Les icônes de la résistance : Le calvaire des prisonniers palestiniens
L’évasion de la prison de Gilboa a été une victoire symbolique sur l’occupation israélienne et a servi à faire ressortir encore plus l’importance de la question des prisonniers politiques pour la société palestinienne et dans la lutte pour la liberté.
Alessandra Bajec, 5 octobre 2021
La question des prisonniers palestiniens est revenue sous les projecteurs dès l’évasion, début septembre, des six détenus de la prison à sécurité maximale de Gilboa, dans le nord d’Israël.
À l’époque, la nouvelle de l’évasion avait été célébrée dans une euphorie massive partout en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza.
Dans les médias sociaux, les gens publiaient des photos de cuillers, en référence aux outils prétendument utilisés par les prisonniers pour creuser le tunnel par lequel ils allaient s’extraire de l’installation de haute sécurité.
Lors des manifestations, en même temps que les traditionnels drapeaux et calicots, elles étaient bientôt devenues un élément caractéristique en tant que symbole de la résistance palestinienne à l’occupation israélienne. À Gaza même, des artistes allaient même peindre une fresque en l’honneur des six détenus.
Alors que, pour Israël, cette évasion exceptionnelle représentait un échec embarrassant de la sécurité et des renseignements, pour bien des Palestiniens, c’était un symbole de leur détermination à vouloir forcer leur chemin vers la libération nationale.
« Elle [l’évasion] ne représentait pas uniquement les prisonniers palestiniens, mais les Palestiniens de partout. Ils sont occupés et déportés depuis 73 ans, mais ils continuent toujours à lutter pour la liberté »,
déclarait Charlotte Kates, coordinatrice internationale de Samidoun Palestinian Prisoner Solidarity Network (Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens) dans The New Arab.
Peu après l’évasion, les Services pénitentiaires israéliens (IPS) ont imposé des mesures strictes et abusives aux prisonniers, particulièrement à ceux qui étaient détenus à Gilboa, et les forces israéliennes ont envahi diverses zones de la Cisjordanie, en particulier les villes d’où provenaient les évadés, c’est-à-dire Jénine et les alentours, dans une répression à grande échelle visant à punir collectivement les Palestiniens. On a d’ailleurs rapporté que nombre de proches des prisonniers avaient été placés en détention.
Les détenus palestiniens ont enduré de lourdes punitions, dans le cadre de la répression à l’intérieur des prisons israéliennes. Des détenus de Gilboa et d’autres prisons ont été placés en isolement et se sont vu refuser visites familiales et nourriture. En outre, les détenus membres du Djihad islamique palestinien (PIJ) ont été transférés vers diverses installations carcérales afin de les tenir à l’écart les uns des autres. Cinq des évadés sont en effet membres du PIJ.
Les autorités carcérales israéliennes ont l’habitude de soumettre les prisonniers à des transferts dans le but de les séparer les uns des autres, de rompre leur camaraderie et de perturber la coordination entre ceux qui s’organisent en fonction de leur appartenance politique.
Finalement, quand les six évadés ont été repris après une chasse à l’homme de deux semaines, ils ont dû subir de violentes mesures punitives, y compris des tortures sévères et des violences physiques et mentales de la part des interrogateurs israéliens. Ils sont actuellement détenus en confinement solitaire dans des prisons différentes.
Dimanche, les six prisonniers – Yaqoub Qadri, 48 ans, Mahmud Abdullah Ardah, 45 ans, Mohammad Ardah, 39 ans, Ayham Kamamji, 35 ans, Munadel Infeiat, 26 ans, et Zakaria Zubeidi, 45 ans – ont été officiellement accusés de s’être évadés de prison.
Mardi, Mohammad Ardah a entamé une grève de la faim à durée indéfinie pour protester contre ses conditions de détention, a déclaré son avocat, Kareem Ajwa, de la Commission des détenus de l’Autorité palestinienne, à l’adresse d’Al Jazeera. Et d’ajouter que les prisonniers pourraient très bien être soumis à des années de confinement solitaire.
Les prisonniers palestiniens ont constamment menacé de se lancer dans une grève de la faim collective afin de soutenir les évadés repris et de protester contre leurs conditions de détention répressives, demeurant ainsi bien résolus dans leur combat contre l’occupation.
Sahar Francis, directrice d’Addameer, l’organisation de défense des droits des prisonniers installée à Ramallah, a expliqué que les tensions restaient élevées à l’intérieur des prisons israéliennes du fait du durcissement des restrictions par les autorités qui, par exemple, ne cessaient de déménager les détenus d’une prison à l’autre.
Une cause suscitant l’émotion
L’opération « Tunnel de la liberté » a mis l’incarcération de masse de Palestiniens par Israël sous le feu des projecteurs. Selon Addameer, on estime que 4 650 Palestiniens sont détenus par Israël. Considérés comme des prisonniers politiques en Palestine et par les Nations unies, ils sont traités comme des « prisonniers sécuritaires » par Israël qui les perçoit comme une menace.
Parmi ces détenus figurent toutes sortes de gens : des militants accusés d’avoir participé à des attaques contre des civils israéliens et les forces de sécurité, ou d’avoir contribué à la préparation de ces mêmes attaques, ou des membres de factions politiques palestiniennes interdites par Israël, ou encore des personnalités politiques.
Parmi les détenus, on trouve également des activistes emprisonnés pour avoir participé à des manifestations, et des adolescents, voire des enfants, arrêtés pour avoir jeté des pierres en direction des soldats israéliens.
Plus de 500 des prisonniers politiques palestiniens détenus en Israël purgent des peines à perpétuité et près de 500 autres sont condamnés à plus de 20 ans. Parmi les prisonniers figurent également 200 enfants et 40 femmes ou adolescentes.
Environ 520 personnes sont détenues sans accusation ni procès dans le cadre de la détention administrative, qui est régulièrement utilisée pour viser les Palestiniens, surtout les dirigeants communautaires, les activistes et les gens influents dans les villes, les villages et les camps de réfugiés. Ces ordonnances de détention administrative, qui peuvent couvrir jusque six mois à la fois, sont renouvelables à l’infini sur base d’« informations secrètes ».
Les Palestiniens sont poursuivis devant des tribunaux militaires israéliens, au contraire des Israéliens, qui sont jugés dans le cadre d’un système de tribunaux civils. Les accusations dans les tribunaux militaires peuvent traîner durant des mois, voire des années.
Bien que les prisonniers des territoires palestiniens occupés possèdent le statut de « personnes protégées », du moins selon la Quatrième Convention de Genève, la plupart des Palestiniens de Cisjordanie emprisonnés le sont dans des prisons situées à l’intérieur de la puissance occupante. Selon les lois internationales, cette procédure constitue une forme interdite de transfert forcé.
La détention est largement perçue comme l’un des aspects les plus difficiles de la vie sous la domination militaire israélienne. Addameer a rapporté qu’il était typique que les prisonniers politiques se voient interdire de faire des appels téléphoniques et qu’ils n’aient droit qu’à un nombre limité de visites, et encore, uniquement de leurs proches parents et de leurs avocats. Les visites de la famille peuvent être limitées ou annulées, et souvent de façon arbitraire.
Les traitements médicaux sont généralement inappropriés et ne sont fournis qu’avec d’énormes retards. Dans bien des cas, la torture physique et psychologique et les mauvais traitements sont utilisés en cours d’interrogatoire. Ils comprennent le tabassage, la privation de sommeil, la mise en isolement, le confinement solitaire et les menaces contre les existences des proches.
On pense que plus de 220 Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes depuis 1967, s’il faut en croire la Commission des affaires des détenus : 73 sont morts sous la torture et 69 par négligence médicale.
