La CPI n’a pas la moindre preuve de viol le 7 octobre, d’après les documents
Il y a bien des aspects frustrants dans l’annonce ce lundi par Karim Khan, le procureur principal de la Cour pénale internationale (CPI), disant qu’il cherche des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, son ministre de la Défense Yoav Gallant et trois dirigeants du Hamas, le mouvement de résistance palestinien.
Ali Abunimah, 21 mai 2024
Le fait qu’il accuse les dirigeants d’une résistance légitime contre une occupation militaire et qu’il les fourre dans le même sac que les hauts responsables d’un régime criminel qui perpètre un génocide est déjà passablement contestable. Ce thème a d’ailleurs été examiné dans un excellent commentaire sur les accusations livré par Justin Podur sur son canal YouTube The Anti-Empire Project.
Il est particulièrement bizarre que Khan accuse Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas et par ailleurs dirigeant politique civil qui n’a presque certainement pas le moindre rôle dans la planification de l’opération de résistance du 7 octobre.
Cela ne peut que viser à délégitimer le Hamas en suivant la même ligne que les impératifs politiques occidentaux. Cela peut toutefois entraver le rôle constructif de Haniyeh en tant qu’interlocuteur et médiateur dans les efforts en vue de négocier un cessez-le-feu, ce que le Hamas tente de faire, face à la constante politique israélienne du rejet appuyée par les EU.
Mais le fait que Khan a accusé Haniyeh, en même temps que le dirigeant du Hamas à Gaza Yahya Sinwar et son commandant militaire Muhammad Deif, de violence sexuelle et de viol est absurde.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une accusation, le fait que le procureur de la CPI cherche des charges officielles ajoute du poids et de la crédibilité aux allégations et alimentera donc la notion selon laquelle il y a un certain fondement factuel dans la propagande israélienne sur les atrocités – complètement démystifiée – à propos du recours par le Hamas au viol et à la violence sexuelle en tant qu’arme de guerre.
Que dit Khan ?
En fait, et l’annonce de Khan et un rapport en provenance d’un panel consultatif d’experts juridiques internationaux réunis par le procureur principal indiquent que Khan n’a découvert à propos d’attaques de ce genre, le 7 octobre, aucune preuve sur laquelle faire reposer la moindre de ses accusations.
Les accusations de Khan contre les dirigeants du Hamas incluent
« viol et autres actes de violence sexuelle en tant que crimes contre l’humanité, en infraction à l’article 7(1)(g) [du Statut de Rome de fondation de la CPI], et aussi en tant que crimes de guerre conformément à l’article 8(2)(e)(vi) dans un contexte de captivité ».
Accordez toute votre attention aux mots sur lesquels j’ai insisté dans les textes que je cite.
Un peu plus tard dans son annonce, Khan affirme qu’
« il y a des bases raisonnables de croire que les otages capturés par Israël ont été gardés dans des conditions inhumaines et que certains ont fait l’objet de violences sexuelles, y compris de viols, alors qu’ils étaient en captivité. Nous en sommes arrivés à cette conclusion en nous appuyant sur des rapports médicaux, sur une vidéo prise au moment des faits et sur des preuves documentaires, ainsi que sur des interviews de victimes et de survivants ».
Khan ajoute alors :
« Mon bureau continue également d’examiner des rapports de violences sexuelles commises le 7 octobre. »
C’est tout ce qu’il dit à propos du viol et de la violence sexuelle.
Le rapport du panel d’experts de la CPI contient un seul paragraphe mentionnant le viol et la violence sexuelle et qui utilise un langage très similaire.
Le rapport dit, concernant les trois dirigeants du Hamas, que le procureur principal
« cherche à les accuser des crimes de guerre que sont le viol et d’autres formes de violence sexuelle, de torture, de traitements cruels et d’outrages à la dignité humaine, ainsi que des crimes contre l’humanité que sont le viol et d’autres formes de violence sexuelle, de torture et d’autres actes inhumains pour des faits commis contre les otages israéliens alors qu’ils étaient en captivité. Le panel fait remarquer l’affirmation du procureur disant que ses investigations se poursuivent, y compris en relation avec les preuves de violences sexuelles le 7 octobre même ».
Pas la moindre preuve, à propos du 7 octobre
Que convient-il de faire remarquer, ici ?
Primo, les accusations de viol et de violence sexuelle se rapportent uniquement à de tels crimes supposés commis après le 7 octobre sur des personnes en captivité et non le 7 octobre dans le cadre de l’un ou l’autre plan systématique.
Secundo, l’affirmation de Khan selon laquelle son bureau « continue également d’examiner des rapports de violences sexuelles commises le 7 octobre » peut être interprétée comme une confirmation de ce que de tels examens doivent encore apporter l’une ou l’autre preuve qu’il considère comme étant à même d’étayer les accusations.
Mais cela signifie-t-il que Khan détient suffisamment de preuves de viols et de violences sexuelles sur les Israéliens en captivité pour justifier des accusations contre les dirigeants du Hamas ?
Manifestement, nous n’avons pas vu toutes les preuves que Khan prétend détenir mais, malgré cela, nous pouvons estimer avec assez de confiance qu’il n’en détient pas.
