L’UE hausse les épaules suite à l’exécution par Israël d’un Palestinien blessé

L’UE se cache habituellement derrière n’importe quel genre de procédure en cours, aussi éculée soit-elle – comme le sempiternel « processus de paix » – afin d’éviter de devoir demander des comptes à Israël.

Dimiter Tzantchev, à gauche, porte un toast en compagnie du président israélien Isaac Herzog, après avoir présenté ses lettres de créance en tant que nouvel ambassadeur de l’UE à Tel-Aviv, le 6 décembre dernier. Tzantchev a déclaré qu’il veillerait « à élever nos relations vers de nouveaux sommets ». (Photo : via Facebook)

Dimiter Tzantchev, à gauche, porte un toast en compagnie du président israélien Isaac Herzog, après avoir présenté ses lettres de créance en tant que nouvel ambassadeur de l’UE à Tel-Aviv, le 6 décembre dernier. Tzantchev a déclaré qu’il veillerait « à élever nos relations vers de nouveaux sommets ». (Photo : via Facebook)

Ali Abunimah, 16 décembre 2021

« Je pourrais me trouver au beau milieu de la Cinquième Avenue et abattre quelqu’un et je ne perdrais pas d’électeurs », avait déclaré Donald Trump de façon honteuse en 2016.

Cette vantardise d’un goût plus que douteux tendait à prouver la loyauté de sa base. Un peu plus tard, la même année, il poursuivait sur sa lancée en remportant une victoire électorale de choc.

Si vous remplacez Trump par Israël et les électeurs par les décideurs de l’Union européenne, vos obtenez une description adéquate de la réalité.

Le 4 décembre, paraissait une vidéo poignante montrant deux agents de la police paramilitaire israélienne qui abattaient et tuaient un Palestinien blessé et gisant sur le sol près de la porte de Damas à Jérusalem-Est occupée.

Muhammad Salima, 25 ans, venait d’être filmé en train de poignarder un civil israélien juif, quelques instants à peine avant sa propre exécution. Mais il était déjà neutralisé et ne posait plus de menace immédiate quand les agents lui avaient tiré dessus, apparemment pour « confirmer la destruction de l’objectif », comme le montre la vidéo prise par des témoins oculaires.

À ce moment, il aurait dû être arrêté et aurait dû recevoir des soins médicaux.

En lieu et place, pour reprendre les termes utilisés par l’organisation B’Tselem de défense des droits humains, Salima a été « sommairement exécuté ».

Comme la chose est typique dans de tels cas, les tueurs ont été salués aussitôt comme des héros par les principaux dirigeants israéliens qui, depuis longtemps, préconisent une politique du « tirer-pour-tuer » contre les Palestiniens.

« Voilà comment on attend de nos forces qu’elles agissent et c’est précisément ainsi qu’elles ont agi », a déclaré le Premier ministre Naftali Bennett.

Le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, toutefois, a aussitôt déclaré qu’il avait été « choqué par cette exécution extrajudiciaire apparente » de Salima.

« Les homicides extrajudiciaires comme celui-ci sont la conséquence du recours régulier à la force meurtrière contre les Palestiniens par le personnel sécuritaire israélien bien armé et bien protégé et de l’absence quasi-totale de responsabilisation dans les meurtres et blessures infligés aux Palestiniens par les forces israéliennes »,

a ajouté l’ONU.

Même l’Union européenne – typiquement peu encline à émettre ne serait-ce que les plus légères des critiques à l’égard d’Israël – n’a pu rester silencieuse.

Sa mission à Jérusalem-Est occupée a déclaré que « des mesures qui pourraient sembler équivaloir à des exécutions extrajudiciaires » étaient « inacceptables ».

« Il convient d’enquêter rapidement sur cet incident et en établir une responsabilisation complète »,

a ajouté la mission de l’UE.

Ce qui s’est passé ensuite a certainement été rapide : Moins d’une semaine après l’homicide, le procureur de l’État israélien a complètement exonéré les deux agents. Il a clôturé l’affaire, déclarant que les agents disposaient d’une « justification légale » de l’homicide.

Comme si cela ne suffisait pas, les plus hauts responsables de la police israélienne ont annoncé que les deux agents qui avaient tué Salima recevraient une récompense.

Il n’y a là rien de surprenant.

B’Tselem décrit depuis longtemps ces enquêtes israéliennes comme des feuilles de vigne.

Tout en garantissant l’impunité, elles sont destinées à donner l’apparence d’un processus judiciaire fonctionnant dans l’intention de tenter de se débarrasser de la Cour pénale internationale (CPI).

La CPI n’intervient que dans des situations où les autorités judiciaires domestiques ne veulent pas ou sont incapables d’appliquer une justice impartiale.

 

Comment l’UE recourt à des paravents

Le 9 décembre, j’ai adressé une lettre à l’UE afin de demander si la conclusion de l’enquête équivalait à la « pleine responsabilisation » qu’elle avait exigée.

Le 14 décembre, j’ai finalement reçu une réponse de Peter Stano, le principal porte-parole de la politique étrangère de l’UE.

Elle était aussi évasive que possible : « Nous suivons les développements et sommes également en contact avec les autorités israéliennes. »

J’ai été passablement surpris. Du fait que l’affaire était close en ce qui concerne Israël, quels sont ces « développements » que l’UE prétend suivre ? Une demande additionnelle n’a suscité aucune réponse de la part de Bruxelles.

L’UE se cache habituellement derrière n’importe quel genre de procédure en cours, aussi éculée soit-elle – comme le sempiternel « processus de paix » – afin d’éviter de devoir demander des comptes à Israël.

Il y a toujours quelque chose d’autre à attendre, toujours une excuse pour ne pas dire ou faire quelque chose en ce moment même.

Mais cette excuse ne tient pas la route, dans l’exécution de Salima, puisque l’affaire est close.

Ainsi donc, le message de Bruxelles est clair : L’Union européenne est heureuse de voir Israël exécuter sommairement des Palestiniens et ensuite passer au blanchiment du crime.

Bien sûr, cela n’empêche pas les hauts responsables de l’UE de se vanter de leur supposé « soutien indéfectible des droits humains ».

 

Israël reçoit d’autres récompenses encore de Bruxelles

La réalité, toutefois, c’est que l’Union européenne galvaude une grande partie de son énergie à soutenir de grossiers violeurs des droits humains, et tout particulièrement Israël – et ce simple fait suscite le dégoût sur tout le continent.

Mercredi, des dizaines de membres du Parlement européen ont adressé une lettre au haut responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, pour exiger de lui qu’il gèle l’inclusion d’Israël au sein de Horizon Europe.

Ce programme de financement « scientifique » – le successeur d’Horizon 2020 auquel Israël a d’ailleurs également participé – conférera à l’industrie de guerre de Tel-Aviv un accès continu aux plantureux subsides de l’UE.

« La vision d’Horizon Europe consiste à créer ‘un avenir durable, juste et prospère pour les humains et une planète s’appuyant sur les valeurs européennes’ »,

déclarent les membres du Parlement européen.

« Néanmoins, les actes inhumains d’Israël visant des Palestiniens ont été caractérisés par des experts internationaux et européens comme équivalant, au niveau international, à des actes illicites d’apartheid et de persécution »,

ajoutent les députés européens.

Ils déclarent que les pays tiers ont l’obligation de mettre un terme à de tels actes.

On assiste dans toute l’Europe à un tollé croissant contre la complicité de l’UE dans les crimes israéliens.

Un peu plus tôt, ce mois-ci, près de 400 députés du Parlement européen et d’autres parlements nationaux ont écrit à Borrell pour exiger que l’UE

« entreprenne des démarches immédiates et concrètes en vue d’empêcher l’expulsion et le transfert possible de familles palestiniennes, particulièrement à Jérusalem-Est ».

Les députés font savoir que ces faits se passent dans le contexte de l’« apartheid » imposé par Israël.

« Nous ne ressentons pas la nécessité… »

Les membres du Parlement européen qui ont écrit à Borrell pour protester contre l’inclusion d’Israël dans Horizon Europe citent également la désignation par Israël, en octobre dernier, de six organisations palestiniennes des droits humains comme organisations « terroristes ».

Dans une lettre commune du mois dernier, plus de 100 syndicats, partis politiques et organisations pour les droits humains ont accusé l’EU de ne pas en faire assez pour défendre les organisations palestiniennes – dont plusieurs sont financées par l’UE ou par ses États membres.

Ils ont exigé que l’UE « rejette clairement les allégations israéliennes et qu’elles remettent en question leur légitimité », entre autres mesures destinées à réclamer des comptes à Israël.

Jusqu’à présent, toutefois, l’Union européenne n’a pas condamné l’attaque sans fondement ni motivation politique d’Israël contre les organisations palestiniennes.

Et ce, malgré le fait que le gouvernement irlandais a publiquement reconnu qu’Israël n’avait fourni aucune preuve crédible.

Au début de ce mois, neuf rapporteurs spéciaux des Nations unies – des experts indépendants désignés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU – ont écrit à Borrell d’insister auprès de l’UE pour qu’elle exige qu’Israël présente des preuves « dans un bref laps de temps bien défini » ou que, dans le cas contraire, il retire ses allégations et revienne sur ces accusations de « terrorisme ».

La semaine dernière, j’ai demandé à l’UE si elle avait finalement conclu son examen à tête reposée des allégations israéliennes.

Une fois encore, l’UE a choisi de se retrancher derrière un processus toujours en cours.

« Nous ne ressentons pas la nécessité de fournir un commentaire détaillé de tous les stades de nos contacts en cours avec nos partenaires »,

a écrit le porte-parole des Affaires étrangères de l’UE ce mardi.

« Lorsque nous aurons quelque chose à partager publiquement, nous le ferons. »

Dans l’intervalle – aussi long puisse-t-il être – Israël continue à récolter des récompenses politiques, financières et militaires de la part de l’Union européenne et de ses États membres.

Israël, à l’instar de Donald Trump, sait qu’il peut commettre toutes les atrocités qui lui semblent bonnes contre les Palestiniens, sans jamais perdre la loyauté de la classe politique siégeant à Bruxelles.

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Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

 

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Publié le 16 décembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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