Iran / Israël : L’escalade dans la « guerre sur mer »

L’Iran s’engage dans une nouvelle politique de représailles contre les agressions israéliennes.

Photo : Rai al-Youm

Abdel Bari Atwan, 3 août 2021

S’il y a du vrai dans l’accusation portée par Israël et prétendant que l’Iran était derrière l’attaque d’un drone la semaine dernière contre un tanker israélien au large de la côte d’Oman, cela signifie que l’Iran a décidé d’imposer une nouvelle équation dans la dissuasion. Celle-ci, en l’occurrence :

« Chaque fois que vous nous frapperez, nous riposterons, et cela vaudra également pour vos navires en haute mer, dans les eaux internationales. Vous voilà prévenus. »  

La  chose a été pour ainsi dire confirmée lorsque la chaîne officielle al-Aalam TV, citant le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), dont les Américains et les Israéliens sont convaincus qu’il est responsable de l’attaque, a expliqué que cette dernière avait été menée en guise de représailles suite au raid aérien israélien contre la base aérienne d’al-Daba en Syrie, au cours duquel un officier du CGRI avait été tué et quatre combattants du Hezbollah blessés, dont deux sont toujours dans un état critique.

Des sources libanaises proches du CGRI ont confié à notre organe de presse que la raison pour laquelle les Iraniens se sentaient forcés de riposter rapidement et par la force était que les avions de combat israéliens avaient visé les quartiers habités de la base, plutôt que les pistes, comme ils le font habituellement.

Selon les mêmes sources, cette riposte « sans précédent » est le signe de l’adoption d’une nouvelle stratégie par l’Iran, consistant à prendre l’initiative et à riposter rapidement aux agressions israéliennes. Le raid contre le tanker s’est effectué en deux étapes.  Pour commencer, un drone ordinaire a été envoyé pour lancer des missiles contre le navire. Mais ceux-ci n’ont occasionné que peu de dégâts, ce qui fait qu’un drone suicide a été lancé à son tour pour viser le pont du navire dans le but de lui infliger des pertes humaines. Un garde sécuritaire et un membre roumain de l’équipage ont été tués, ce qui en a fait les deux premières victimes humaines de la « guerre sur mer » en cours.

Le ministre israélien des Affaires étrangères a promis une riposte sévère à cette attaque, et les médias israéliens prétendent que les forces aériennes ont déjà sélectionné les cibles iraniennes qui doivent être frappées et qu’elles attendent tout simplement le feu vert. C’est loin d’être certain. Si ce l’était, pourquoi les Israéliens ont-ils soumis la question au Conseil de sécurité de l’ONU, alors qu’ils savent que là, le veto de la Russie et de la Chine les attend ?

Israël, d’une façon ou d’une autre, est le perdant dans l’affaire. S’il avale l’insulte et ne riposte pas, c’est qu’il aura admis la défaite, dans cette bataille. Et s’il répond par une offensive militaire, il fournira aux Iraniens le prétexte de déchaîner tous les feux de l’enfer contre lui. Les plans iraniens de représailles sont prêts à se muer en actions et les jours d’attente du moment et du lieu qui conviennent – en dépit d’une série d’attaques israéliennes contre les cibles iraniennes à l’intérieur et en dehors du pays – sont révolus.

Israël possède une flotte maritime commerciale bien plus importante que celle de l’Iran et 90 pour 100 de ses importations sont transportées par voie maritime. Une grande partie de ce fret passe par la mer d’Arabie et par la mer Rouge, à portée des drones iraniens, ce qui fournit à ces derniers un vaste choix de cibles. Même si les transports maritimes israéliens disposaient d’escortes navales américaines, ce serait une entreprise coûteuse et d’une efficacité limitée.

L’Iran, par contre, n’exporte qu’une petite quantité de pétrole et ses importations sont très réduites en raison des sanctions draconiennes qui lui sont imposées par les États-Unis et par l’Union européenne, ainsi que du fait de son autosuffisance croissante.

L’attaque contre le tanker Mercer Street, qui appartient à une compagnie liée au milliardaire israélien Eyal Ofer, indique que le CGRI prend lui-même l’initiative – comme il l’avait fait quand il avait tiré des roquettes sur la base américaine d’Ain al-Asad en Irak en guise de représailles contre l’assassinat du général Qasem Soleimani. Il entreprend le combat en haute mer et il pourrait également le mener à l’intérieur même d’Israël, sans plus compter sur les organisations armées alliées comme Ansarullah au Yemen, le Hezbollah au Liban, Hashd ash-Shaabi en Irak, ou encore le Hamas et le Djihad islamique dans la bande de Gaza.

Sur ce plan, le CGRI a adressé un message très fort aux Israéliens lors de leur dernière offensive contre Gaza. Un drone de reconnaissance à long rayon d’action a été envoyé dans les parages et a été filmé. L’implication était que, si des drones iraniens peuvent voler jusque Gaza, ils peuvent tout aussi bien frapper les infrastructures côtières israéliennes.


Publié le 4 août 2021 sur le site Rai al-Youm
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

A1 Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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