L’hypocrisie de l’Union européenne vis-à-vis de l’occupation israélienne

Continuer à faire des références à l’irréalisable solution à deux États, tout en armant et finançant Israël et en faisant plus de commerce avec lui, voilà la définition même de l’hypocrisie.

Ramzy Baroud, 20 octobre 2020

Légende photo : Ramallah, Cisjordanie, 15 avril 2019. Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh se rend à une réunion de cabinet du nouveau gouvernement palestinien. (Photo : Reuters)

En théorie, l’Europe et les États-Unis occupent des positions opposées, quand il s’agit de l’occupation israélienne de la Palestine. Alors que le gouvernement américain a complètement adopté le statut stratégique créé par 53 années d’occupation militaire israélienne, l’UE continue à plaider en faveur d’un arrangement négocié qui soit fondé sur le respect des lois internationales.

En pratique, toutefois, malgré l’apparent désaccord entre Washington et Bruxelles, le résultat est essentiellement le même. Les États-Unis et l’Europe sont les plus importants partenaires commerciaux, fournisseurs d’armes et défenseurs politiques d’Israël.

L’une des raisons pour lesquelles l’illusion d’une Europe impartiale s’est maintenue si longtemps réside dans les dirigeants palestiniens. Politiquement et financièrement abandonnée par Washington, l’Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas s’est tournée vers l’UE comme étant la seule qui puisse lui venir en aide. « L’Europe croit en la solution à deux États », a déclaré la semaine dernière le Premier ministre de l’AP, Mohammed Shtayyeh, au cours d’une discussion sur vidéo avec la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen. Le fait que l’Europe continue à soutenir la défunte solution à deux États la qualifie pour combler le vide monumental créé par l’absence de Washington.

Shtayyeh a invité les dirigeants de l’UE à « reconnaître l’État palestinien afin que nous, et vous, rompions le statu quo ». Cependant, 139 pays reconnaissent déjà l’État palestinien. Alors que cette reconnaissance est un signe clair de ce que le monde reste fermement propalestinien, elle ne change pas grand-chose sur le terrain. Ce qui manque, c’est un effort concerté en vue de tenir Israël responsable de son occupation violente, ainsi qu’une véritable action afin de soutenir le combat des Palestiniens. Non seulement l’UE a échoué, sur ce plan mais, en fait, elle fait précisément le contraire : financer Israël, équiper son armée et réduire au silence les voix qui le critiquent.

À entendre les propos de Shtayyeh, on a l’impression que le Premier ministre palestinien s’adressait à une conférence entre pays arabes, musulmans ou socialistes.

« Je demande à votre Parlement et à vos membres distingués de ce Parlement que l’Europe n’attende pas le président américain pour se présenter avec des idées (…) Nous avons besoin d’un tiers parti qui puisse réellement remédier au déséquilibre qu’il y a dans la relation entre un peuple occupé et un pays occupant, c’est-à-dire Israël »,

a-t-il déclaré.

Mais l’UE est-elle qualifiée pour être ce tiers parti ? Non. Depuis des décennies, les gouvernements européens ont fait intégralement partie de l’alliance entre les États-Unis et Israël. Et le simple fait même que l’administration américaine a récemment négocié un virage décisif en faveur d’Israël ne devrait pas permettre de méprendre le penchant historique de l’Europe vers Israël pour une solidarité propalestinienne.

En juin, plus d’un millier de parlementaires de toute l’Europe, représentant divers partis politiques, ont sorti une déclaration exprimant de « sérieuses inquiétudes » à propos du plan de pays de Donald Trump et de l’annexion proposée par Israël de près d’un tiers de la Cisjordanie. Le Parti démocrate américain, dont certains partisans traditionnellement convaincus d’Israël, s’est montré lui aussi critique à l’égard du plan du fait que, dans les esprits de ses membres, l’annexion allait rendre impossible la solution à deux États. Cependant, de même précisément que les démocrates ont fait savoir clairement qu’une administration Joe Biden – au cas où il remporterait les élections du mois prochain – n’annulerait aucune des actions de Trump, les gouvernements européens ont également fait savoir qu’ils n’entreprendraient pas la moindre action en vue de dissuader Israël et qu’ils ne le sanctionneraient surtout pas pour ses violations répétées des lois internationales.

De belles paroles, c’est pour ainsi dire tout ce que les simples citoyens palestiniens ont obtenu de l’Europe.

L’UE peut avoir donné pas mal d’argent, mais ces sommes ont surtout été mises en poche par les fidèles d’Abbas au nom de la « construction de l’Etat » et autres élucubrations du même genre. Il est assez révélateur qu’une grande partie des infrastructures d’un État palestinien imaginaire subventionné par l’Europe ces dernières années ont été dynamitées, détruites ou confisquées par l’armée israélienne au cours de ses diverses guerres et autres raids. Mais l’UE n’a pas sanctionné Israël, à la suite de cela, et l’AP n’a jamais cessé de lui demander qu’elle finance un État totalement inexistant.

Non seulement l’UE a négligé de tenir Israël pour responsable de l’occupation en cours et de ses violations des droits de l’homme, mais, en fait, elle finance Tel-Aviv également. Selon Defense News, un quart des 7,2 milliards de USD d’exportations militaires israéliennes en 2019 ont pris la direction de pays européens. De plus, l’UE est le premier partenaire commercial d’Israël, pour un tiers du commerce total de ce dernier. Ceci comprend l’importation par le bloc des produits fabriqués dans les colonies israéliennes illégales.

De plus, l’UE s’emploie à intégrer Israël au mode de vie européen via des concours culturels et musicaux, des compétitions sportives et par de très nombreuses autres moyens. Alors que l’UE possède de puissants outils qui pourraient être utilisés pour arracher des concessions politiques et imposer le respect des lois internationales, elle choisit de ne pas faire grand-chose, sur ce plan.

Comparez cela à l’ultimatum signifié ce mois-ci par l’UE à la direction palestinienne et qui associait son aide aux liens financiers de l’AP avec Israël. En mai, Abbas a entrepris la démarche extraordinaire de considérer comme nuls et non avenus tous les accords avec Israël et les États-Unis. En effet, cela signifie que l’AP ne pourra plus être tenue pour responsable du statu quo étouffant créé par les accords d’Oslo, qui ont été violés très régulièrement par Tel-Aviv et Washington. Durcir les liens avec Israël signifie également que l’AP refuse d’accepter près de 150 millions de USD par mois en rentrées de taxes collectées par Tel-Aviv en son nom. Cette démarche palestinienne, très longtemps reportée, était néanmoins nécessaire. Au lieu de soutenir le geste d’Abbas, l’UE l’a critiqué, refusant de fournir une aide supplémentaire aux Palestiniens tant qu’Abbas ne renouerait pas les liens avec Israël et qu’il n’accepterait pas l’argent des taxes. Selon Axios, ce sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et même la Norvège qui ont mené la charge à ce propos.

Continuer à faire des références à l’irréalisable solution à deux États, tout en armant et finançant Israël et en faisant plus de commerce avec lui, voilà la définition même de l’hypocrisie. La vérité, c’est que l’Europe devrait être tenue tout aussi responsable que les États-Unis de l’encouragement et du soutien de l’occupation de la Palestine. Cependant, alors que Washington est ouvertement pro-israélien, l’UE a joué un jeu plus subtil en abreuvant les Palestiniens de mots creux dans le même temps qu’elle vendait à Israël des armes de mort.


Publié le20 octobre 2020 sur Arab News
Traduction : Jean-Marie Flémal

Ramzy Baroud est journaliste et rédacteur en chef de The Palestine Chronicle. Il est l’auteur de cinq livres. Le dernier en date est intitulé « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons » (Ces chaînes seront brisées : Récits palestiniens de lutte et de défi dans les prisons israéliennes) (Clarity Press, Atlanta). Twitter : @RamzyBaroud

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