Israël prétend détenir des Palestiniens suite à des accusations « relatives à la sécurité », mais la réalité, c’est que le système à grande échelle d’emprisonnement est destiné à réprimer l’opposition à l’occupation militaire israélienne et à maintenir un contrôle permanent sur les existences des Palestiniens. C’est également un outil clé pour ébranler l’activité politique.
Chaque famille palestinienne, pour ainsi dire, a au moins un proche qui a été emprisonné par Israël. Environ 40 pour 100 de la population masculine palestinienne a été emprisonnée à un moment ou l’autre, selon certaines estimations.
« Chaque Palestinien est affecté par l’emprisonnement d’une façon ou d’une autre. Et chaque fois que le conflit s’intensifie avec Israël, on s’attend à ce que davantage de Palestiniens soient incarcérés »,
a déclaré Sahar Francis dans The New Arab, expliquant comment la question des prisonniers était étroitement liée à la situation politique à tout moment donné.
Charlotte Kates, la coordinatrice de Samidoun, a fait remarquer l’importance du mouvement des prisonniers pour la société palestinienne, étant donné leur profonde contribution à la lutte en cours pour un État indépendant.
« Les Palestiniens apprécient et honorent profondément les terribles sacrifices consentis par les prisonniers politiques pour la libération de leur pays. Chacune de ces existences leur est précieuse »,
a ajouté l’activiste des droits des prisonniers.
Et d’affirmer également que les prisonniers palestiniens sont les leaders de la résistance « au cœur de leurs communautés », et qu’ils en ont été écartés parce qu’Israël les perçoit comme une menace à son système colonialiste de peuplement et qu’il veut qu’ils « soient tenus à l’écart de leur société ».
Au-delà de la séparation physique de leurs familles et communautés, leur éloignement de la vie publique palestinienne prive la société palestinienne de leaders communautaires et nationaux. Ils ont été largement exclus des discussions sur l’avenir de la Palestine, bien qu’ils constituent des voix d’une importance capitale.
Avant d’être emprisonnés, un grand nombre d’entre eux étaient des dirigeants de manifestations, de centres communautaires organisés et certains étaient même engagés dans la lutte armée.
Dans les prisons israéliennes, les Palestiniens ont également résisté longtemps aux autorités israéliennes via des actions collectives comme des grèves de la faim, des classes éducatives et toute une organisation politique en vue d’obtenir des droits fondamentaux.
« Ces prisonniers exposent quotidiennement leurs corps sur les lignes de front de la résistance en affrontant directement leurs geôliers israéliens et le système carcéral colonial »,
faisait encore remarquer Charlotte Kates.
« Tout indique que le mouvement des prisonniers va continuer à riposter. »
La directrice d’Addameer dit également que l’action collective entreprise par les prisonniers palestiniens a constitué un aspect fondamental de la vie en prison, et ce, dès le début de l’occupation militaire par Israël en 1967.
« Que ce soit en boycottant le comptage quotidien des prisonniers, en refusant certains repas, en se heurtant aux autorités carcérales ou en lançant des appels à des grèves de la faim massives, les prisonniers se sont longuement battus pour des meilleures conditions en s’opposant jour après jour aux mesures répressives prises à leur encontre »,
explique-t-elle à The New Arab.
Relancer la discussion autour des prisonniers et la situer dans le contexte élargi de la libération nationale est d’une très grande importance pour l’avenir de la cause palestinienne, ajoute Sahar Francis.
Une solution politique à la question palestinienne devrait inclure la question des prisonniers politiques, ce qui signifie « les libérer tous », dit-elle encore, puisque tous ont été arrêtés sous l’occupation militaire illégale par Israël.
Publié le 5 octobre 2021 sur The new Arab
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Alessandra Bajec est une journaliste free-lance qui vit actuellement à Tunis. On peut la suivre sur Twitter : @AlessandraBajec