Depuis sept mois, Israël s’est engagé dans une campagne de propagande prétendument sans faille afin de faire valoir ses allégations de viol le 7 octobre. Non seulement il n’est pas parvenu à identifier une seule victime ou témoin oculaire crédible des viols du 7 octobre, mais aucune de ses allégations à propos de la violence sexuelle ce jour-là n’a résisté aux examens.
Même l’organisation Physicians for Human Rights – Israel (PHR-I, Médecins pour les droits humains – Israël) a dû démentir les fausses allégations qu’elle avait contribué à faire diffuser par Israël – dans une tentative de la part d’une organisation jadis respectée des droits humains de sauvegarder la crédibilité qu’elle a peut-être fatalement ébranlée en abondant dans le sens de la propagande sur les atrocités.
Glisser l’attention sur les captifs
Ainsi donc, avec la mise en pièces des allégations de viol le 7 octobre, les propagandistes israéliens devaient se rencontrer sur des accusations disant que des viols et des actes de violence sexuelle avaient eu lieu sur les otages en captivité.
Par exemple, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Gilad Erdan, s’est récemment déchaîné au sein de l’institution mondiale en affirmant que
« le Conseil de sécurité et l’ONU n’ont rien fait pour libérer les otages qui sont soumis à des viols et à des tortures ».
Et c’est devenu un thème central du récent film de propagande, Screams Before Silence (Des cris avant le silence), accompagné de la narration de l’ancienne directrice exécutive de Facebook, la milliardaire Sheryl Sandberg.
Nous avons examiné de près ce film et avons prouvé à quel point tout ce qu’il dit est faux dans un tout récent épisode du livestream de The Electronic Intifada.
Dans notre extrait, nous nous sommes également penchés sur les seules allégations spécifiques de violence sexuelle d’une personne en captivité, celles de la captive israélienne Amit Soussana. Ses allégations sont largement mises en évidence dans le film de Sandberg.
Dans sa déclaration de lundi, le procureur Khan de la CPI ne mentionne pas nommément Soussana ni aucune autre victime, mais puisqu’elle est la seule personne à avoir été identifiée en tant que victime de l’une ou l’autre agression sexuelle supposée, il est raisonnable de présumer que son cas fait partie du dossier du procureur.
La seule victime supposée jusqu’à présent
Débutant fin mars, l’histoire de Soussana a subi une promotion intense de la part du New York Times et de l’appareil de propagande du gouvernement israélien dans ce qui s’avère avoir été une campagne coordonnée en vue de remettre au centre de l’attention et de raviver le discours discrédité de la violence sexuelle.
Dans le film de Sandberg, Soussana décrit une expérience angoissante, celle dont elle avait parlé en mars, dans le New York Times.
Soussana ne prétend pas qu’elle a subi une agression sexuelle le 7 octobre. Elle prétend que, durant sa détention à Gaza, l’un de ses gardiens, à qui elle donne le nom de Muhammad, l’a forcée en une occasion à accomplir un acte sexuel non spécifié.
Soussana n’a révélé publiquement cette histoire que des mois après son retour de Gaza et dans le contexte d’une campagne médiatique impliquant le New York Times, le film de Sandberg et le gouvernement israélien.
La première fois qu’elle s’est adressée aux médias, en janvier, Soussana n’a nullement fait mention de violence sexuelle. Pas plus qu’aucun.e autre Israélien.ne libéré.e de Gaza n’a affirmé avoir été agressé.e de façon similaire.
Soussana ne prétend pas qu’il y a eu des témoins de ce qu’elle a vécu à Gaza, de sorte qu’il est impossible de vérifier ou d’écarter totalement son affirmation – pas plus qu’il n’est nécessaire de le faire dans le but d’évaluer les accusations de Khan à l’encontre des dirigeants du Hamas.
Le point important est que, même si nous considérons le récit de Soussana comme entièrement véridique, il ne soutient pas la thèse selon laquelle les dirigeants du Hamas auraient ordonné ou commis
« des viols ou d’autres actes de violence sexuelle en tant que crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre également ».
Soussana décrit un individu qui tire avantage de son pouvoir sur elle dans une situation isolée et en une seule occasion.
Rien dans son récit – une fois encore, même si celui-ci est considéré comme entièrement véridique – ne soutient l’accusation disant qu’il y a eu une campagne de viol massif le 7 octobre ou contre les Israélien.ne.s détenu.e.s en captivité par la suite.
Bien sûr, comme on l’a remarqué, il est possible que Khan dispose d’autres preuves, mais si de telles preuves existaient, Israël les aurait déjà dévoilées sans aucun doute dans le cadre de sa campagne de propagande. Jusqu’à présent, l’histoire de Soussana est son cas le plus interpellant et reste le seul exemple dans lequel l’identité de la victime est déclarée connue.
Entre-temps, Khan a jusqu’à présent ignoré complètement les preuves de plus en plus nombreuses de violence sexuelle israélienne contre les Palestiniens, y compris les récits de première main des victimes.
Tout cela ne manque pas de souligner la nature politique des accusations de Khan contre les dirigeants de la résistance palestinienne, des accusations qui s’avèrent destinées à réduire et étioler l’effet de ses accusations nécessaires, mais tardives et loin d’être suffisantes, contre Netanyahou et Gallant.
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
Publié le 21 mai 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine