Mon ami Abdallah était un combattant de la liberté
Quand Muhammad m’avait dit qu’Abdallah était un combattant, j’avais éprouvé de la fierté de voir mon meilleur ami combattre pour libérer notre terre occupée, en dépit des risques graves encourus par sa propre sécurité.

Abdallah al-Khaldi. (Photo : avec l’aimable autorisation de l’auteur)
Khaled Al-Qershali, 3 mars 2025
La première fois que j’ai rencontré Abdallah al-Khaldi, c’était en 2019. J’avais 16 ans.
C’était un matin de décembre et, en compagnie de mon ami Muhammad, je me rendais à l’école, dans le quartier d’al-Nasr, à Gaza.
Il s’est mis à pleuvoir et on aurait dit qu’il s’agissait de la première pluie de l’hiver. Les routes ont vite été inondées et nous rendre à l’école devenait de plus en plus hasardeux.
« Laissons tomber l’école »,
m’a dit Muhammad.
« Viens chez moi, j’ai un truc pour entrer dans ma chambre à l’insu de mes parents. »
J’ai été d’accord. La maison de Muhammad n’était qu’à deux minutes à pied. J’y suis resté jusqu’à ce que la cloche de l’école annonce la fin des cours, puis je suis parti pour rentrer chez moi.
Toutefois, quelques minutes après être sorti de chez Muhammad, il a recommencé à pleuvoir à verse et je me suis abrité sous l’auvent d’un magasin. Je ne savais ni où aller ni que faire.
« Entre »,
m’a dit une voix d’en haut.
« Je vais ouvrir la porte. »
J’ai regardé en l’air pour voir qui parlait et à qui. J’ai vu un garçon que je ne connaissais pas et qui pointait le doigt sur moi.
Il s’est empressé d’ouvrir la porte et m’a demandé de le suivre et de venir m’asseoir dans la chaleur de sa maison familiale jusqu’à ce que la pluie cesse.
Une invitation
Je me suis assis dans la pièce, en me demandant ce que je devais dire. Je n’étais pas très extraverti, à l’époque.
« Merci de m’avoir abrité de cette pluie »,
suis-je parvenu à dire.
« Je m’en irai quand elle s’arrêtera. »
Le garçon, qui m’avait dit qu’il s’appelait Abdallah, m’a regardé en souriant et a dit :
« Tu préfères quoi ? Thé ou café ? »
Je voulais juste m’en aller et je ne voulais pas être une charge. Je l’ai donc remercié de sa proposition et j’ai répondu :
« Rien. »
En riant, il a dit :
« Tu sais quoi ? Je vais nous préparer deux tasses de Nescafé bien chaud. »
Le Nescafé était ma boisson favorite, mais j’ai gardé le silence. Il est sorti alors que je restais dans la pièce.
Quelques minutes plus tard, Abdallah est revenu avec le café et il s’est assis en face de moi. J’étais embarrassé et je ne savais que faire dans la maison de ce garçon un peu étrange. Mais il m’a dit que lui et Muhammad étaient également amis.
Nous avons bavardé un peu pour expliquer comment il se faisait que je connaissais Muhammad. Quand la pluie a cessé, je me suis levé pour m’en aller, je l’ai remercié et lui ai dit que nous devions nous revoir dans de meilleures circonstances.
« Muhammad vient ici ce soir à 6 heures »,
a dit Abdallah.
« Viens, si tu peux »
Je lui ai dit que j’allais faire de mon mieux. En rentrant chez moi, je n’ai cessé de me demander si j’irais chez Abdallah ou pas. Quelques minutes avant 6 heures, j’ai décidé d’y aller.
Muhammad a été surpris. Abdallah lui avait déjà raconté ce qui s’était passé. Mais, sachant que je n’étais pas du tout extraverti, Muhammad ne s’attendait pas à ce que je vienne.
Tous trois, nous avons passé quelque temps à parler de l’école et de nos devoirs à domicile. Puis nous avons décidé de jouer aux cartes et à des jeux informatiques. Après que nous avons observé l’Isha, la dernière prière du soir, Abdallah nous a dit que sa mère nous avait préparé à souper.
Muhammad et moi étions gênés et nous avons dit à Abdallah qu’il ne devait pas se soucier de nous. Il a répondu que ce n’était pas grave et qu’il adorait de bien traiter ses amis.
Une amitié solidaire
Dès ce jour-là, mon amitié avec Abdallah n’a cessé de s’épanouir. Nous nous réunissions chez Abdallah ou chez Muhammad pour jouer et profiter de notre temps.
Abdallah était un an plus jeune que moi. Quand j’ai terminé mes examens de fin d’études secondaires (tawjihi), il a été le premier à me féliciter. Je lui ai dit que je voulais consulter plusieurs universités de Gaza avant de décider dans laquelle je m’inscrirais.
Abdallah m’a répondu joyeusement :
« Je suis libre demain. J’ai envie de t’accompagner ; appelle-moi avant d’y aller. »
Quand Abdallah a dû passer ses examens du tawjihi un an plus tard, je n’ai pas manqué de l’encourager. Chaque fois que j’allais chez lui, je le faisais étudier. Il m’avait demandé des leçons d’anglais, puisque j’étudiais la langue anglaise avec une spécialisation en littérature. J’étais on ne peut plus heureux de pouvoir l’aider.
J’ai été la première personne à féliciter Abdallah quand il a eu son diplôme. Il s’est inscrit à l’Université ouverte Al-Quds pour étudier le marketing digital, une branche qui n’était pas disponible à l’Université islamique où j’achevais mes études.
Abdallah avait un cours d’anglais, dans son premier semestre. J’étais occupé par mes études, mais je faisais de mon mieux pour l’aider en grammaire et en vocabulaire. Parfois, il me proposait de me payer les leçons, mais je refusais chaque fois.
Perte de contact
Le 7 octobre 2023, quand la Résistance palestinienne a lancé l’opération Déluge d’al-Aqsa, j’ai contacté tous mes amis pour m’enquérir d’eux.
Abdallah a été l’un des rares à ne pas répondre. Jamais plus je ne devais lui parler.
Moins d’une semaine plus tard, ma famille et moi avons été contraints de fuir vers le sud de Gaza. J’ai appelé Muhammad et lui ai demandé de se renseigner dans le quartier à propos d’Abdallah.
Il m’a répondu que la famille d’Abdallah s’était rendue dans un quartier plus sûr de Gaza, mais que notre ami ne l’avait pas accompagnée.
Comme ils étaient voisins, Muhammad connaissait Abdallah mieux que je ne le connaissais moi-même.
Du fait que je ne cessais de lui poser des questions à propos de notre ami, Muhammad a fini par me dire qu’il combattait au sein de la Résistance, ce qui voulait dire qu’il ne pouvait quitter la zone ni avoir de contact avec qui que ce soit.
Quand il m’a dit ça, j’ai eu la chair de poule sur tout le corps. Quand je lui ai posé la question, Muhammad m’a répondu que, pour autant qu’il sache, Abdallah était toujours en vie.
J’ai prié pour lui et j’ai demandé à Muhammad de rester en sécurité.
Un mois plus tard environ, le 24 novembre, Muhammad m’a appelé.
« Khaled, Abdallah est devenu martyr. Puisse Dieu avoir pitié de lui »,
m’a-t-il dit en sanglotant.
Je ne voulais pas le croire, et j’ai donc raccroché. Je voulais rester dans une réalité dans laquelle Abdallah et les quelques personnes dont je me soucie et que j’aime sont toujours en vie.
Quelques heures plus tard, j’ai reçu un autre coup de fil, m’informant cette fois qu’un autre de mes amis très chers, Mohammed Hamo, avait été tué au cours d’une autre frappe de l’aviation israélienne.
J’ai également refusé de croire cette nouvelle.
J’ai essayé de me convaincre qu’Abdallah et Mohammed Hamo étaient toujours en vie. Mais l’illusion a finalement volé en éclats quand j’ai été informé que le père d’Abdallah avait retrouvé le corps de son fils au camp de réfugiés « Beach Camp ».
Les larmes se sont mises à couler quand la réalité a fini par me plonger dans l’un des pires jours de ma vie.
Quand Muhammad m’avait dit qu’Abdallah était un combattant, j’avais éprouvé de la fierté de voir mon meilleur ami combattre pour libérer notre terre occupée – en dépit des risques graves encourus par sa propre sécurité. Et, en effet, Abdallah était courageux.
Il se peut que je ne sois pas aussi courageux qu’Abdallah, qui portait une arme afin de combattre l’occupation israélienne sur le terrain.
Mais, comme le Dr Refaat (*) nous l’avait enseigné, je peux être un combattant de la liberté et défendre la Palestine et écrivant et en racontant l’histoire de notre cause, de notre terre, de nos martyrs – et celle d’Abdallah.

Abdallah a été enterré dans la tombe de son grand-père. (Photo : Khaled Al-Qershali)
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Khaled Al-Qershali est écrivain et traducteur.
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(*) Vous trouverez tous les articles de et concernant Refaat Alareer, publiés sur ce site, ICI
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Publié le 3 mars 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine