Le rôle des grèves de la faim dans la lutte palestinienne

La résistance et la persévérance d’Abou Hawash s’inscrivent bien dans la suite d’une longue histoire de grèves de la faim tant collectives qu’individuelles menées par des prisonniers palestiniens.

21 octobre 2020. Une fresque en l’honneur du gréviste de la faim palestinien Maher al-Akhras, dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. (Photo : Ashraf Amra APA images)

Yara Hawari, 11 janvier 2022

La semaine dernière, après 141 jours sans nourriture, Hisham Abou Hawash, un ouvrier palestinien de la construction, originaire de Cisjordanie, a mis un terme à la grève de la faim qu’il menait afin de protester contre son emprisonnement par le régime israélien. Abou Hawash avait été arrêté par les forces israéliennes en octobre 2020 et il avait été placé en rétention administrative, un mécanisme communément utilisé pour incarcérer des Palestiniens durant des périodes indéfinies sans accusation ni procès. 

Sous le régime de la rétention administrative, il n’y a pas de limite temporelle à la durée que le détenu peut rester emprisonné, et les « preuves » censées étayer l’arrestation ne sont jamais révélées. Le régime israélien, qui a hérité ce mécanisme du Mandat britannique en Palestine, prétend souvent qu’il l’utilise de façon préventive, afin d’empêcher de « futurs délits ». Les ordonnances d’arrestation administrative en Israël durent un maximum de six mois, mais sont renouvelables à l’infini. 

Les organisations des droits humains et les institutions internationales du monde entier ont condamné la pratique par Israël de la rétention administrative comme illégale et injuste. Le rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires palestiniens, Michael Lynk, a qualifié cette pratique d’« anathème à l’adresse de toute société démocratique qui se plie au pouvoir des lois ».

Selon l’ONG Addameer de soutien aux prisonniers, il y a actuellement 500 prisonniers politiques palestiniens en rétention administrative dans les prisons israéliennes et nombreux sont ceux qui y sont depuis des années.

Pourtant, après près de cinq mois de grève de la faim (l’une des plus longues de l’histoire palestinienne), le régime israélien a été mis sous pression et forcé de convenir d’un arrangement pour la libération d’Abou Hawash. La rétention de ce dernier ne sera donc pas prolongée et il est donc prévu de le libérer en février.

Partout, les Palestiniens ont fêté cela comme une petite victoire dans cette tourmente par ailleurs incessante et impitoyable des incarcérations quotidiennes. La résistance et la persévérance d’Abou Hawash s’inscrivent bien dans la suite d’une longue histoire de grèves de la faim tant collectives qu’individuelles menées par des prisonniers palestiniens.

La plus longue grève de la faim d’un Palestinien a eu lieu entre août 2012 et avril 2013, quand Samer Issawi a refusé de se nourrir pendant 266 jours avant d’en arriver à un arrangement avec le régime israélien. L’affaire avait attiré l’attention du monde entier et, face aux pressions internationales et à la santé du gréviste qui se détériorait rapidement, Israël avait été forcé de le libérer.

 

Tableau : Combien de Palestiniens y a-t-il dans les prisons israéliennes ?

En rétention administrative : 520
Membres du Conseil législatif palestinien : 11
Femmes : 40
Enfants : 200
Condamnations à vie :  544
Nombre total de détenus palestiniens : 4 650

Les grèves de la faim ont également été utilisées comme outils d’action collective. En 2017, des milliers de prisonniers politiques palestiniens ont refusé tous en même temps de se nourrir pendant des semaines afin de revendiquer leurs droits élémentaires. Dans certains cas, ces grèves massives ont débouché sur des arrangements en vue d’améliorer les conditions de détention, telle l’augmentation du nombre de visites familiales ou encore l’amélioration des services de soins médicaux.

Pourtant, le régime israélien répond souvent aux grèves de la faim en punissant plus encore les prisonniers – en les plaçant en isolement, en les transférant dans des cellules différentes et même en leur supprimant toute visite de la famille. 

Dans certaines circonstances, le régime israélien a recouru à l’alimentation forcée des prisonniers en grève de la faim – une pratique dont les Nations unies ont dit qu’elle équivalait à de la torture et qu’elle constituait une violation des lois internationales. Dans les années 1970 et 1980, plusieurs prisonniers palestiniens sont morts d’avoir été alimentés de force par les autorités israéliennes, ce qui a débouché sur une ordonnance de cessation de la part de la Cour suprême israélienne. Toutefois, en 2012, le gouvernement israélien a restauré la pratique de l’alimentation par la force des prisonniers politiques palestiniens.  

Les grèves de la faim sont utilisées dans le monde entier aussi bien par des activistes que par des prisonniers depuis des centaines d’années. Au début du 20e siècle, les suffragettes britanniques et américaines y recouraient fréquemment pour protester. Pourtant, cette pratique s’est davantage répandue au cours des dernières décennies comme un moyen de résistance dans les prisons.

En 1981, en Irlande, Bobby Sands, un dirigeant emprisonné de l’Armée révolutionnaire irlandaise (IRA), dirigea une grève de la faim collective afin de protester contre la suppression du « statut spécial » accordé aux prisonniers politiques de l’IRA. Après 66 jours de grève, Sands mourut en compagnie de neuf autres grévistes. 

Après la mort de Sands, des prisonniers politiques palestiniens écrivirent une lettre de solidarité et la firent sortir clandestinement de la prison. Cette lettre disait :

« Nous saluons le combat héroïque de Bobby Sands et de ses camarades, car ils ont sacrifié le bien le plus précieux de tout être humain. Ils ont donné leurs vies pour la liberté. » 

Quelques années après les grévistes de la faim irlandais, des Sud-Africains noirs s’embarquaient également dans des grèves de la faim massives pour protester contre leur incarcération par le régime d’apartheid. Dans le même temps, des prisonniers kurdes détenus par l’État turc s’inspiraient eux aussi dans leurs actions des grévistes de la faim palestiniens et irlandais.

Pour des prisonniers politiques comme ceux mentionnés plus haut, les grèves de la faim sont un moyen de résistance dans un contexte où ils sont privés de toute possibilité d’action et de contrôle. Bien qu’à première vue les grèves de la faim puissent paraître antithétiques par rapport à la lutte de libération en ce sens qu’elles infligent des dommages aux grévistes mêmes, elles permettent aux prisonniers politiques de reprendre le pouvoir de vie et de mort au régime d’incarcération. 

Comme l’érudit palestinien le Dr Malaka Shwaikh l’écrit :

« Le pouvoir des prisonniers est incarné dans leur choix d’action et leur capacité de la lancer et de la faire cesser quand ils le souhaitent. Via leurs grèves, les prisonniers revendiquent la propriété de leur propre corps et même ce leur existence. »

Et, en effet, Hisham Abou Hawash et des milliers avant lui se sont embarqués dans cette pratique en sachant qu’elle était l’un des très rares outils dont ils disposaient pour revendiquer un pouvoir et résister au régime israélien. Et, tant que le régime israélien d’incarcération brutale ne cessera pas, il ne fait aucun doute que bien d’autres encore marcheront sur leurs traces.

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Yara Hawari est chargée de recherche en politique palestinienne à Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network.

Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l’université d’Exeter, où elle a enseigné divers cours de premier cycle et continue à être chercheur honoraire. En plus de son travail universitaire qui s’est concentré sur les études indigènes et l’histoire orale, elle publie fréquemment ses commentaires politiques dans divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera English.

On peut également la suivre sur Twitter : @yarahawari

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Publié le 11 janvier 2022 sur The New Arab
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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