Assemblée des actionnaires de Dexia : Dehaene s’énverve

L’organisation d’une manifestation de rue dont on ne choisit ni la date, puisque c’est l’assemblée des actionnaires de DEXIA qui décide de l’agenda (en l’occurrence un pluvieux mercredi de printemps en pleine journée, à la veille d’un week-end de quatre jours) ni le lieu (déplacé tardivement à la “demande” de la police), n’est pas une sinécure. Pas non plus un pari facile et gagné d’avance.

 

En modifiant, pour des raisons d’ordre public bien entendu, le lieu de départ de la manifestation (initialement prévu rue Neuve, en plein centre commercial), la police en a évidemment aussi modifié le trajet, de sorte que les manifestants, de la gare centrale au siège de Dexia (Bd Pacheco) ont défilé sous les fenêtres de la Banque nationale et face au fantôme à l’abandon de la “Cité administrative de l’État”… un quartier désert et sans vie…

La manifestation, il faut en convenir, si elle n’a pas été un échec n’a donc pas non plus été un énorme succès, même si pour ce qui concerne la Plate-forme Charleroi-Palestine nous pouvons nous réjouir de l’arrivée récente de jeunes et dynamiques militants qui “en veulent” et dont plusieurs étaient présents pour brandir très haut la banderole que nous avons fait confectionner il y a quelques jours et qui nous a assuré une visibilité certaine.

Grâce à la “Plate-forme Dexia”, il y avait aussi une bonne vingtaine “d’infiltrés” au sein même de l’assemblée des actionnaires de DEXIA, dans l’auditorium auquel on accède par le “Passage 44” (boulevard du Jardin Botanique, axe stratégique sur lequel il n’est évidemment pas question de manifester sans paralyser une bonne partie de la ville).

L’univers feutré des actionnaires

Une assemblée d’actionnaires constitue, pour presque tous ces “infiltrés”, un univers totalement étranger, et à bien des égards étrange. Il faut bien dire aussi que, dans une entreprise bancaire comme Dexia, c’est un rituel qui, pour être imposé par la loi, n’a pas énormément de sens, dans la mesure où la répartition du capital  assure un actionnariat stable et où les “petits porteurs” – qu’ils soient des investisseurs “sérieux” ou des trublions comme nos “infiltrés” pro-palestiniens – ne sont que des moucherons insignifiants.

Il y a en effet actuellement 1,76 milliard d’actions DEXIA en circulation [1], et la plupart des “infiltrés” (dont le but n’était évidemment pas d’apporter leurs économies à DEXIA, dont ils dénoncent les agissements) en détenaient… une.

Ces assemblées constituent des cérémonies au cours desquelles les dirigeants de la banque viennent théoriquement rendre des comptes aux actionnaires, grands et petits. Les “grands”, bien entendu, n’ont pas attendu ce rendez-vous annuel pour s’informer, ils sont associés à la gestion et leur vote est acquis d’avance.

Quant aux “petits”, pour la plupart ils ne sont pas là. La salle où se déroule l’assemblée ne contient pas plus de monde que le cortège des manifestants à l’extérieur.

L’assistance est massivement masculine, avec une forte proportion de quinquagénaires (au moins) au crâne dégarni.  Plus d’un, c’est un classique dans toutes les assemblées des sociétés cotées en Bourse, n’est là que pour passer le temps et se faire offrir à boire et de quoi grignoter, champagne tiède et petits fours… Quelques uns posent des questions sur des détails, tentent de prendre en défaut le réviseur ou s’indignent de l’énormité des “bonus” accordés à l’administrateur-délégué français, Pierre Mariani, qui en plus de ses 1.000.000 € de salaire annuel percevra un total de 800.000 € de bonus pour l’année 2009 [2].

Au début de l’assemblée, dans un cadre feutré et high-tech à la fois, Jean-Luc Dehaene, président du C.A. [3], puis Pierre Mariani, lisent leur rapport sur la marche des affaires de Dexia, les options stratégiques, la compression des coûts, les négociations avec la Commission européenne et les États (France, Belgique, G-D de Luxembourg), le redressement des bénéfices,… En résumé, ils sont contents, les affaires reprennent…

A noter que le groupe Dexia [4] a pris l’engagement vis-à-vis de la Commission Européenne, de réduire fortement sa taille et de “sortir des territoires et des activités non stratégiques”. D’où il peut se déduire que, puisqu’il n’est pas jusqu’à présent question que Dexia quitte Israël, ce territoire est considéré comme “stratégique”, quoique Dexia-Israël représente très très peu de choses dans le bilan du groupe.

Pendant cet exposé, plusieurs de mes voisins dans la salle se sont endormis. Le monsieur en costume-trois-pièces bleu strict, qui somnole à ma gauche avec “Gazet van Antwerpen” sur les genoux, grogne de temps en temps, remet machinalement en place ses lunettes qui glissent obstinément vers le bout de son nez, et se rendort… Pendant que Mariani parle, Dehaene lui-même, semble tenté de piquer du nez un bref instant. Un trop copieux déjeuner avant l’assemblée, peut-être ?

Question time : DEXIA exercerait des représailles
contre des communes opposées à sa complicité avec la colonisation

Vient le moment où les actionnaires peuvent poser des questions. En fait, la plupart des questions, comme le prévoit la procédure, ont été transmises depuis au moins huit jours par écrit au Président du C.A., Jean-Luc Dehaene.

D’emblée, Dehaene se dit “étonné” d’avoir reçu “beaucoup de courrier” d’actionnaires à propos de l’activité de Dexia en Israël, car – dit-il – “il n’y a rien de nouveau”. Il réaffirme tout d’abord que Dexia-Israël “agit aussi bien au bénéfice des municipalités israéliennes que des municipalités arabes”, et précise que celles-ci “s’en félicitent”. On relève quand même qu’alors que si la population arabe et la population juive israélienne représentent grosso-modo chacune 50% de la population de la “Palestine historique”, ce que J-L Dehaene appelle “les municipalités arabes” ne bénéficieraient que de moins de 10% des prêts accordés par Dexia-Israël. Pas vraiment de quoi se présenter comme des promoteurs de l’égalité entre les deux populations, donc…

Le président de Dexia poursuit en rappelant que la direction du groupe a “clairement dit depuis septembre 2008, et même en fait depuis juin 2008, qu’aucun nouvel engagement de crédit n’est consenti par rapport aux colonies” israéliennes. “En ce qui concerne les engagements pris dans le passé, il n’est pas commercialement possible d’y mettre fin, et donc nous respectons les engagements pris mais il y a déjà une forte réduction de l’en-cours des prêts : de juin 2008 à ce jour la réduction est de 41%”.

J-L Dehaene confirme qu’il n’y “plus aucun engagement nouveau, et qu’on est donc dans une stratégie d’extinction progressive”.

Ces propos relativement lénifiants ne convainquent guère.

Le bourgmestre de Viroinval, M. Bruno Buchet, le premier, prend la parole et fait état des informations reçues par la “Plate-forme Palestine occupée –  Dexia impliquée” avec l’aide de l’organisation israélienne « Who profits » selon lesquelles Dexia-Israël a encore accordé au moins un prêt, en mai 2009, à une colonie juive.

Réponse de Dehaene : “si vous avez des informations précises, et des preuves, il faut nous les transmettre, ce sera examiné ”.

Le bourgmestre de Viroinval – dont la commune, comme une trentaine d’autres à ce jour, a adopté une motion contre la complicité de DEXIA avec la colonisation de la Palestine – s’interroge alors à haute voix sur des mesures de rétorsion que DEXIA semble avoir prises. En effet, dit-il, des associations de sa commune qui se sont adressées à DEXIA pour obtenir un sponsoring culturel ou sportif ne l’ont pas obtenu, et un responsable du service sponsoring leur a indiqué que ce refus s’expliquait par “l’attitude de la commune vis-à-vis des colonies juives”.

Dehaene : “les dépenses de sponsoring ont été très fortement réduites dans le cadre de la politique de compression des dépenses, et le lien que vous établissez avec l’attitude des communes à propos de l’action de Dexia en Israël ne correspond pas à une politique” de Dexia. Évidemment, il n’y a pas de preuve écrite…

Après M. Buchet, plusieurs actionnaires – nos “infiltrés” – se succèdent au micro, tantôt en français, tantôt en néerlandais. Ils reviennent, inlassablement, sur le mensonge apparent : le financement des colonies n’a pas cessé puisque non seulement les contrats anciens se poursuivent mais on a trouvé la trace d’au moins un prêt postérieur à l’assemblée des actionnaires de l’an passé. “Des représentants de l’organisation Who Profits sont présents à Bruxelles, vous pouvez les rencontrer”, insistent-ils.

Dehaene : “si le prêt dont vous parlez existe, ce n’est pas conforme aux instructions qui ont été données et je n’en suis pas informé”. Mais il ne semble pas outre mesure désireux de rencontre les gens de Who Profits… “Ils sont là, on peut les faire entrer si vous voulez« , propose un de nos “infiltrés”. « Seulement s’ils sont actionnaires”, rétorque Dehaene, avec son style inimitable.

Philippe Pourbaix, un des animateurs de la “Plate-forme Dexia” revient encore à la charge, fournit plus de détail sur le fameux prêt, d’un montant de 1,4 million d’Euros, accuse Dehaene de mentir aux actionnaires et d’avoir “une attitude suicidaire sur le plan de la réputation de la banque”. Le président s’énerve un peu, sautille sur son siège, enlève ses lunettes, se passe la main sur les yeux, remet ses lunettes. Il bout. “Fournissez-nous tous les éléments dont vous disposez, nous les examinerons et s’il y a lieu les mesures qui s’imposent seront prises”, dit-il pour tenter de couper court.

Votre attitude sape la confiance des actionnaires, et des clients de la banque, notamment les communes, qui attachent de l’importance aux critères éthiques”, insiste le représentant d’une commune flamande. Pour la Xième fois Dehaene répète : Dexia-Israël est dans un “uitdoofscenario” [5], un scénario d’extinction progressive des financements des colonies.

Mais  d’autres essaient encore de le cuisiner un peu à propos de Jérusalem-Est, car il a déclaré il y a un an que “c’est un autre problème” que la Cisjordanie, alors qu’aux yeux du monde entier (et de l’ONU et aussi du droit international) c’est bel et bien un territoire palestinien colonisé.

Dehaene s’énerve,  s’embrouille devient confus : d’une part il affirme que “pour autant qu’[il] sache” l’arrêt des prêts de Dexia-Israël “c’est Jérusalem-Est compris”, puis se reprend, commence une phrase dans laquelle il semble dire que “Jérusalem-Est n’existe pas”… La phrase reste suspendue, inachevée, incompréhensible.  En fait, il y a tout lieu de croire que Dexia-Israël se conforme à la position du gouvernement, pour qui Jérusalem “réunifiée” est “la capitale indivisible et éternelle d’Israël”. C’est en ce sens que “Jérusalem-Est n’existe pas” : il n’y a qu’une seule Jérusalem, et ils considèrent qu’elle est à eux… Point final.

La (longue) partie de l’assemblée consacrée à Dexia-Israël s’achève, non sans une dernière question, une sorte de “private joke” : une jeune actionnaire prend la parole, se présente comme “une amie d’Israël”, se dit “extrêmement choquée par les questions hostiles à Israël qui viennent d’être posées”. Une émotion sincère et palpable l’étreint, elle demande à Dehaene… ce qu’il compte faire en faveur de la traditionnelle amitié belgo-israélienne.

C’est bien essayé, mais ce vieux routier de Dehaene ne saisit pas la perche que vient de lui tendre malicieusement cette charmante sioniste de choc… qui en fait n’est autre qu’une militante pro-palestinienne très active, une des “infiltrées” : “Ici je suis un banquier, je ne fais pas de politique”, dit-il. Tu parles !

Allez Jean-Luc, on se revoit l’an prochain et on sera encore mieux préparés.
La pression ne se relâchera pas. T’as pas fini de t’énerver.


Le compte-rendu sur le site de « La Libre » : http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/582409/dexia-390-millions-pour-les-consultants.html

et celui du « Soir » : http://archives.lesoir.be/dexia-toujours-critiquee-pour-son-soutien-aux-colonies_t-20100512-00WTEV.html?query=Dexia&firstHit=0&by=10&sort=datedesc&when=-1&queryor=Dexia&pos=7&all=5918&nav=1


[1] La Caisse de dépôts et consignations (France) en détient 17,61%, le Holding communal (les communes belges) 14,51 %, le Groupe Arco 14,25%. Ces trois actionnaires contrôlent donc plus de 46% du capital. A cela s’ajoutent les participations de la Société de Prise de participation de l’Etat (SPPE – les régions belges) et de la Société fédérale de participation et d’investissement (SPF), qui se partagent 11,4% du capital, Ethias (5 %) et l’État français (5%). Plus de 60% du capital sont donc entre des mains “sûres”… et aucune surprise grave n’est à craindre lors des assemblées générales. Les actionnaires classés comme “autres institutionnels et individuels” ne représentent donc qu’un peu plus du quart du capital.
[2] montant réparti sur les années 2010 à 2012,  sous condition que Dexia soit en état de ne plus avoir recours à la garantie des États au-delà de juin 2010, ce qui sera très probablement le cas.
[3] qui a perçu, au titre de l’exercice 2009, 88.000 € de jetons de présence. Le rapport signale qu’il a participé à 91% des réunions du Conseil d’administration…
[4] dont les éléments principaux sont Dexia Crédit Local (France), Dexia Banque Belgique, Dexia Banque Internationale à Luxembourg et Deniz Bank (Turquie).
[5] en néerlandais dans le texte – “uitdoofscenario” est aussi l’expression utilisée à propos des “facilités linguistiques” accordées aux francophones dans certaines communes de la périphérie bruxelloise, dont certains hommes politiques flamands veulent la suppression progressive.

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