Les écoliers de Masafer Yatta ne cessent d’affronter le harcèlement des colons et de l’armée
Avec le début de la nouvelle année scolaire, les écoliers palestiniens de Masafer Yatta affrontent le harcèlement de l’armée et des colons israéliens en allant suivre leurs cours dans des tentes, puisqu’Israël a démoli leur école l’an dernier.
Asem Jerjawi, 27 août 2023
Chaque année, étudiants et écoliers du monde entier accueillent avec enthousiasme la nouvelle année scolaire. Il n’en va pas de même pour les écoliers de Masafer Yatta.
Situé dans les collines du sud d’Hébron, en Cisjordanie, Masafer Yatta regroupe 215 ménages palestiniens totalisant quelque 1 150 personnes, dont 569 enfants. Avec le début de la nouvelle année scolaire, ces enfants ont dû se préparer non seulement aux cours, mais aussi à la terreur qui allait inévitablement les poursuivre au cours de leur long trajet à pied pour se rendre en classe.
Cette terreur n’est autre que le harcèlement de la part de l’armée et des colons israéliens, avec toute leur bestialité.
En novembre dernier, les forces israéliennes démolissaient l’école primaire d’Isfey al-Fauqa et, par la même occasion, les ambitions de ses écoliers, sous le prétexte que l’école se trouvait au beau milieu d’une « zone de tir ». Les autorités israéliennes prétendaient que l’école, comme le reste des villages d’éleveurs palestiniens de la région, ne remplissait pas les conditions requises par le statut de « résidence permanente » – malgré le fait que les familles de Masafer Yatta étaient bel et bien en mesure d’exhiber des documents affirmant qu’elles étaient propriétaires de leurs terres déjà bien avant 1967.
Les habitants de Masafer Yatta sont confrontés à des menaces d’expulsion et de démolition par l’occupation israélienne depuis 1981, lorsque la désignation de « zone de tir » a été introduite pour la première fois. Ensuite, en 1999, les autorités d’occupation ont sorti des ordonnances d’expulsion pour quelque 700 résidents palestiniens de Masafer Yatta, chassant la plupart d’entre eux de force et détruisant ou confisquant leurs habitations et propriétés.
Depuis lors, les autorités israéliennes ont progressivement resserré l’étau autour de la présence palestinienne à Masafer Yatta. La démolition de l’école d’Isfey al-Fauqa a été précédée d’une décision de la Cour suprême israélienne en mai 2022, laquelle donnait le feu vert à l’expulsion manu militari de huit communautés d’éleveurs de la région.
« La décision israélienne, en mai, de vider huit villages palestiniens de la zone afin de faire place à des exercices militaires constitue une autre tentative de nettoyage ethnique des Palestiniens »,
explique à Mondoweiss Nasir Nawaj’a, un activiste local.
Selon l’OCHA, cette expulsion contredisait une ordonnance militaire israélienne existante qui
« stipulait que les restrictions concernant la zone de tir ne seraient pas appliquées aux résidents existants de la zone ».
L’école d’Isfey al-Fauqa a accueilli des douzaines d’écoliers des villages périphériques. Selon les enseignants, les forces israéliennes ont attaqué les écoliers et ont confisqué tout ce qui se trouvait dans l’école, entre autres, du papier, des tables, des chaises et des sacs, avant de raser l’école jusqu’au sol.
Après la démolition de l’école par les forces israéliennes, les résidents locaux ont dressé deux tentes par-dessus les décombres, permettant ainsi aux enfants de se réinstaller sur place afin de poursuivre leur éducation au milieu des ruines. Comme si cela ne suffisait pas, afin que les écoliers puissent se rendre dans leur école de fortune, ils devaient parcourir 10 kilomètres à pied parce que l’armée israélienne empêchait le passage de tout genre de véhicule dans la prétendue « zone de tir 918 ».
Un nettoyage ethnique lent et progressif
Cette année, les écoliers sont de retour à Isfey al-Fauqa pour suivre leurs cours. Ils le font toujours dans des tentes mais, cette fois, dans la chaleur étouffante du mois d’août.
Sanad Makhamreh, 13 ans, est assis dans une tente installée sur le terrain de l’école.
« Il fait très chaud et parfois j’entends à peine la voix du professeur »,
se plaint-il.
« Nous arrivons épuisés à l’école parce qu’il n’y a pas de transport et le trajet à pied est si long. »
« Chaque jour, je rentre à la maison et je dis à ma mère que, le lendemain, je n’irai pas à l’école »,
dit-il à Mondoweiss.
« Il fait étouffant sous les tentes. »
Sanad me dit que la plupart des familles des écoliers ne pourraient se permettre l’achat de nouveaux vêtements ou cartables pour l’école.
