Un groupe d’extrême droite tente de museler l’activiste Jonathan Pollak
Jaclynn Ashly
L’arrestation de l’activiste Jonathan Pollak a mis en lumière comment un groupe d’extrême droite cherche à réduire au silence les Israéliens qui s’expriment contre l’oppression infligée aux Palestiniens.
Pollak est ciblé par l’organisation Ad Kan, qui prétend qu’il a pris part à des manifestations violentes à proximité du mur israélien en Cisjordanie occupée.
Ad Kan a déposé une plainte pénale privée contre lui et deux autres activistes, cherchant ainsi à les faire accuser d’avoir agressé des soldats israéliens.
Alors qu’on utilise rarement ces plaintes pénales privées dans les tribunaux israéliens, celle-ci a abouti à la récente arrestation de Pollak.
La plainte d’Ad Kan, déposé en décembre 2018, ne fait état d’aucun incident spécifique ni de victimes des agressions supposées.
Pollak a été arrêté un peu plus tôt ce mois-ci par des policiers en civil au moment où il se rendait dans les bureaux de Tel-Aviv du journal Haaretz, pour lequel il travaille comme graphiste.
Un mandat d’arrêt a été sorti sous les pressions d’Ad Kan après que Pollak ne s’est pas présenté aux auditions du tribunal sans son affaire, prétendant qu’elles étaient illégales.
Depuis son arrestation, il ne cesse de rejeter la légitimité des tribunaux israéliens. Il est resté en détention après avoir refusé le paiement d’une caution d’environ 150 dollars.
« Une dictature militaire »
Dans une tribune destinée à Haaretz l’an dernier, Pollak écrivait :
« Je ne me présenterai pas [aux auditions du tribunal] parce que la moitié des gens sous contrôle israélien sont des citoyens de deuxième rang, dans le cas des Palestiniens qui sont des citoyens israéliens, ou des sujets privés de tout droit démocratique fondamental, dans le cas des Palestiniens vivant en territoire occupé. Malgré les mécanismes bureaucratiques complexes destinés à camoufler ce fait, il existe un régime, entre le fleuve et la mer, et si une partie de ce régime est une dictature militaire, nous devons traiter la totalité de ce régime en tant que telle. »
Sharona Weiss, une amie de Pollak, a déclaré qu’il boycottait les auditions du tribunal afin de protester contre un « système israélien inégal dans lequel les Palestiniens ne se voient pas accorder de procédure honnête et sont jugés devant des tribunaux militaires » – dans lesquels le taux de condamnation est de plus de 99 pour 100.
Weiss, qui est également une représentante de l’organisation des droits de l’homme Yesh Din, a déclaré que le cas de Pollak était un exemple de la façon dont le système judiciaire israélien « cédait face à la droite ».
« Nous avons assisté à une coopération totale entre la police et le système judiciaire », a expliqué Weiss à l’adresse de The Electronic Intifada.
« Il s’agit – parlant d’Ad Kan – d’une organisation d’extrême droite. Les choses devraient être considérées comme partiales dès le début. Toute la procédure lancée contre ces activistes devrait être remise en question parce qu’elle est manifestement politique. »
Pollak est l’un des fondateurs du groupe Anarchists Against the Wall (Anarchistes contre le mur). Il est impliqué dans des actions directes contre l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie depuis près de 20 ans.
Deux autres activistes, Kobi Snitz et Ilan Shalif, ont également été mentionnés dans la plainte d’Ad Kan.
Snitz a reconnu avoir été « réellement choqué » par la façon dont le groupe cible les activistes. « Je ne suis pas surpris qu’ils utilisent n’importe quels moyens contre nous », a-t-il déclaré. « Mais cette démarche judiciaire est tout à fait inhabituelle. »
Ad Kan utilise du matériel qu’il avait préalablement fourni à la télévision israélienne. Le groupe a filmé des activistes israéliens qui ont montré leur solidarité avec les Palestiniens, puis a utilisé certaines prises de vue « d’une façon extrêmement trompeuse », prétend Snitz.
« C’est abusif »
Il y a cinq mois environ, Gaby Lasky, l’avocate représentant deux des activistes, a demandé au procureur général une suspension de procédure, mais elle n’a toujours pas été informée d’une prise éventuelle de décision.
« J’ai demandé que le procureur général fasse annuler l’accusation parce que le précédent qu’elle crée est dangereux », a expliqué Lasky à l’adresse de The Electronic Intifada.
« S’ils continuent avec ce procès, cela permettra aux organisations d’extrême droite d’utiliser les tribunaux de façon abusive afin d’attaquer les activistes politiques opposés à l’occupation »,
a-t-elle déclaré.
« Nous avons à faire avec une organisation politique qui est intéressés à poursuivre politiquement des activistes, ce qui pourrait résulter dans leur détention ou incercération. »
« Le but est de réduire au silence les critiques de l’occupation », a expliqué Jessica Montell, directrice de l’organisation des droits de l’homme Hamoked.
« Toute organisation de groupe ou individuelle en faveur des droits palestiniens ou contre l’occupation sera ciblée par le groupe [Ad Kan], qui cherche par n’importe quel moyen à entraver les sources de leur financement ou de perturber leur travail d’une autre façon. »
Dans un passé récent, Ad Kan s’en est pris aux activités de Hamoked, faisant objection à la façon dont l’organisation des droits de l’homme défend les Palestiniens affectés par la politique israélienne ou par les démolitions punitives.
Sous cette politique, Israël détruit les maisons familiales des Palestiniens qui ont commis des agressions contre des Israéliens. Des familles entières sont souvent laissées sans abri, suite à cette politique.
Certains des agissements d’Ad Kan se sont révélés des actes d’intimidation. En 2018, le groupe a placé de faux ordres de démolition à l’extérieur des logements du personnel de Hamoked.
Ad Kan est dirigé par Gilad Ach, hostile depuis longtemps aux activistes de gauche en Israël. On prétend que, dans le passé, le groupe a reçu des fonds du Conseil régional de Shomron, un organe administratif travaillant pour un groupement d’implantations israéliennes en Cisjordanie.
Michael Sfard, un avocat israélien qui est également un ami de Pollak, a prétendu qu’Ad Kan et des groupes du même genre s’appuient sur des « patrons politiques d’extrême droite occupant des positions de pouvoir ».
Dans un article récent de Haaretz, Sfard écrivait :
« Ad Kan est l’une des organisations mutantes de la société civile qui ont pris racine ici récemment, qui agissent au nom du gouvernement et pour une bonne part en coordination avec ce même gouvernement, afin de rendre les forts plus forts et d’affaiblir et réduire au silence les faibles et la minorité. »
Publié le 20 janvier sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Jaclynn Ashly est une journaliste free-lance couvrant les questions de politique et de droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés et en Israël.
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