Un très renommé chirurgien de Gaza torturé et assassiné par ses geôliers israéliens
La mort d’un éminent chirurgien de Gaza a ravivé l’attention sur les violences très répandues et systématiques subies par les milliers de Palestinien détenus dans les geôles israéliennes.
Le Dr Adnan al-Bursh, 50 ans, responsable de la section orthopédique de l’hôpital al-Shifa à Gaza, a été tué à la prison d’Ofer, en Cisjordanie, le 19 avril, a fait savoir l’Autorité palestinienne. Sa mort avait d’abord été rapportée jeudi, après qu’un détenu libéré avait expliqué que le Dr al-Bursh avait été torturé et tué.
Le 19 avril, le Service carcéral israélien (IPS) a émis une déclaration disant qu’un détenu était mort à la prison d’Ofer, mais il n’avait pas mentionné le nom du détenu ni la cause de son décès. Plus tard, un porte-parole du service carcéral à confirmé à l’adresse des médias que la déclaration faisait bel et bien référence au Dr al-Bursh.
Le corps du chirurgien a été retenu par Israël, ont déclaré vendredi quatre organisations palestiniennes des droits humains – Addameer, Al Mezan, Al-Haq et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH).
Les organisations ont dit qu’Israël avait libéré plus de 60 prisonniers et détenus palestiniens via le passage de Kerem Shalom, et que certains d’entre eux portaient des « marques visibles de torture physique ».
Les autorités israéliennes ont également transféré le corps d’Ismail Abdelbari Khader, 33 ans. Le Dr Marwan al-Hams, directeur de l’hôpital Al-Najjar à Rafah, dans le sud de Gaza, a expliqué que le corps de Khader
« portait des marques de torture (…) aux poignets, ainsi que des tuméfactions aux épaules, aux genoux et à la poitrine ».
Les organisations des droits humains ont déclaré qu’Ismail Abdelbari Khader était le premier Palestinien mort en détention en Israël et renvoyé à Gaza depuis le 7 octobre, bien que l’on ait également enregistré les décès des deux autres détenus de Gaza suite à des négligences médicales ou à des tortures.
L’un d’eux est Majed Zaqoul, un ancien ouvrier de 32 ans détenu à la prison d’Ofer, et l’autre est une personne
« dont l’identité est restée inconnue du fait que les autorités israéliennes refusent de fournir la moindre information » à son sujet, selon les organisations de défense des droits.
Il a été confirmé que, du 16 octobre 2023 au 22 avril 2024, seize (16) Palestiniens sont morts suite à des négligences médicales ou à des tortures alors qu’ils étaient emprisonnés en Israël.
Les organisations de défense des droits disent que
« le nombre réel des Palestiniens ‘morts’ en étant emprisonnés en Israël est bien plus élevé que les cas enregistrés ne le suggèrent ».
Les Palestiniens relâchés par Israël et renvoyés à Gaza ont dit avoir vu « des compagnons de détention battus à mort », expliquent les organisations de défense des droits, dans le même temps qu’Israël refusait aux détenus tout contact avec des avocats et interdisait les visites du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Israël refuse de « fournir des informations précises et rapides sur les milliers de prisonniers de Gaza, ainsi que sur les endroits où ils se trouvent », ont ajouté les organisations.
Des enfants à la disparition forcée
Un nombre inconnu d’enfants font partie des personnes de Gaza dont la disparition a été forcée.
Al Mezan, une organisation de défense des droits humains installée à Gaza, estime que 3 000 Palestiniens ont été arrêtés par Israël à Gaza depuis le début de son offensive terrestre fin octobre.
Une moitié d’entre eux environ, dont des enfants, sont détenus dans le cadre de la Loi israélienne relative aux combattants illégaux, explique Al Mezan.
Ayed Abu Eqtaish, un directeur de programme de Defense for Children International – Palestine (DCI-P), a déclaré que les enfants de Gaza étaient
« probablement torturés par les forces israéliennes dans les centres de détention et bases militaires du sud d’Israël ».
Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, a réclamé
« l’intervention urgente de la communauté diplomatique via des mesures concrètes de protection des Palestiniens ».
« Aucun Palestinien n’est en sécurité sous l’occupation israélienne, actuellement »,
a-t-elle ajouté, avant de demander que les États membres de l’ONU entament des actions.
« Un assassinat délibéré »
C’est à la mi-décembre que les forces israéliennes ont enlevé le Dr Adnan al-Bursh à l’hôpital Al-Awda de Jabaliya, dans le nord de Gaza.
La Commission de l’Autorité palestinienne sur les Affaires des détenus et la Société des prisonniers palestiniens ont déclaré que la mort du Dr Bursh était « un assassinat délibéré », étant donné le ciblage systématique des médecins et du système des soins de santé à Gaza.
Les deux instances renvoyaient à la destruction d’al-Shifa – le plus grand hôpital de Gaza – « où des centaines de personnes ont été tuées et arrêtées ».
Le Dr al-Bursh avait poursuivi sa tâche durant toute la guerre jusqu’au moment de son arrestation, en se déplaçant d’un hôpital vers l’autre pour soigner les blessés.
Le dernier message qu’il avait laissé sur X montre le dessin d’un médecin portant une blouse et une toge aux couleurs du drapeau palestinien. « Nous mourrons debout et ne nous agenouillerons pas », déclarait le Dr al-Bursh dans le message.