Subir la chaleur estivale est pourtant le moindre des soucis des écoliers. Nasir Nawaj’a explique que l’occupation israélienne a récemment installé des check-points militaires entre les villages et qu’elle a confisqué tous les véhicules palestiniens en état de marche sur lesquels elle a pu mettre la main.
« Les enseignants ont peur de conduire jusqu’à l’école. Même les écoliers avec des besoins particuliers doivent aller à pied »,
dit Nasir Nawaj’a à Mondoweiss.
Bisan al-Khaldy, récemment diplômée de l’enseignement secondaire, décrit les draconiennes mesures israéliennes qu’il lui a fallu subir en tant qu’élève à l’école moyenne de Masafer, actuellement menacée de démolition elle aussi.
« J’ai obtenu mon diplôme avec une excellente moyenne de 89 % et uniquement après avoir surmonté plusieurs obstacles »,
dit-elle à Mondoweiss.
« J’ai toujours comme un pressentiment. À tout moment, l’armée peut surgir dans mon école et la démolir sur nos têtes. Ils ont déjà menacé tant de fois de le faire. »
Bisan rapporte que cette incertitude a un impact négatif sur la santé mentale des écoliers, dont l’avenir reste de ce fait incertain. Ajoutez à cela la terreur qu’ils éprouvent des œuvres des soldats et des colons, qui les agressent ou les intimident régulièrement. Les soldats stationnés dans les check-points militaires arrêtent souvent des écoliers ou des enseignants de passage et les retiennent pendant plusieurs heures sous le soleil brûlant et sans le moindre motif.
Bisan se rappelle avoir vu un petit garçon de 7 ans que les soldats avaient obligé à rester debout au check-point pendant plus d’une heure, en plein soleil, jusqu’au moment où il s’était évanoui. Et il n’y avait pas que cela – les soldats avaient empêché l’ambulance de le rejoindre, ce qui avait considérablement retardé l’admission du garçon à l’hôpital.
Pourtant, Bisan reste intraitable et insiste en disant qu’ils continueront d’enseigner et d’affronter ces atrocités, tout en se demandant où se situe la communauté internationale au vu de ces violations systématiques des lois humanitaires internationales.
Un enseignant des écoles primaires et secondaires d’al-Fakhit, qui s’est adressé à Mondoweiss sous la protection de l’anonymat, par crainte des représailles de l’occupation, a déclaré que les enseignants luttaient pour faire face à l’impact psychologique que peut avoir sur leurs élèves le simple fait d’aller à l’école. L’armée israélienne organise délibérément des exercices militaires durant les heures de classe, avec des explosions et des avions volant très bas et voltigeant en permanence par-dessus les têtes, a ajouté l’enseignant.
Les parents sont souvent obligés de chercher de l’assistance psychologique pour aider leurs enfants à faire face au traumatisme, ce qui indique qu’ils connaissent de grandes difficultés à persuader leurs enfants d’aller à l’école. Ils disent habituellement qu’ils ont peur d’être exposés à des violations de la part des forces d’occupation et des colons.
Quant au harcèlement de la part des colons, bien des écoliers arrivent en retard à l’école du fait d’avoir été régulièrement accostés et agressés par des colons qui militent dans la zone. Les écoliers finissent par manquer plusieurs cours. Pourtant, malgré ces difficultés, les résultats des examens du secondaire ces dernières années ont été aussi bons qu’auparavant, et bien des élèves poursuivent leurs études dans les universités de Cisjordanie. Pourtant, avec une hausse de l’insécurité alimentaire et un revenu en baisse, de plus en plus de gens comptent sur l’aide humanitaire. Rien ne concernant l’actuel statu quo ne semble supportable.
L’exposition constante à la violence des colons et aux exercices militaires entretient un environnement de terreur permanente qui modèle l’existence quotidienne des habitants de Masafer Yatta. Nasir Nawaj’a affirme que ces mesures israéliennes équivalent à un transfert forcé. « Les autorités d’occupation israéliennes ont exercé des pressions extraordinaires sur les Palestiniens de Masafer Yatta afin qu’ils quittent la région », affirme-t-il. « Ces actions brutales constituent des violations des lois humanitaires internationales ».
Pourtant les gens de Masafer Yatta ont choisi de répondre à ces circonstances en défiant l’armée et les colons israéliens.
« L’Israël de l’apartheid se trompe s’il croit qu’en démolissant nos maisons et en agressant notre peuple il va nous décourager de rester dans notre patrie »,
dit Nasir Nawaj’a.
« Nous restons ici, nous faisons paître nos moutons et cultivons notre terre. Rien ne nous déracinera. »
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Asem al-Jerjawi est un journaliste et écrivain palestinien faisant partie du groupe du 16 octobre.
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Publié le 27 août 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine