« Nous luttons pour notre existence »

17 décembre 2023. À Nuseirat (Gaza), les Palestiniens tentent de poursuivre leur existence quotidienne malgré les attaques israéliennes.

17 décembre 2023. À Nuseirat (Gaza), les Palestiniens tentent de poursuivre leur existence quotidienne malgré les attaques israéliennes. (Photo : Bashar Taleb / APA images)

 

Abubaker Abed, 20 décembre 2023

Voilà plus de deux mois que Muhammad Awad, 33 ans, n’a plus perçu de salaire.

Le designer graphique free-lance travaillait à distance, mais l’entreprise l’a laissé tomber peu après qu’Israël s’est lancé dans sa guerre contre la bande de Gaza.

« L’entreprise m’a dit : ‘Si vous n’avez pas de connexion internet, nous devons vous relever de vos fonctions’ »,

a expliqué Awad.

« Ma famille et moi-même vivons désormais sur mes économies. Ce serait un désastre si je n’avais rien mis de côté. »

Awad et sa famille ont été forcés d’évacuer Gaza en raison des frappes aériennes. Ils ont cherché refuge à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, chez le père de sa femme.

Naguère, Awad se sentait relativement à l’abri, dans sa carrière. Chaque mois, il éprouvait un sentiment d’accomplissement, quand il retirait de l’argent de la banque afin d’assurer la subsistance de sa famille.

« Tout ça, désormais, c’est du passé. Ça n’existe plus »,

dit-il.

« C’est si douloureux ! »

Depuis cinq ans, il économisait pour acheter une maison.

« Mon rêve de posséder une maison s’en est allé »,

dit-il.

Il est reconnaissant, toutefois, qu’ils aient eu un endroit où se réfugier lors des incessants bombardements israéliens.

« Sans mon beau-père, j’aurais dépensé deux fois plus que normalement. »

 

Free-lance à Gaza

Awad est l’un des 12 000 free-lances au moins qui vivent dans la bande de Gaza. Pour gagner leur vie, la plupart de ces free-lances travaillent à distance sur internet.

Malheureusement, les blackouts des communications à Gaza sont une constante, depuis le 7 octobre, puisque, délibérément, Israël détruit les réseaux de communication et bombarde les infrastructures primordiales.

Le manque d’internet a affecté toute la bande de Gaza et, en particulier, ses free-lances.

En comparaison avec de nombreux travailleurs à Gaza, qui gagnent en moyenne entre 300 et 500 dollars par mois, les free-lances peuvent espérer un peu partout entre 600 et 1 500 dollars par mois.

Nombre de ces free-lances sont des diplômés universitaires travaillant dans les domaines de la programmation informatique, de la création de sites web, de la traduction et du journalisme.

L’organisation Gaza Sky Geeks facilite maintes opportunités pour des free-lances, comme c’est également le cas pour le Business and Technology Incubator (Incubateur d’entreprises et de technologies) à l’Université islamique de Gaza.

Hélas, ces deux organisations ont fermé leurs portes en raison de la guerre d’Israël contre Gaza, et le gagne-pain des free-lances gazaouis est en danger.

 

La vie devient de plus en plus dure

Avant la guerre, Maysoun al-Ramlawi, 39 ans, gagnait sa vie comme designeuse graphique free-lance travaillant à distance.

Sa famille comptait à la fois sur son revenu et sur celui de son mari, mais ni l’un ni l’autre désormais ne rentrent encore de l’argent.

« Nous n’avons pas d’autre choix que de quitter notre maison [dans le nord de Gaza] »,

dit-elle.

« Nous vivons désormais dans la maison de mon oncle [à Deir al-Balah]. »

Comme la situation financière de sa famille se détériore, elle est très inquiète à propos de ses cinq enfants. Elle dit que les rentrées de sa famille ne suffisaient déjà pas avant la guerre.

« Désormais, nous luttons pour notre existence »,

dit-elle.

« La vie devient de plus en plus dure. J’espère que cette guerre ne va pas se poursuivre, parce que nous pourrions bien pleurer pour de la nourriture et de l’eau d’ici quelques jours à peine. »

Même les gens qui comptaient sur des formes plus traditionnelles de revenu luttent désormais pour gagner de l’argent, à Gaza.

Mahmoud Abu Khdair, un vendeur de fruits et légumes, n’en croit pas ses yeux de ce qu’est devenue son existence.

Avec sa famille, il a fui le nord de Gaza pour la ville de Rafah, dans le sud. Il est passé du statut de marchand bien connu à celui de quelqu’un qui doit lutter pour trouver ne serait-ce qu’une tomate.

« Dans les premières semaines, après le 7 octobre, je me débrouillais toujours bien, surtout dans les marchés ouverts »,

dit-il.

« C’était en quelque sorte une belle vie, une vie normale. »

Tout a changé après que l’armée d’occupation israélienne a obligé le nord d’évacuer.

« J’ai fait mes bagages et j’ai pris les choses les plus nécessaires pour m’en aller à Rafah »,

dit-il.

« Maintenant, je n’ai plus rien, ni ma maison, ni mon commerce. »

Il se demande quand la vie reviendra à la normale et s’il sera un jour en mesure de reconstruire sa vie. Il a l’impression que son existence s’est amoindrie.

Il veut mener une vie libre de toute crainte de famine ou de bombardements.

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Abubaker Abed est journaliste et traducteur. Il est originaire du camp de réfugiés de Deir al-Balah, à Gaza.

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Publié le 20 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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