Les quatre organisations palestiniennes des droits susmentionnées ont déclaré qu’outre son rôle à al-Shifa, le Dr al-Bursh était responsable du département médical de l’Association palestinienne de football et qu’il faisait également partie du conseil d’administration du Conseil médical palestinien.
« Par son travail, il a sauvé d’innombrables membres de patients palestiniens blessés au cours des offensives israéliennes répétées contre Gaza et lors de la Grande Marche du Retour »,
ont-elles dit.
Les forces israéliennes avaient tué plus de 200 Palestiniens et en avaient mutilé des milliers d’autres à balles réelles lors des séries de protestations de la Grande Marche du Retour qui avaient débuté début 2018 et avaient été suspendues fin 2019. Plus de 150 personnes avaient perdu des membres suite aux blessures subies durant les protestations.
La perte du Dr al-Bursh, qui était le père de cinq enfants, dont le plus jeune n’a que trois ans, est un coup très dur pour le système à peu près complètement anéanti des soins de santé de Gaza.
Près de 500 travailleurs médicaux ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre, affirme le ministère gazaoui de la santé, 1 500 ont été blessés et plus de 300 autres sont actuellement détenus par les Israéliens.
Le Dr Ghassan Abu Sitta, le chirurgien anglo-palestinien qui se trouvait à Gaza au cours des premières semaines de l’actuel génocide, a déclaré à l’époque de l’arrestation du Dr al-Bursh qu’Israël rassemblait des médecins afin d’organiser
« toute une série de procès à grand spectacle destinés à confirmer la criminalisation du système des soins de santé à Gaza ».
Israël a cherché à faire passer les hôpitaux de Gaza pour des bases des organisations de résistance armée tout en détruisant le système des soins de santé du territoire.
Le Dr Abu Sitta prétend que l’armée israélienne a fait du secteur de la santé sa première cible dans le but de faciliter l’expulsion massive des Palestiniens hors de Gaza.
Le ciblage des médecins
Israël a systématiquement attaqué les professionnels de la médecine « dans le but d’éliminer une génération tout entière de médecins », dit encore le Dr Abu Sitta.
L’objectif israélien, toujours selon lui, est que, « même si vous reconstruisez les hôpitaux, vous ne serez pas en mesure de rebâtir le secteur de la santé », ce qui rendra Gaza invivable pour sa population de 2,3 millions de Palestiniens.
Parmi les travailleurs des soins de santé qui restent détenus en Israël figure Ahmad al-Kahlout, le directeur de l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, arrêté lui aussi en décembre.
Peu après l’arrestation d’Ahmad al-Kahlout, les autorités israéliennes ont diffusé une vidéo présentant une confession faite par le directeur de l’hôpital en personne. Dans cette vidéo de quatre minutes, Ahmad al-Kahlout déclare que le site était utilisé par le Hamas comme base de ses opérations et qu’il employait des membres des ailes armées du Hamas et du Djihad islamique.
Le ministère de la santé de Gaza a accusé Israël d’avoir arraché cette confession « via le recours à la force, à la coercition, à la torture et à l’intimidation ».
Le Dr Muhammad Abu Salmiya, le directeur de l’hôpital al-Shifa, qui a été arrêté par Israël en novembre, et été torturé, dit-on, après avoir refusé de paraître dans une vidéo d’aveux forcés. On lui a brisé les mains et les pieds à plusieurs reprises, le laissant incapable de marcher ou de se tenir debout, a rapporté Al-Araby al-Jadeed, en citant la famille du médecin.
« Pour l’humilier davantage encore, ils lui ont passé une chaîne autour du cou, l’ont forcé à se déplacer à quatre pattes et à manger dans une écuelle placée à même le sol »,
a rapporté la même publication.
Entre-temps, des détenus relâchés ont déclaré qu’Israël brutalisait les employés de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, afin de leur arracher des confessions forcées.
Israël cherche à détruire l’UNRWA. L’agence est la plus importante source d’aide humanitaire à Gaza et elle fournit également des services de type gouvernemental à des millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie, au Liban, en Syrie et en Jordanie.
Les membres du personnel de l’UNRWA relâchés des prisons israéliennes ont déclaré à leur employeur qu’outre des mauvais traitements assimilables à de la torture, ils ont « subi menaces et coercition », et ont été soumis à des pressions lors des interrogatoires qui cherchaient à incriminer l’agence.
Ces « confessions forcées contre l’agence disaient également que celle-ci avait des liens avec le Hamas et que des membres de son personnel avaient participé aux attaques du 7 octobre contre Israël ».
L’UNRWA a rassemblé des informations auprès de centaines de Palestiniens qui ont été arrêtés à Gaza depuis le début de l’opération terrestre d’Israël, fin octobre de l’an dernier.
Les autorités israéliennes ont soumis des Palestiniens – « hommes et femmes, enfants, personnes âgées et personnes handicapées », selon l’UNRWA – à de mauvais traitements tout au long de leur détention, y compris des violences sexuelles et des menaces de violence sexuelle.
Le personnel de l’UNRWA a observé « des signes de traumatismes et de mauvais traitements », y compris des morsures de chien, chez les détenus relâchés lors de leur arrivée au check-point de Kerem Shalom, à la frontière entre Gaza et Israël. Un grand nombre de ces personnes ont été transférées vers les hôpitaux de Gaza en raison de leurs blessures ou de leurs maladies.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié 4 mai 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine