Israël coupable de « nécro-violence » sur les corps des Palestiniens

L’utilisation par Israël de la « nécro-violence » sur les corps de Palestiniens dans le cadre de sa politique visant à exercer un contrôle accru sur les personnes vivant dans les territoires occupés, a été vivement condamnée. 

Mirvat al-Naem, la mère de Mohammad, pleure la mort de son fils et demande la restitution de sa dépouille.

Mirvat al-Naem, la mère de Mohammad, pleure la mort de son fils et demande la restitution de sa dépouille. « N’est-ce pas assez horrible qu’ils aient tué mon garçon ? Ce qu’ils ont fait est un grand crime contre l’humanité » – Photo : Walid Mahmoud/Al Jazeera

Lina Alsaafin

Dimanche, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux montrait un bulldozer israélien ramasser brutalement le corps d’un Palestinien qui avait été tué par les forces israéliennes à l’est de Khan Younis dans la partie sud de la Bande de Gaza.

Les autorités israéliennes ont prétendu que l’homme, identifié comme étant Mohammed Ali al-Naim, âgé de 27 ans, membre du mouvement du Jihad islamique palestinien (JIP), tentait de déposer un engin explosif à proximité de la clôture israélienne.

Sur la vidéo, on voit un groupe de Palestiniens avancer en courant poussant une brouette pour tenter d’éloigner de la clôture le corps d’al-Naim, ainsi qu’un autre homme blessé, mais ils étaient eux aussi la cible des soldats israéliens.

Deux hommes au moins ont été touchés aux jambes, d’après le ministère de la santé de Gaza.

Muthana al-Najjar, le journaliste qui a filmé la vidéo, a dit que le bulldozer israélien, qui était accompagné d’un char Merkava, a roulé sur le corps d’al-Naim et essayé à plusieurs reprises de le ramasser avec sa lame avant de l’emporter, ce dernier pendant sur le bord de la lame, du côté de la clôture de séparation.

« Profaner la dépouille d’un jeune homme non armé à la limite de la Bande de Gaza devant les caméras du monde entier est un crime haineux qui vient rallonger la liste des crimes de l’occupation contre notre peuple palestinien, »

a déclaré dans un communiqué de presse Fawzi Barhoum, porte-parole du Hamas qui gouverne la Bande de Gaza.

Selon Budour Hassan, chercheuse en droit pour le Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center (JLAC), cette nécro-violence, l’acte d’humilier des dépouilles humaines, est un moyen d’exercer le contrôle sur le corps des Palestiniens.

« Nous considérons cela comme le prolongement de toute une politique conçue par Israël pour contrôler le corps des Palestiniens, »

a déclaré Mme Hassan à Al Jazeera.

Le mot nécro-violence,

a ajouté Mme Hassan,

a été emprunté au livre de l’anthropologue Jason De Leon, The Land of Open Graves, dans lequel il a forgé le mot pour décrire le mauvais traitement infligé aux corps des migrants qui ont traversé la frontière américaine avec le Mexique.

Mme Hassan a par ailleurs ajouté qu’alors que la profanation de corps de Palestiniens n’était pas exceptionnelle de la part des forces israéliennes, la vidéo de l’incident où elle est perpétrée publiquement est un cas rare.

« Israël se livre à ce type d’humiliation sur des corps secrètement dans des morgues ou dans les cimetières des numéros, »

a-t-elle expliqué, faisant référence aux fosses communes portant des numéros gravés sur des plaques de métal plutôt que des noms.

Les cimetières se trouvent dans des endroits tenus secrets qu’Israël a estimés zones militaires fermées. Certains des corps s’y trouvent depuis la guerre de 1967.

Par ailleurs, l’Institut médico-légal Abu Kabir à Tel Aviv, qui garde les corps de Palestiniens tués lors de prétendues attaques contre des Israéliens, est notoirement connu pour être le lieu où des organes et parties du corps de Palestiniens sont prélevés.

Violence collective
 

D’après le JLAC [Centre d’aide juridique de Jérusalem] et l’ONG Adalah Legal Center for Arab Minority Rights [ Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël ], Israël est le seul pays au monde qui pratique une politique de confiscation de dépouilles humaines, s’appuyant sur des réglementations datant de 1945 (pendant le Mandat britannique) pour justifier cette politique.

En septembre 2019, la Haute Cour israélienne a approuvé la pratique après que plusieurs actions en justice eut été intentées contre l’État. D’après Adalah, le jugement stipulait que les réglementations d’urgence autorisaient l’armée israélienne d’ordonner l’enterrement provisoire de Palestiniens qualifiés d’ennemis

« sur la base de considérations qui prennent en compte la sécurité de l’État, l’ordre civil, et la nécessité de négocier le retour des corps de soldats israéliens ».

Toutefois, le droit international considère que cette pratique est une violation des droits de l’homme. Selon les Conventions de Genève, les parties prenantes d’un conflit ont le devoir d’enterrer les morts d’une façon honorable,

« si possible selon les rites de la religion à laquelle ils appartiennent et de respecter leurs tombes qui doivent être correctement entretenues, et doivent porter une indication permettant qu’elles puissent toujours être identifiées. »

Ramy Abdu, fondateur de l’Euro-Mediterranean Human Rights Monitor, a dit que le fait qu’Israël retiennent les corps de Palestiniens est un acte de violence collective considéré être un crime de guerre.

« Les autorités israéliennes ont à maintes reprises mis en pratique une politique de rétention de dépouilles palestiniennes, ce qui va ouvertement à l’encontre de plusieurs conventions internationales, »

a déclaré M. Abdu à Al Jazeera.

« Des articles des conventions de Genève affirment la nécessité d’enterrer les corps des prisonniers morts ou de ceux qui ont été tués respectueusement en suivant les procédures appropriées à leur culture religieuse, »

a-t-il ajouté.

« Déshumanisation des corps des Palestiniens »
 

D’après le JLAC, les corps de 52 Palestiniens sont détenus par le gouvernement israélien suite à une décision du cabinet de 2016.

18 autres corps ont aussi été détenus par Israël depuis l’offensive israélienne sur la Bande de Gaza en 2014, tandis que les cimetières des numéros contiennent au moins 253 corps.

« Cette politique comporte deux volets, »

dit Mme Hassan.

« L’un est la violence légalisée approuvée par la Haute cour israélienne, et l’autre la violence pratiquée par l’armée israélienne. Les deux suivent le même processus de déshumanisation des corps palestiniens. »

Il est bien connu qu’Israël emploie cette tactique comme levier dans les négociations. En 2012, Israël a libéré les corps de 90 Palestiniens dans un geste visant à relancer les pourparlers de paix. Entre 2013 et 2014, quelques 27 corps ont été restitués.

Parlant de l’incident de dimanche, le ministre de la défense israélienne Naftali Bennett a confirmé que le bulldozer a été utilisé pour « récupérer » le corps de al-Naim.

Il a déclaré que son objectif était de garder les corps de Gaza pour les utiliser comme monnaie d’échange dans les négociations de troc de corps avec les « militants palestiniens », et a dénoncé le tollé suscité par la rétention du corps d’al-Naim comme « critique hypocrite de la gauche ».

« Je soutiens l’IDF qui a tué le terroriste et récupéré le corps, » a-t-il commenté sur twitter. « C’est ainsi que les choses devraient se passer, et c’est ainsi qu’elles se passeront. »

Mme Hassan dit que si les commentaires de N. Bennett ne sont guère surprenants, ils sont intéressants en ce

« qu’ils justifient jusqu’à quel point les Palestiniens sont déshumanisés dans les médias israéliens et par les représentants israéliens, couronnement de tout le système de la nécro-violence exercée sur les Palestiniens. »

Dans une lettre adressée au procureur général de l’armée israélienne, Adalah a demandé qu’une enquête criminelle sur l’incident soit ouverte, et a qualifié le mauvais traitement du corps de violation « flagrante » du droit pénal international, des droits de l’homme, et du droit humanitaire.

« La cour suprême israélienne a similairement reconnu dans des décisions antérieures que les atteintes à la dignité des défunts constituent une violation de la loi fondamentale d’Israël : dignité humaine et liberté, »

a rappelé le centre.

Aida Touma-Sliman, députée palestinienne à la Knesset du Hadash, parti membre de l’alliance Liste unifiée, a qualifié N. Bennett de « ministre de la mort et de la brutalité. »

« Ils volent un corps, le malmènent avec un bulldozer et prétendent toujours que l’armée est la plus morale au monde, »

a-t-elle déclaré.

« Depuis que N. Bennett a pris ses fonctions de ministre de la défense, amasser des corps pour négocier est la politique officielle d’Israël. »

Ofer Cassif, autre député de la Liste unifiée, a qualifié le rapt d’un corps d’ « acte de vampirisme sanguinaire et écœurant. »

« Voici ce que Netanyahu, [Premier Ministre israélien] a à offrir : siège, assassinats et rapt de corps, »

a posté sur twitter Ofer Cassif.

« Il nous faut mettre un terme à leur célébration de la mort. »


Publié le 24 février 2020 sur Al Jazeera
Traduction: Chronique de Palestine – MJB

Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie, est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux États-Unis et en Palestine. Jeune palestinienne , elle écrit pour plusieurs médias palestiniens et arabes – Son compte Twitter :@LinahAlsaafin

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