrêté quelques semaines plus tard en relation avec le même attentat.

Le bureau de la représentant hollandaise à Ramallah est entré en dialogue avec l’UAWC afin d’obtenir de plus amples renseignements sur les arrestations.

L’UAWC a informé le bureau de la représentation qu’elle avait rappelé une fois de plus à son personnel l’interdiction d’affiliation active à des organisations politiques, dont le FPLP. Le syndicat avait également mis un terme aux contrats des deux employés.

Le ministère hollandais avait alors clarifié sa position dans sa réponse du 18 juin 2020 à l’UKLFI.

« L’UAWC n’est pas répertoriée comme une organisation terroriste, ni par l’UE, ni par l’ONU, pas plus que les membres de son conseil d’administration ne sont considérés comme membres d’un groupe terroriste. Un précédent screening international et le contrôle même de l’UAWC par les Pays-Bas n’ont révélé aucun lien entre l’UAWC et des organisations reprises sur quelque liste internationale que ce soit. »

Toutefois, la ministre Kaag a déclaré au Parlement qu’elle voulait agir avec prudence et qu’elle avait par conséquent décidé de commissionner une enquête externe sur les liens possibles entre le FPLP et l’UAWC.

Pendant ce temps, a-t-elle ajouté, elle allait suspendre le financement de l’UAWC en attendant les résultats de l’enquête. D’autres donateurs, selon les dires de la ministre, ne voient aucune raison de prendre des mesures similaires.

Saper les organisations palestiniennes

L’attaque contre l’UAWC s’inscrit parfaitement dans la stratégie du gouvernement israélien visant à saper les organisations palestiniennes.

L’an dernier, le ministère des Affaires stratégiques et de la Diplomatie publique ont publié un rapport intitulé Terrorists in Suits : The Ties Between NGOs promoting BDS and Terrorist Organizations (Les terroristes en costume : les liens entre les ONG faisant la promotion de BDS et les organisations terroristes).

Le rapport cherche effectivement à noircir les organisations palestiniennes qui défendent les droits du peuple palestinien. Et son impact sur les organisations qu’il cite a été dramatique.

Ainsi, Mahmoud Nawajaa, coordinateur national du Comité national palestinien du boycott (BNC), a été arrêté récemment après avoir été enlevé chez lui, au beau milieu de la nuit et en présence de ses enfants. L’armée n’a émis aucune accusation contre lui.

Khalida Jarrar n’a pas autant de chance. Elle est membre de la direction d’Addameer, l’organisation pour les droits des prisonniers et siège également au Conseil législatif palestinien.  

Jarrar a été arrêtée en octobre 2019. Elle est toujours actuellement en détention administrative, c’est-à-dire sans accusation ni procès.   

L’UKLFI a diffamé Defense for Children International – Palestine mais, après une action juridique, l’association a été contrainte de rétracter ses allégations prétendant que DCI-P apportait du « soutien financier ou matériel à des organisations terroristes ».

Et l’organisation des droits de l’homme Al-Haq est elle aussi calomniée et attaquée depuis de nombreuses années.

Toutes ces organisations sont reprises dans le rapport Terrorists in Suits qui, selon Al-Haq, s’appuie

« sur des allégations obsolètes et dénuées de la moindre substance » et « sur des caricatures racistes tentant de dépeindre les organisations de la société civile palestinienne comme essentiellement suspectes et violentes, et ce, afin de les discréditer et de les priver de tout soutien financier ».

En 2016, Bert Koenders, le ministre hollandais de l’époque, avait refusé de céder aux pressions en vue de mettre un terme au financement des organisations palestiniennes accusées par l’ONG Monitor de soutenir le mouvement BDS dirigé depuis la Palestine.

Plutôt que de se laisser harceler, la ministre Kaag ferait bien mieux de suivre l’exemple de son prédécesseur.


Publié le 18 août 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

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